En tenue d’Ève
J’ai récemment lu le livre « En tenue d’Ève », de Delphine Horvilleur, rabbin du mouvement juif libéral de France. Je n’ai pas l’habitude de présenter des livres sur le blog, mais celui-ci m’a vraiment séduit. Merci à Yossef Azoulay, directeur des éditions Lichma, de me l’avoir envoyé.
C’est avec beaucoup d’intelligence et de finesse que Delphine Horvilleur aborde le sujet de la pudeur et de la sexualité juive. Précisons d’hors et déjà que ce livre ne se résume en rien aux seules idées du mouvement libéral ou même du judaïsme. Les thèmes abordés sont universels et intéresseront toute personne désireuse de lire une réflexion sérieuse sur ces sujets.
On peut distinguer trois parties principales dans cet ouvrage. Une première partie exégétique, où Horvilleur interroge les plus vieux textes du judaïsme. À travers l’histoire d’Adam et Ève, elle nous montre avec brio que le judaïsme ne connait pas de « péché de chair ». Bien au contraire, c’est avant la faute que le texte nous dit qu’Adam et Ève ne firent « qu’une seule chair »1. Après la faute, les premiers êtres humains prennent conscience de leur nudité et en tirent une honte certaine. Mais, comme nous le fait remarquer Horvilleur, le texte parle de honte, pas de culpabilité. Honte interprétée comme étant une séparation, une brisure, qui transforme le couple originel en deux êtres distincts mais qui crée dès lors la possibilité d’une retrouvaille.
Ainsi, la pudeur créerait cette idée « de latence dans la vision et dans la rencontre. […] La peau qui les sépare les met en quête l’un de l’autre. Le premier modèle biblique de la pudeur est la reconnaissance d’une altérité qui nous échappe, avec laquelle on ne fera jamais un, et dont il nous revient de respecter les frontières »2.
Puis Delphine Horvilleur nous plonge dans l’histoire de Noé, dont le fils découvrit la nudité3. Terme pudique pour parler de la première agression sexuelle de l’humanité. Étonnamment, c’est le petit-fils qui subit la malédiction du grand-père, malédiction interprétée comme la transmission du traumatisme.
C’est l’occasion de parler du recouvrement et du vêtement juif par excellence, le talit ce vêtement à quatre coins auquel la Bible nous demande d’y ajouter des tzitzit, des fils. Or, ce mot provient de la racine « scruter », tension intéressante entre voilement et dévoilement. D’un coup nous comprenons pourquoi certains textes juifs lient souvent les tsitsit à un certain contrôle sexuel. Horvilleur en conclut que le vêtement juif rappelle « que l’intimité véritable dépend d’un regard et d’une connaissance partiellement entravée de l’autre. Accepter de ne pas tout voir de l’autre, ni de tout savoir, est ce qui nourrit le sensuel et le désir. De ce désir, la loi doit se faire garante et non censeur »4.
La deuxième partie centrale de l’ouvrage traite des dérives liées à la tsnyout, ou à l’excès de pudeur imposée aux femmes dans une partie du monde juif et non-juif. Comme nous le rappelle Horvilleur dès le début du livre, la pudeur dans les textes juifs traditionnels concerne aussi bien les hommes que les femmes. Une pudeur exagérée, éradiquant tout plaisir, « fait du corps de la femme tout entier un tabou, tel un sexe à cacher en permanence dans l’espace public. Chaque femme, réduite au statut d’être sans visage, c’est-à-dire sans individualité, n’a plus à exprimer que sa nature sexuée »5. Cyniquement d’ailleurs, « l’homme se retrouve amputé symboliquement d’une partie de son anatomie : ses paupières. »6
Une étude intéressante conduit Horvilleur à conclure que « l’obsession de la pudeur des femmes renvoie peut-être un groupe à son angoisse vis-à-vis de ses frontières sociales » car « la nudité exposée renvoie à la membrane qui le sépare de son environnement, et menace son étanchéité »7.
Enfin, la troisième partie aborde le délicat sujet des genres. Avec talent et pudeur, Delphine Horvilleur cherche à prouver que la tradition juive envisage une séparation entre sexes et genres. Selon elle, le Talmud féminise le mâle en proposant un nouveau modèle de virilité où la force physique n’est plus au centre : « Qui est le fort/viril ? Celui qui domine son mauvais penchant »8 nous affirme la Mishna. Selon Horvilleur, la masculinité juive serait la capacité à contrôler passions et pulsions. Dès lors, on comprend pourquoi le Talmud choisit de vanter la résistance spirituelle de Rabbi Yohanan Ben Zakaï, l’homme qui fuyait Jérusalem pour établir une maison d’étude, et non le combat jusqu’à la mort des ressistants de Massada.
Selon Horvilleur, par « masculin » le Talmud entend tout être capable d’autonomie et de contrôle alors que le « féminin » serait l’être en état de dépendance. Mais ces qualifications seraient au-delà du sexe de l’être et ainsi, l’esclave mâle sera traditionnellement assimilé au féminin alors qu’une femme forte sera considérée comme possédant des attributs masculins. Notons d’ailleurs que cette idée de genre séparé du sexe se retrouve à plusieurs reprises dans la littérature mystique, qui affirme par exemple que Mih’al, la princesse dont le Talmud nous dit qu’elle portait les téfilines, « avait une âme masculine » ou que Ytsh’aq « avait une âme féminine » et ne pouvait donc pas avoir d’enfant sans une intervention divine.
