Retour vers la Techouva

kookas-3021650Quelques jours avant Roch Hachana, y a t-il un sujet plus approprié que celui de la Techouva ?

C’est de Roch Hachana à Kippour que s’étendent les « dix jours de Techouva » durant lesquels l’homme est sensé revenir vers son créateur. Tandis qu’à Roch Hachana, l’homme est jugé, à Yom Kippour, il est pardonné – à condition qu’il ait fait Techouva.

 

Mais qu’est ce donc cette Techouva ?

Nos livres de prières franco-hebreu réduisent bien souvent la Techouva et ses attributs à un simple repentir aux relents chrétiens. Ainsi, la Techouva (de la racine שב, « retour ») devient « pénitence »; le Vidouy (להתוודות – s’introspecter) devient « confession », etc…

La Techouva devient abstraite et froide. Dans ces conditions, comment faire Techouva ?

Le monde juif religieux, conscient de ce manque, préfère présenter la Techouva comme « un retour » à l’origine. La Techouva serait ici la réintroduction d’un mode de vie religieux chez le juif ayant partiellement ou totalement abandonné la pratique religieuse.

Le monde juif perçoit donc la Techouva comme un phénomène de retour à la religion. La Techouva serait donc limitée à un acte strictement individuel, juif et religieux.

 

Le Rav Abraham Isaac Kook (1865-1935), dans son ouvrage « Orot Hateshouva » propose une troisième approche révolutionnaire. Ce livre -petit par la taille mais non par le contenu – englobe l’essentiel de la philosophie du Rav Kook. Il est à noter qu’il s’agit de la seule œuvre du Rav Kook disponible en français (« les lumières du retour », édition Albin Michel, traduit et annoté par le Professeur Benjamin Gross).

Le Rav Kook ne rejette pas l’approche « traditionnelle » du monde juif, mais considère qu’il s’agit seulement d’une des émanations de la Techouva, émanation bien inférieure au potentiel maximal de la Techouva.

Il nous enseigne que la Techouva concerne autant l’individu que la collectivité, elle n’est pas juive mais universelle et par conséquent ne se limite pas seulement au domaine religieux mais englobe toutes les facettes de la vie. Ainsi que l’explique Benjamin Gross dans son introduction, la Techouva dans la pensée du Rav Kook est « une volonté permanente de dépassement ainsi qu’un ardent désir de perfectionnement ».

La Techouva est présente dans chaque élément, elle le moteur qui permet à l’humanité d’avancer et de se perfectionner.

Écrit dans un style qui allie poésie et prose, mystique et philosophie moderne, le livre est un petit bijou débordant d’humanisme, d’optimisme sur le sort du genre humain et de morale universelle, sans jamais tomber dans une idéalisation de la réalité.

Je vous propose quelques courts extraits en français, bien que la traduction de l’hébreu diminue grandement la portée poétique et mystique du langage du Rav Kook. La traduction suit celle du Professeur Benjamin Gross.

 
 

La Techouva comme volonté de perfectionnement

La Techouva provient de l’aspiration de l’ensemble du réel à devenir meilleur, plus pur, plus vigoureux, à s’élever à un niveau supérieur.

Dans ce désir se cache une force vitale capable de vaincre tous les éléments qui restreignent et affaiblissent l’existence. Le repentir particulier, individuel, et à plus forte raison le repentir collectif , tirera sa force de cette source de vie d’une activité rigoureuse et ininterrompue constamment à l’œuvre. 1

 

La Techouva, cette recherche constante d’amélioration et d’élévation, est le moteur de l’humanité. Elle lui permet d’avancer et dépasser constamment les éléments qui la restreignent.

 
 

La perfection humaine réside dans sa non-perfection

« la Techouva a précédé la création du monde », et c’est pour cette raison qu’elle est le fondement de l’univers. L’excellence de la vie réside précisément dans la persévérance dans l’être, selon sa nature spécifique.

