Une femme Rabbin… et orthodoxe?!

Le monde juif américain, méconnu en France, est pourtant riche et complexe. A l’inverse du judaïsme francophone, qui s’uniformise de plus en plus, son cousin américain continue son développement et sa diversification.

On distinguait déjà depuis plusieurs décennies quatre principaux mouvements (Orthodoxe, Conservative, Réformiste, Reconstructionniste) mais plus récemment c’est le monde Orthodoxe qui a connu une expansion accompagnée d’une diversification sans précédent.

Les ultra-orthodoxes, néo-orthodoxes et modern-orthodoxes s’affirment et se développent. Plus récemment encore on a assisté à la naissance d’un nouveau courant, formé par des rabbins orthodoxes modernes déplorant « l’ultra-orthodoxisation » du mouvement , l’Open Orthodoxy (Orthodoxie Ouverte).

Fondé par Rabbi Avi Weiss, rabbin de l’Hebrew Institute of Riverdale et Rosh Yeshivat Choveivei Torah, ce mouvement se distingue de l’orthodoxie traditionnelle (et particulièrement de l’ultra-orthodoxie) par plusieurs points:

1)   le rejet de la notion de Daat Torah, qui consiste à attribuer à un rabbin une autorité suprême pour trancher les questions qui ne sont pas d’ordre halakhique (par exemple: quel partie politique voter ? Quel rabbin écouter?…).

2)   Un pluralisme affirmé.

3)   Un soutient actif au féminisme orthodoxe. Une plus grande place est accordée à la femme, autant au niveau de l’accès  l’étude qu’au niveau de son rôle dans le culte.

4)   Soutient actif à l’état d’Israël.

Ce mouvement se veut strictement respectueux de la tradition orthodoxe, et donc de la Halakha. Cependant, le 29 Mars 2009, le Rabbin Weiss a solennellement annoncé l’ordination deSara Hurwitz au poste de Maharat… mais qu’est-ce donc?

 Maharat est en réalité un titre créé par Weiss spécialement pour l’occasion. C’est l’acronyme de Madricha Hilkhatite Rouhanit Toranit, guide halakhique, guide spirituelle et enseignante de Torah. En d’autres termes… Rabbin!

maharat-20sara-20hurwitz-8255008Maharat Sara Hurwitz est donc la première femme orthodoxe officiellement rabbin. Pour ce qui est de son CV, il est bien rempli. Hurwitz a étudié plusieurs années à la Midreshet Lindenbaum (Israël) puis sous les hospices de son mentor, le Rav Weiss, duquel elle a reçu sa smikha. Son programme d’études, nous dit Rav Weiss, était strictement similaire à celui d’un rabbin orthodoxe mâle.

 Évidemment,  Sara Hurwitz étant orthodoxe, elle ne pourra officier comme un homme puisqu’elle ne peut ni participer au minyan, ni diriger l’office et elle se doit de s’asseoir dans la section des femmes. Néanmoins, selon le Rav Weiss, une Maharat peut faire 95% des activités qu’un rabbin réalise (mariages, enseignement, enterrements, conseils, etc…). Il ne compte d’ailleurs pas s’arrêter là et a créé, avec sa protégée, la Yeshivat Maharat, séminaire rabbinique pour femmes orthodoxes.

 Il est clair qu’il s’agit la d’une petite révolution dans le monde orthodoxe. Étonnamment, aucune protestation ne s’est encore faite entendre, même par les rabbins ultra-orthodoxes, généralement prompts à dénoncer les « nouveautés » dangereuses. Malgré tout, nous sommes en droit de nous demander si cette ordination est véritablement orthodoxe?

En effet, il est clair que l’orthodoxie s’arrête lorsque sont franchis les « quatre coudées » de la Halakha. Nombreux sont les rabbins modern-orthodox  à s’être intéressés à la question. D’un coté, il semble que nos certains de nos maîtres aient toléré le fait q’une femme puisse rendre un verdict halakhique.

On peut par exemple citer le Hida (Pitchei Techouva, H.M,  7:5) et le Sefer Hahinoukh qui ont statué qu’une « femme sage peut enseigner la loi ». D’un autre coté, le Rambam (Hilkhot Melakhim 1:5) semble interdire catégoriquement à une femme le droit de diriger une communauté.

Mais au delà de la Halakha pure, il est clair que cette nouveauté vient susciter des questions qu’on pourrait qualifier de méta-halakhiques (j’emprunte le terme au Prof. Leibowitz). Cette ouverture aux femmes permet-elle de mettre fin à une injustice qui n’a que trop duré ou risque t-elle de dégénérer et de permettre à  bon nombre de femmes de quitter le monde de la halakha?

Comment une femme rabbin officierait-elle dans nos shules orthodoxes? Combien de temps faudra t-il avant que certaines commencent à lire dans la torah, ce qui n’est également pas interdit au sens strict , mais tellement éloigné du judaïsme traditionnel. Au lieu d’entraîner le monde orthodoxe vers une plus grande ouverture, ne risque t-on pas au contraire de séparer définitivement Modern- Orthodoxie et Ultra-Orthodoxie?

Tant de questions irrésolues…

Si la jeune Maharat arrive à conserver une attitude strictement orthodoxe tout en remplissant ses fonctions de Rabbin, il est clair qu’elle sera le premier maillon d’une chaîne qui promet de s’étendre. A l’inverse, si les décisions qu’elle prend s’écartent trop de « l’esprit » orthodoxe cette histoire n’aura été qu’une tentative avortée et sans avenir…

A mon humble avis, le principale problème provient du fait que la Maharat est appelée à diriger une communauté composée d’hommes et de femmes. A l’inverse des Yoetsot (conseillères religieuses), qui cherchent uniquement à ce que l’éducation des jeunes juives religieuses puisse être de haut niveau et dispensée par des femmes pour des femmes, la Maharat et le Rav Weiss souhaitent que les futures maharot (?) guident également la gente masculine. Or, il est clair qu’une écrasante partie du monde orthodoxe n’est pas encore prête à tolérer cela.

Une idée intéressante serait peut être justement d’encourager les Maharot à exercer leurs fonctions uniquement pour un publique féminin. On pourrait arriver à une situation ou des rabbins hommes s’occuperaient des hommes et des rabbins femmes s’occuperaient des femmes. Ainsi, les principaux problèmes hilkhatiques (et notamment la tzniout) seraient résolus et les femmes pourraient sentir, elles aussi, que leur place au sein du judaïsme orthodoxe n’est pas négligeable. C’est d’ailleurs un peu cette idée qui a été avancé lorsque certaines femmes voulurent créer des « mynian pour femmes », afin que celles-ci puissent prier librement et sans gêne.

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Merci à Emmanuel Bloch, répondeur sur cheela.org, qui a écrit une réponse trés détaillée à ce sujet: http://www.cheela.org/popread.php?id=49893

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