Torah, sciences et rationalisme : Questions, réponses

qhca667797-8513311Un internaute m’a récemment contacté avec une série de questions, traitant pour la plupart de la confrontation entre la Torah d’un coté, et l’approche scientifique/rationnelle de l’autre. Ci-dessous, les questions de l’internaute et mes réponses.

1) Comment comprendre l’affirmation du Talmud1 selon laquelle les poux naissent sans fécondation (génération spontanée) ?

Il existe trois approches rabbiniques en ce qui concerne les erreurs scientifiques présentes dans le Talmud. Pour les deux premières approches, les sages ne peuvent s’être trompés, par conséquent :

a) ou il existait bel et bien une espèce de poux capable de naître de façon spontanée, espèce qui aurait de toute évidence disparue.2

b) ou les sages savaient pertinemment que les poux pondaient des œufs, et leur affirmation n’est qu’une façon de dire « cette fécondation étant invisible à l’œil nu, elle est considérée comme nulle ».3

c) Une troisième approche, rationaliste, accepte le fait que même les sages du Talmud ne possédaient pas plus de connaissances scientifiques que les grands scientifiques de leurs époques. Or, la génération spontanée était une croyance scientifiquement acceptée jusqu’au 19e siècle ! Rien d’étonnant à ce que le Talmud, rédigé au 4e siècle, y croit également4.

Personnellement, seule la troisième option me paraît convaincante.

2) Le Talmud5 affirme que le soleil passe à l’ouest du firmament, comment comprendre cela ?

Ici aussi, il y aura deux approches rabbiniques :

a) Certains verront une métaphore dans cette affirmation, qu’ils réinterpréteront en conséquence.

b) D’autres classeront cela dans la liste des probables erreurs scientifiques du Talmud, qu’ils expliqueront à la manière de Maimonide :

« Il ne faut pas exiger que tout ce qu’ils [les rabbins] ont dit au sujet de l’astronomie soit en accord avec la réalité ! Car les sciences mathématiques étaient imparfaites dans ces temps-là, et lorsqu’ils parlaient de ces choses, ce n’est pas qu’ils aient reçu là-dessus une tradition venant des prophètes, mais plutôt parce qu’eux même possédaient les connaissances scientifiques de leurs époques, ou parce qu’ils les avaient entendu des savantsde ces époques. »6

3) Pourquoi le monde ultra-orthodoxe ne suit pas l’approche rationaliste, pourtant partagée par le grand Maimonide ?

Comme je l’ai expliqué plus haut, l’approche de Maimonide n’est pas l’unique approche juive. Certains préfèrent des approches plus mystiques et cela est on ne peut plus légitime.

En général, plus une personne possédera une vaste culture profane, plus elle penchera en faveur de l’approche rationaliste, qui concile à la fois ses valeurs juives et ses connaissances profanes. Ce n’est pas un hasard si tous les grands penseurs juifs rationalistes possédaient de très hautes connaissances profanes.

4) Comment comprendre le fait que certains Rishonim croyaient que Dieu avait un corps7 ?

Je vous renvoie la question : où est-il écrit que Dieu n’a pas de corps ? À l’inverse, la Torah regorge de termes ambivalents, où il est question de « mains », « bras » et « jambes » divins, ainsi que d’un Dieu qui « voit », qui « descend »… l’homme n’est-il pas créé à l’image de Dieu ?

Nous avons l’habitude d’interpréter métaphoriquement ces expressions, en nous basant sur l’avis de Maimonide, mais d’autres Rishonim possédaient un avis différent. D’ailleurs, rien dans le Talmud ne traite de la (non) corporalité de Dieu.

S’il en est ainsi, pourquoi Maimonide a t-il fait de la non-corporalité divine l’un des treize fondements de la foi juive8 ? Tout simplement parce que selon sa conception philosophique de Dieu, ce dernier ne peut avoir de corps (Un corps est limité, or Dieu est illimité, donc Dieu n’a pas de corps). C’est d’ailleurs pour cette raison logique que la totalité du monde juif contemporain adhère à la vision maïmonidienne d’un Dieu totalement spirituel.

5) Les sages considéraient que pi correspondait à 39. Comment une t-elle erreur peut être possible ?

