Un an et demi à Tsahal : réflexions
Un homme ne sortira pas [dans le domaine public, durant Chabbat] avec une épée, un arc, un bouclier ou une lance . S’il sort [avec un de ces objets], il devra apporter un sacrifice expiatoire. Rabbi Eliezer dit : « ces armes sont comme des bijoux pour lui » (et par conséquent, il peux les porter durant Chabbat). Les sages disent : « ils ne sont que honte, comme il est écrit : »de leurs glaives ils forgeront des socs de charrue et de leurs lances des serpes; un peuple ne tirera plus l’épée contre un autre peuple, et on n’apprendra plus l’art de la guerre » » (Is. 2, 4).
(Traité Chabbat VI, 4)
Ce sixième chapitre du traité Chabbat, s’intéresse aux lois relatives à l’interdit de porter des objets dans le domaine public durant Chabbat. La règle est simple, on ne peut porter que des objets constituant l’habillement d’une personne. Dans cette Mishna, les sages s’intéressent au statut des armes et du matériel de combat. Rabbi Eliezer considère que ces objets ne différent pas des bijoux. Les hommes ne portent pas leurs armes que pour le combat, mais aiment les porter en toute circonstance et les considèrent comme un embellissement, une fierté. Ainsi, de la même façon qu’il est autorisé de porter des bijoux, il devrait être autorisé de porter des armes.
Mais le reste des sages ne partagent pas cet avis. Certes, les hommes aiment sortir avec des armes, cela ne fait pas de doute, les sages le savent aussi. Leur opposition provient d’une pensée plus absolue : les armes possèdent-elles un quelconque attrait le conférant un statut de bijoux ?
Rabbi Eliezer pense que oui, la guemara (Chabbat 63a) nous précise qu’il utilise un verset pour défendre son point de vue : « Ceins ton glaive sur ton flanc, ô héros, c’est ta parure et ton honneur » (Ps. 45, 5). Après tout, il existe bien des causes dignes d’être défendues et l’homme qui combat pour protéger ce qui mérite de l’être peut certainement s’enorgueillir de ses armes ! Ou dans les mots de David, le roi guerrier : « Béni soit Dieu, mon rocher, qui apprend à mes mains le combat et à mes doigts l’art de la guerre » (Ps. 144, 1).
Mais encore une fois, les sages sont en quête d’Absolu. Les armes possèdent-elles un attrait intrinsèque ? Le prophète Isaïe, dans une vision eschatologique, nous livre la réponse : « alors de leurs glaives ils forgeront des socs de charrue et de leurs lances des serpes; un peuple ne tirera plus l’épée contre un autre peuple, et on n’apprendra plus l’art de la guerre » (Is. 2, 4)
Le peuple juif, par son essence, aspire à la paix. Bien sur, il faut se défendre. La Torah n’est pas pacifiste, elle tient compte de la réalité humaine et admet totalement le principe de légitime défense. Ainsi, nos sages statuent : « celui qui vient te tuer, devance-le et tue-le ! » (Tanhuma, Pinhas, 3) et Maimonide statue qu’il y a obligation de partir en guerre pour défendre Israël de l’oppresseur (Hichot Melachim 5,1). Cependant, elle ne tombe pas dans l’apologie et la glorification des combats, car l’objectif final n’est pas l’éradication des « infidèles » mais que toute l’humanité prenne conscience de la royauté divine. Lorsque l’humanité connaitra Dieu, alors, nous dit le prophète, elle détruira ses armes et en ferra des charrues. Le fer porteur de mort deviendra le fer porteur de vie et la guerre un lointain cauchemar. Vehalacha Kechachamim. La loi est comme l’avis des sages.
Jusqu’ici, vous devez vous interroger sur le rapport entre le titre de l’article et son contenu… c’est pourtant simple. Après prés de un an et demi à l’armée, je tiens à vous le dire : à Tsahal également on a tranché la Halakha en faveur des sages. Certes, je ne pense pas que le chef d’état major en est conscient, mais c’est un fait.
L’armée d’Israël s’appelle « Armée de défensed’Israël », dans chaque discours prononcé lors de n’importe quelle cérémonie militaire, est rappelé le désir de paix de l’état hébreu. Le message est omniprésent : « nous ne nous battons pour les conquêtes et la gloire, nous nous battons à contrecœur, pour défendre notre existence ». Je ne pense pas qu’il existe une autre armée au monde qui transmet un tel message à ses soldats.
Voilà plusieurs décennies que les célèbres chorales de Tsahal chantent en hommage à ses soldats. Un chant des années 80 dit : « j’ai chez moi une photo d’une colombe, une colombe avec une branche d’olivier […], j’espère que la paix viendra avec toi, ma colombe ». Je suis absolument certain qu’aucune autre armée au monde ne faire entendre ce genre de paroles à ses combattants…
Idan Raichel, un chanteur israélien en vue, a composé un chant pour Yom Hazikaron qui reprend les paroles d’une poésie écrite par un officier mort durant la guerre de Kippour. Qu’écrit un officier israélien au front ?
« Quand la nuit touche à sa fin et que le soleil commence à éclairer,
Sais tu, maman, ce que nous voyons ?
Des arbres tout autours, aux branches hautes mais brûlées dans la racine,
De grandes maisons, mais détruites et sombres.
J’avance sur les ruines, maman.
Et crois moi, il n’y a ici ni fleurs, ni fruits…
Nous ne sommes pas des héros, car notre tâche est sombre,
Le soleil se couchera et viendront les ténèbres.
Nous nous endormirons vêtus dans nos couches,
Oui maman, c’est dur, mais c’est important.
Nous ne sommes pas des héros, car notre tâche est sombre… Voilà encore une fois le message d’un gradé de Tsahal à ses soldats. Ne vous considérez pas comme des héros, car nous ne tirons aucune fierté de nos combats et nos victoires. Notre vrai fierté, nous la tirons uniquement de la paix à laquelle nous aspirons.
Au-delà tous ces discours et tous ces chants, plane la prophétie millénaire ancrée dans l’inconscient juif : notre peuple, notre état, ne glorifie pas les combats, il attend avec impatience le jour ou il pourra déposer les armes. Ce jour ou un peuple ne tirera plus l’épée contre un autre peuple, et on n’apprendra plus l’art de la guerre. Mais nous restons pragmatique et nous savons que pour faire la paix il faut être deux…