Cependant, Horvilleur ne tombe pas dans les théories radicales du genre, comme celles développées par Judith Butler, et note bien que « la théorie des genres dans sa version radicale, fait effectivement courir le risque d’une réduction moniste, quand elle propose une vision du monde qui ne connait plus aucune distinction innée entre les êtres et où tout système binaire est aboli ».
Cette dernière partie est sans doute celle qui dérangera une partie du monde orthodoxe. Horvilleur reprend là les grands thèmes de l’étude des genres par lesquels elle cherche à réinterpréter la création de l’être originel comme être sans genre défini mais comme possédant les attributs des deux genres à la fois. Ces théories en vogue chez les mouvements libéraux du judaïsme américain susciteront l’étonnement de certains mais gagnent à être connues et discutées, particulièrement dans le contexte de notre société où genre et sexe se dissocient de plus en plus.
De mon point de vue, ce livre extrêmement novateur pour le public francophone gagne à être lu avec attention. Les personnes non-religieuses découvriront avec plaisir une pudeur constructrice, où la sexualité n’est pas vue comme une faute tout en étant contrôlée ; une société où les êtres ne se résument pas à leurs sexes mais où les genres ne viennent pas non plus détruire la bipolarité de l’humanité. Les religieux, juifs ou non, redécouvriront une lecture ouverte mais sérieuse des textes, loin du fondamentalisme qui menace l’interprétation plusieurs fois millénaires des écritures ; une occasion de refaire de la pudeur une idée élévatrice et non une négation du désir ou un moyen. d’oppression de la femme.
Une rencontre filmée avec Delphine Horvilleurhttp://youtu.be/5p8JK9hcO2s
J'ai beaucoup d'admiration.
Je comprends que certains hommes (pas seulement des juifs, c’est la même problématique pour certains chrétiens ou certains musulmans !) aient, de tout temps, tout mis en œuvre pour empêcher les femmes d’accéder aux études.
L’intelligence lumineuse qui émane de certaines femmes met si brutalement en évidence la vacuité, l’inanité de la pensée de certains hommes…
Les hommes sont effrayés, à juste titre, car ils sont mis à nu : le roi est nu, le prétendu maître se révèle creux, il est incapable de produire la moindre richesse qui viendrait féconder l’intériorité de ceux qui l’écoutent.
Certaines de leurs paroles sont « édifiantes » !
Ainsi, au cours de ce débat, Gérard ZYZEK emploie l’expression « bonne femme » pour désigner la femme que certains ultras orthodoxes prétendaient envoyer à l’arrière du bus.
Dans le Talmud, il choisit de citer un passage qui dit que dans le mariage la femme n’est pas active, elle est seulement passive.
En tout cas, durant tout le débat, Delphine HORVILLEUR n’a guère fait preuve de passivité !
Gérard ZYZEK a refusé de prendre position sur la question – pourtant d’actualité – relative aux femmes juives qui veulent lire la Torah et prier devant le mur des Lamentations. Il a prétendu que cette question ne l’intéressait pas, qu’elle ne lui paraissait pas digne d’intérêt…
En fait, autant Delphine HORVILLEUR déployait la richesse de son intériorité, autant Gérard ZYZEK dévoilait le vide abyssal de la sienne.
Delphine HORVILLEUR représente, à mes yeux, l’honneur du judaïsme.
Je ne serais pas étonné que certains prétendus maîtres changent de trottoir s’ils étaient amenés à la rencontrer, tout comme le faisaient certains maîtres lorsqu’ils apercevaient Brouria, l’épouse de Rabbi MÉIR.
A propos de l’education des femmes, pour l’enseignement de la Thora, vous avez un livre splendide dont j’ai un tres vieil exemplaire en judeo espagnol: le Meam Loez.
fait pour elles.
Originaire de Casablanca , nos Hakhamim tenaient absolument que les jeunes filles aillent a l’ecole et apprennnent un metier meme si la structure familliale traditionelle d’avant le protectorat lui conseillaient de rester a la maison :
kolm kevoda bat melekh penima. C’etait aussi pour la proteger. ( voir l’histoire de Sol Hatsadeket.)
Pour ceux qui ne sont pas au courant : au Caire il y a bien longtemps, a la » Medrassa
Kebira , c.a.d a la Yeshiva ou l’on faisait des etudes hebraiques superieures,
Les » Kolelim » suivaient le cours de Talmud-Guemara donnee par une femme (Talmidat khaham) , qui etait sur une estrade et etait separee des etudiants par un voile.
Quelqu’un aurait il entendu parler de : Rebbi Sete de Casablanca.
Elle etait appelle ainsi et respectee pour ses connaissances et etait aussi Kabaliste.
Je ne l’ai pas connue, m’ai j’ai vu sa bibliotheque qui, imaginez vous, contenait deja dans les annees 20 et 30 plus de 600 ouvrages. ( elle etait fille du rabbin Azouay de Tanger)