Là encore, je vous renvoie aux propos du Rambam en ce qui concerne les connaissances mathématiques des sages du Talmud (Guide des égarés 3:14, cité plus haut).

Cependant, il est peu probableque les sages pensaient vraiment que pi correspondait à 3, pour la simple et bonne raison que leurs voisins égyptiens et assyriens possédaient de bien meilleur approximation, bien avant l’époque talmudique.

C’est pourquoi, il me paraît probable que ce que disent les sages n’est qu’une approximation simple, destinée à calculer grossièrement les mesures, sans rentrer dans les détails. À vrai dire, il semble que les sages étaient très proches du « bon » pi. Je recommande la lecture de cet article, pour plus de détails :http://u.cs.biu.ac.il/~tsaban/Pdf/latexpi.pdf

6) La Torah croit-elle vraiment aux démons, mauvais œil, sorcières, etc…. ? Si oui, cela ne fait-il pas également de nous des idolâtres ?

Tout d’abord, croire en ces choses n’a rien à voir avec l’idolâtrie. L’idolâtrie a des règles précises, et croire aux démons ne signifie pas leur attribuer un statut divin.

Pour ce qui est de ces croyances, chacune demanderait un développement à part. Contentons nous encore une fois de préciser qu’il existe deux approches juives. Une rationaliste, qui rejette ce genre de choses, et une mystique, qui en accepte une partie.

À propos du « mauvais œil », je vous renvoie à l’article de Yona Ghertman, publié sur ce blog, qui explique cette expression en se basant sur l’approche maimonidienne.

Je vous renvoie également à mon article « le judaïsme est-il une religion rationnelle? » qui traite d’autres croyances mystiques.

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1Shabbat 107b
 
2Dans une célèbre lettre adressée à un scientifique juif, le dernier Rabbi de Loubavitch défend cet avis. La lettre est disponible ici : http://www.chabad.org/library/article_cdo/aid/112226/jewish/Issues-in-Torah-and-Science.htm (Anglais)
 
3Il semble que cela soit l’avis du Rav Eliyahou Desler, qui conseille de chercher de nouvelles raisons pour justifier cette affirmation erronée du Talmud (Mikhtav mi-Elyahou 4, p.355). Merci à Yona Ghertman, pour m’avoir fait connaître cette référence.
 
4Cela est la position de nombreux Rishonim. Voir par exemple Maimonide (Guide 3:14) .
Au sujet des étranges remèdes recommandés par les sages dans le Talmud, Rav Hai Gaon écrit : « Nos sages n’étaient pas des médecins et leurs dires [a propos de la médecine] étaient basés sur leur propre expérience des maladies de leur époque. C’est pourquoi il n’existe aucun commandement nous obligeant A écouter les sages [en ce qui concerne la médecine] car ils ne parlaient que selon leurs opinions personnelles, basées sur ce qu’ils voyaient en leur temps. (Teshuvot Ha-Geonim – Harkaby, no. 394) »
Il est à noter que Rav Ovadia Yossef hésite entre les différents avis, cf. Yalkout Yossef, hilchot shabbat 2.
 
5Pessachim 94b
 
6Guide des égarés, 3:14
 
7Le questionneur faisait notamment référence à la célèbre note du Raavad sur les hilchot Techouva(3:7) de Maimonide. Ce dernier considère que croire que Dieu puisse avoir un corps relève de l’hérésie. Le Raavad note « des [rabbins] plus grands et meilleurs que lui y croyaient » ! Une façon de dire « pour qui se prend t-il ! »…
Un des plus célèbres Rishon à défendre la corporalité de Dieu fut le Rav Moshé Takou, un tossafiste, qui a rédigé un livre qui traite du sujet, le Ktav Tamim.
Le Riaz, petit-fils du Rid, précise que ces Rishonim ne croyaient pas que Dieu soit fait de chair et de sang, mais d’une matière plus éthérée. Sanhedrei Gedola, volume 5, section 2, p. 118.
(Une partie des références sont tirées de l’article du Rav N. Slifkin : http://www.zootorah.com/controversy/Vol7Slifkinwithletter.pdf)
 
8Cf. son introduction au perek hakhelek, ainsi que hilchot teshouva 3:7
 

9T.B Souca 7b

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