La nature étant par elle-même dépourvue d’observation et de discernement, le péché devient de ce fait inévitable : « il n’y a pas d’homme juste sur la terre, qui fasse le bien sans jamais faillir ». Supprimer le caractère naturel de la vie pour que l’homme devienne un être non pécheur constitue justement le plus grand des péchés. « Il demandera son expiation parce qu’il a péché envers son âme vitale ».

C’est pourquoi le repentir restaure ce qui a été détérioré et ramène l’univers et la vie à leur origine, en révélant précisément le fondement supérieur de leur essence, le monde de la liberté.

C’est pour ce motif que l’on désigne le nom de Dieu (Tétragramme) par Dieu (Elohim) vivant.2

 

Il s’agit, à mon avis, d’un des plus beau paragraphe de l’ouvrage. Le Rav Kook présente la Techouva, c’est à dire la capacité de s’améliorer, comme le summum de la perfection. L’homme qui s’améliore, qui revient à Dieu, fait preuve d’une immense liberté, liberté qui constitue l’essence de la vie et de Dieu.

A l’inverse, conditionner l’homme afin de l’empêcher de pécher, emprisonner sa volonté, et avec elle toute possibilité d’amélioration, voilà bien la pire des fautes envers le genre humain. L’homme ne doit pas vivre coupé du monde et de sa réalité, mais doit faire preuve de volonté pour vivre dans la réalité maitrisée et contrôlée.

 
 

La Techouva doit mener à une pleine Liberté

La méditation sur le repentir met à découvert la profondeur de la volonté. La puissance de l’âme spirituelle se révèle ainsi dans toute la force de sa splendeur; le degré de pénitence marque le degré de sa liberté.3

L’obstination à se tenir toujours à la même opinion et, pris dans ces liens du péché transformés en habitude, à vouloir être conforté par elle, soit pour les actes, soit pour les idées, est une maladie due au fait que la personne est tombée dans un état de grave servitude, qui ne permet pas à la lumière de la liberté de luire dans tout l’éclat de sa puissance.

La Techouva aspire en effet à une véritable et authentique liberté, la liberté divine affranchie de tout espèce de servitude.4

 

Il n’y a pas plus grande liberté que la Techouva, cette aspiration à l’élévation, au changement. Par conséquent, l’entêtement constitue un lourd état de servitude, puisqu’il empêche l’homme de se remettre en question, de changer et de s’améliorer.

 
 

La religion n’a pas de place pour l’immoralité

Les transgressions morales qui ont leur origine dans une déviation de la morale générale aboutissent finalement à une déviation de la morale divine, à une désaffection de la religion.

La révolte contre le préceptes divins, leur abandon témoignent d’une grande décadence morale, qui ne peut se produire qu’à la suite d’une effroyable chute de la personne dans une existence grossièrement matérialiste. […]5

 

Dans ce paragraphe débordant d’humanisme, le Rav Kook établit qu’un homme religieux ne saurait être immoral. La « morale divine » ne diffère pas de la « morale humaine » et aucun comportement jugé déviant par les êtres humains, ne saurait avoir l’aval divin !

Le Rav Kook est toutefois conscient de la relativité de la morale humaine, il sait que celle ci est faillible. Le point n’est donc pas mis sur l’éternité de la morale générale, mais sur le rapport que l’être humain a avec celle ci. S’il ne respecte pas cette morale, comment pourra t-il prétendre respecter la morale divine, qui lui est si lointaine et peu perceptible ?

A l’inverse, la rechercher du bien et l’acceptation de la morale générale, le conduira certainement à la morale divine, objective et éternelle, celle vers laquelle tend l’humanité.

Morale et religion sont donc intimement liées, et par conséquent, l’abandon du divin conduit à un abandon de toute spiritualité, dont la morale.

J’espère que ces extraits vous donneront envie de lire le reste de l’œuvre.

Chana Tova à toutes et à tous !

 
 
1Orot Hateshouva 6:1
2Orot Hateshouva 5:6
3Orot Hateshouva 7:4
4Orot Hateshouva, 5:5

5Orot Hateshouva 6:4

Print Friendly, PDF & Email