Vayigash: du drame familial à la délivrance

La paracha Vayigach voit le dénouement d’un drame familial dont l’influence s’étend à tout le peuple Juif. Yossef, vendu en esclavage par ses frères, se retrouve séparé de son père Yaacov et exilé de sa terre. Dans une contrée hostile, ne laissant présager aucun espoir, il parvient à inverser cette descente infernale, s’impose dans son nouvel environnement et accède aux plus hautes sphères, en devenant le Vice-roi de l’Egypte. Des années plus tard, alors que la famine sévit, ses frères se rendent en Egypte demander de l’aide. Les reconnaissant, Yossef va les mettre à l’épreuve en menaçant de garder prisonnier Benyamin, le plus jeune de la fratrie. Yehouda, l’aîné, entame un plaidoyer pour sauver Benyamin, prêt à se sacrifier pour qu’il soit épargné. C’est alors que Yossef révèle sa véritable identité.

«Je suis Joseph, le frère que vous avez vendu pour l’Egypte. Et maintenant, ne vous affligez et ne vous reprochez pas de m’avoir vendu ici, car c’est pour la subsistance que .D m’a envoyé avant vous. (…) D. m’a envoyé avant vous pour assurer votre survie dans le pays et vous nourrir pour une grande délivrance. »[1] Ce passage interpelle car il contient un paradoxe. Si les tourments de Yossef s’inscrivent dans un plan divin, pourquoi Yossef insiste-t-il tant à tester la volonté de ses frères à sauver Benyamin ?

Accepter et transcender l’épreuve

Le séjour forcé de Yossef en Egypte débute dans la tourmente. Retranché  de son ancienne vie, il se retrouve séparé de son père et rejeté de ses frères, exilé de sa terre, dépossédé de son rang et esclave. S’ajoutent sa solitude et une extrême tristesse. Trahi, isolé des siens et isolé parmi un peuple étranger. Le mot retranchement possède une double signification qui pourrait s’inscrire dans une lecture double de l’histoire de Yossef. Être retranché, c’est être séparé d’un tout. Yossef vit en effet une séparation radicale et négative. Être retranché, signifie également se défendre en se mettant à l’ abri. Si Yossef est nommé dans la Tradition Juive « Yossef Hatsadik », Joseph le Juste, c’est parce que de manière paradigmatique, il saura préserver et défendre son identité, ses valeurs, sa vocation d’hébreu. Et ce  malgré les tentations, malgré son immersion totale dans la civilisation égyptienne, malgré son accession aux plus hautes sphères du pouvoir. Il est en effet parvenu à se hisser au plus haut rang et devient la personnalité la plus puissante de l’Egypte, après le Pharaon. Yossef ouvre la voie à ce qui va devenir une constante dans l’histoire juive. Partout où ils se sont trouvés, les Juifs, partis de rien, fuyant les persécutions et la misère, à force de persévérance, se sont intégrés et ont contribué positivement au sein des pays d’accueil, aussi bien dans les domaines politiques que culturels. L’épisode de Yossef nous apprend ainsi à surmonter nos épreuves et à puiser la force de les transcender. Sa « descente »  en Egypte acquiert tout son sens des années après, alors que la famine sévit. Yossef a compris que ses tourments passés lui permettent aujourd’hui de sauver son peuple et répète deux fois à ses frères, « D. m’a envoyé avant vous ». N’avons-nous jamais vécu un dénouement improbable et positif survenant à la suite d’une situation problématique ? Un tel dénouement nous offrant l’étrange sensation que rien ne serait survenu au hasard ? C’est aussi car Yossef, dans sa chute, a continué d’avancer et de construire, malgré les difficultés et l’affliction, qu’il va initier du Bien de l’épreuve et que les faits vont s’entrelacer positivement pour conduire à un dénouement apaisé.

L’unité du Am Israël et la techouva

Le passage cité nous indique une volonté divine, accompagnée de la volonté de Yossef d’avancer en dépit de la tourmente. Cela produit un enchainement des faits, conduisant à la réconciliation de la famille et au sauvetage du peuple Juif de la famine. La paracha ne déresponsabilise pas pour autant la fratrie, qui s’est conduite cruellement envers son frère. L’ordre des premières paroles prononcées par Yossef, révélant son identité à ses frères, ne semble pas choisi au hasard. Il rappelle d’abord qu’il est « le frère que vous avez vendu »[2]. Il évoque seulement en second lieu les desseins de D’. Il use d’un subterfuge accusant le jeune Benyamin de vol et va tester durement la volonté de ses frères de le sauver afin de le ramener à leur père Yaacov. Le titre de la paracha est aussi le premier mot employé dans le texte : « יְהוּדָה אֵלָיו וַיִּגַּשׁ / Yehouda s’approcha de lui »[3]. Nous assistons à la techouva de Yehouda, qui s’extrait de sa faute passée à l’encontre de Yossef, « en s’approchant de lui » et cette fois-ci, en tentant l’inimaginable, allant jusqu’à proposer de devenir esclave à la place de Benyamin. Selon Maïmonide[4], en plaçant ses frères dans une épreuve morale extrême, Yossef marque sa volonté de vérifier qu’ils regrettent sincèrement leur faute passée et que, replacés dans le même contexte, ils vont cette fois-ci, faire preuve d’une solidarité fraternelle sans faille, conduisant à une profonde et solide réconciliation. Au travers de ce conflit familial, opposant les enfants issus de Léa et Rachel, c’est l’unité du Am Israël qui se trouve en jeu.

En ces temps contemporains troubles, où la communauté juive de France, connait une situation difficile tout en s’enlisant dans des conflits internes, la paracha Vayigach nous rappelle que nos liens se doivent de primer et que les notions de solidarité, d’unité et d’engagement sincères et désintéressées ne sont pas vaines. Une paracha bouleversante, riche d’enseignements et tellement proche de nous.

 
[1] « Sefer Berechit », Genèse ch.45, v4&5
[2] « Sefer Berechit », Genèse ch.45, v5
[3]« Sefer Berechit », Genèse, ch.44, v18
[4] Michne Torah, Livre de la Connaissance, Lois de la Repentance, ch.2

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