Rav Ovadia Yossef : le décisionnaire si humain

ואיכה חשכה אור ההלכה                        Hélas, elle s'est obscurcit la Lumière de la Loi
והתלמוד כמו גלמוד מי יבונן                  ? Et le Talmud est solitaire, qui l'approfondirait 
ומי הוא זה עלי הדור יגונן...     ? Et qui est celui pour lequel se lamentera la génération 
(extrait des kinot de Tishea Beav

 

rav-ovadia-yossef-300x147-2340271Hier, Rav Ovadia Yossef nous a quitté. De retour du Nord d’Israël vers Jérusalem, l’image que je n’oublierai pas est celle de milliers de voitures garées le long des 4 kilomètres d’autoroute menant à Jérusalem. Plus de 700 000 personnes sont arrivées rendre un dernier hommage au plus grand décisionnaire du 20e siècle, à l’un des Grands Rabbins les plus illustre de l’État d’Israël, au guide politique et au grand être humain qu’était le Rav Ovadia Yossef.

700 000 ! Plus d’un dixième de la population israélienne, environs un juif israélien sur huit, plus que le nombre de juifs vivant en Israël en 1948. Selon la police, il s’agirait des plus grandes obsèques qu’ait jamais connu l’État d’Israël. À peine quatre heures après son décès, 700 000 personnes quittaient travail et occupations habituelles pour dire adieu au Rav.

 

On peut parler de Rav Yossef sous bien des angles, je souhaiterai rappeler l’angle qui m’est le plus cher et qui j’espère, restera dans les mémoires : le décisionnaire courageux, humain et génial.

 

Rav Benny Lau a publié un statut facebook quelques heures après le décès. Grand spécialiste de la philosophie halakhique de Rav Ovadia Yossef, il l’avait rencontré à de nombreuses reprises dans le cadre de l’écriture de son doctorat, qui lui était consacré.

Dans ce statut, Rav Lau raconte qu’un après-midi, en 2000, il se trouvait chez le rav quand soudain arrivèrent des dizaines de membre d’une même famille israélienne, extrêmement émus, pleurant et remerciant le Rav.

Le secrétaire de Rav Yossef expliqua la situation au Rav Lau : la grand-mère était une rescapée de la Shoah qui s’était remariée après la guerre, en Israël. Son premier mari, qu’elle croyait décédé, était brusquement réapparu il y a quelques années. Selon la Halakha, tous les descendants du second mariage de cette femme était désormais mamzerim, un statut terrible qui leur interdit de se marier avec tout autre juif. Un drame.

Rav Ovadia Yossef avait réussi à trouver un moyen halakhique pour libérer cette famille de cette malédiction, et voilà que tous les descendants venaient le remercier à chaudes larmes.

Après le départ de la famille, Rav Ovadia Yossef se tourna vers Rav Lau :

Touche ma main – elle est humide. As tu vu leurs larmes ? As tu vu les larmes des opprimés ?”.

Et Rav Yossef continua en citant le Midrash (Vayikra Rabba 32) : “J’ai vu les larmes des opprimés (Ecl. 4:1) – ce sont les mamzérim. Qui les opprime ? Le Sanhedrin, qui les a jugé”.

Ce Midrash est vu par la plupart de décisionnaires contemporains comme définissant les limites de la Loi : parfois, le possek ne peut que condamner, donner le terrible verdict. Mais Rav Ovadia Yossef ne s’arrêta pas là et rajouta : Et qui les consolera ? JE les consolerai !”.

Le message des maîtres séfarades résumé en une phrase. Non, ce Midrash n’est pas un constat mais une critique. Une critique de ceux qui transforment la loi divine, “lumineuse et éclairante” (Ps. 19:9) en loi cruelle et déicide. Le rôle du décisionnaire n’est pas de condamner mais de trouver des solutions pour sauver les opprimés.

 
 

Tout au long de sa vie, Rav Ovadia Yossef a sauvé bien des opprimés, bien des oubliés du système légal glacé et inhumain d’une partie du monde juif actuel. Tout d’abord, il a sauvé l’ensemble des juifs éthiopiens en osant, malgré les nombreuses pressions, affirmer que leur judaïté n’était pas à discuter. Il a sauvé des milliers de femmes agounot, “liées” à des maris disparus pendant les guerres d’Israël. Il a sauvé le peuple juif en favorisant une conversion rapide pour les descendants israéliens des juifs d’URSS.

Durant ces dernières 24h, j’ai lu bien des messages honorant la mémoire de Rav Yossef. Incroyablement, tous tournés autours de ce point, des grands discours aux témoignages personnels.

Son fils a rappelé avec quelle insistance il avait demandé à rentrer chez lui après son premier infarctus, avant son opération. Les médecins s’y opposaient, mais Rav Yossef insistait : “J’écris un responsum pour libérer une femme “agouna”. Si l’opération se passe mal, que deviendra t-elle ?!”.

Hannah Kehat, la dirigeante de l’organisation féministe-religieuse “Kolech” a raconté que son organisation avait organisé une campagne de sensibilisation au cancer du sein chez le public harédi, après avoir constaté que le taux de décès du au cancer était de 30% plus élevé dans ce public. À son grand effroi, la plupart des dirigeants de ce public refusaient de soutenir cette campagne. Le seul qui l’écouta, l’encouragea et lança cette campagne fut Rav Ovadia Yossef.

Rav Aviner a raconté comment Rav Yossef fut le seul rabbin à avoir le courage d’autoriser un jeune cohen à épouser une fille éthiopienne (malgré le processus de conversion lah’oumra que cette fille avait passé).

Certains ont simplement raconté comment Rav Ovadia Yossef les avait soutenu lors de crises familiales, de divorces, de veuvages et d’autres drames.

Malgré les positions et déclarations politiques sujettes à polémiques, malgré l’action discutable du parti Shass, des gens de tous les bords se sont rendus à ces funérailles.

Shimon Peres, le président de l’État d’Israël, a interrompu une rencontre avec le président tchèque pour se précipiter à son chevet. Des hommes politiques opposés à Shass ont rejoint la foule. Des vieux, des jeunes, des ultra-orthodoxes, des sionistes-religieux et des juifs sans kippa ont formé la plus grande foule jamais réuni pour des obsèques en Israël, afin rendre un dernier hommage au plus grand décisionnaire de notre génération mais également au plus humain.

תהא נפשו צרורה בצרור החיים

La famille Yossef, fin des années 40
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