Rabbi Yossef Messas – Hommage au judaïsme Nord-Africain
Rabbi Yossef Messas (1892-1974) est à mes yeux une des figures rabbiniques les plus importantes du monde séfarade du siècle dernier. Né à Meknès (Maroc) dans une des plus célèbres dynasties rabbiniques marocaines, Rav Messas perd son père et maître à l’âge de douze ans, ce qui l’obligera à travailler dur pour subvenir aux besoins de ses proches. Sur cette période, il écrira :
« Je suis occupé la plupart de la journée à subvenir à mes besoins, à ceux de la mère de mon père, à ceux de ma femme et à ceux de mes petits frères, qui dépendent tous de moi. Face à ces difficultés, je vole de mon temps le jour et la nuit pour étudier la Torah dans des livres empruntés, car je ne possède que très peu de livres – il est difficile d’en acheter et je n’ai pas l’argent pour en acheter – que Dieu ait pitié… »1
À 32 ans, il est nommé rabbin de Tlemçen (Algérie), seize ans plus tard, il devient le Av beit-din (dirigeant des tribunaux rabbiniques) de Meknès. En 1964, il monte en Israël et est nommé grand rabbin de Haïfa, poste qu’il occupa jusqu’à son décès en 1974.
Mis-à-part son cursus rabbinique impressionnant, qu’avait Rav Yossef Messas de particulier ? Pour moi, il représente la figure rabbinique idéale. À l’image des sages espagnoles du Moyen-Âge dont il est l’héritier, Rav Messas possédait de multiples talents. Décisionnaire, poète, leader, savant, il était même artiste et ses livres sont ornés de ses magnifiques dessins.
Rav Messas était également un modèle d’ouverture. Très soucieux de maintenir l’entente et la fraternité au sein du peuple juif, il prit des décisions halakhiques courageuses afin de diminuer les tensions à une époque où le judaïsme était déjà en crise. Dans une de ses responsa, il autorise la consommation de vin touché par un juif profanant Chabbat (malgré l’interdit du Choulkhan Aroukh), arguant qu’un refus risquerait de blesser profondément le juif concerné et que dans une telle configuration, la paix et l’entente sont plus importantes. Dans un autre responsum, il encourage les dons d’organes aux non-juifs, afin de multiplier l’amour entre les hommes et que tout le monde sache que nous sommes les créatures d’un même Dieu ! Honnêteté intellectuelle, ouverture et amour du prochain, des qualités d’autant plus chères que rares.
Lorsqu’on lit son recueil de lettres, on y trouve une correspondance fournie avec des personnalités aussi diverses que Rav Kook, la hassidoute de Satmar ou Ben Gurion. Son amour pour les juifs dépassait ainsi les prises de positions idéologiques.
D’un sionisme authentique, empreint de l’amour infini des poètes espagnols pour la terre d’Israël, il écrivit des poèmes en l’honneur de Yom Haatsmaout, de Tsahal et de la réunification de Jérusalem. À un jeune juif qui lui demandait qu’elle conduite adopter durant l’office de Yom Haatsmaout, le Rav répondit avec simplicité :
« Tu es un juif craignant, ne prêtes pas attention aux vaines paroles que les autres professent et remercie comme nous le tout-puissant pour ses miracles en fêtant ce jour de Yom Tov dans la joie; avec la récitation complète du Hallel en reconnaissance à notre Dieu. »2
Ses connaissances halakhiques impressionnantes lui permettaient parfois de prendre des décisions courageuses, visant à diminuer le fossé qui se creusait alors entre judaïsme et monde moderne.
Ainsi, il autorise les femmes mariées à ne pas se couvrir la tête3,accepte de circoncire les enfants de mères non-juives et va jusqu’à accepter de marier un cohen et une fille issue d’un mariage interdit (non-juif et juive) dans certaines circonstances4. Précisons, si cela est nécessaire, qu’il justifiait toutes ses positions dans la plus stricte tradition halakhique.
Pour mieux comprendre ces avis courageux, il convient de pénetrer dans la philosophie halakhique du monde séfarade. Alors qu’en terre ashkénaze, l’orthodoxie suivit la voie extrême du Hatam Sofer qui statuait que « toute nouveauté est interdite par la Torah », que Rav Samson Raphaël Hirsch créait les « communautés séparées » destinées à éloigner le public orthodoxe du monde réformé, le monde séfarade plaça toujours l’entente au sein du peuple en première position.
L’approche ashkénaze à le mérite de maintenir une orthodoxie stricte, mais aux dépens de la majorité du peuple, qui se voit rejeté et placé en dehors de la communauté. Il n’a alors d’autre choix que de quitter le monde juif ou de former une autre communauté. L’approche séfarade, en plaçant l’amour du peuple juif au centre,considère qu’elle a échoué si un juif perd tout contact avec la communauté. Ainsi, Rav Messas préfère se montrer souple dans bien des décisions plutôt que de voir un juif quitter définitivement la communauté.
Il y a encore beaucoup à dire sur la vie et l’œuvre de ce grand homme. J’espère lui consacrer prochainement une étude plus détaillée. En attendant, je conclurai avec le témoignage de Haïm Hirshberg, un spécialiste du judaïsme d’Afrique du Nord qui rencontra Rav Messas en 1952 :
“J’avais beaucoup entendu parler de lui en Algérie, où il avait exercé ses fonctions à Tlemçen avant de revenir dans sa ville natale, Meknès. On parlait également beaucoup de lui à Casablanca. […] Rav Yossef à la soixantaine – enfant de la vieille époque – et c’est sans doute pour cela que nous discutions en Hebreu, langue qu’il maitrise parfaitement. […]
Après le repas, nous nous sommes assis dans son bureau et Rav Yossef m’a montré ses livres, ses sermons et ses hidoushim, certains imprimés et d’autres manuscrits. Son écriture est splendide, il posséde un sens artistique et réalise des gravures dignes des célèbres arabes. […] Sa bibliothèque est vaste et variée, à coté du Talmud, des décisionnaires et des responsas d’Afrique du Nord, on trouve également les livres de Bialik et les publications religieuses et encyclopédiques d’Israël”5
La Michna (Sota 9:16) nous raconte que lorsque Rabbi Yohanan Ben Zakay décéda,la splendeur de la sagesse fut perdue. L’auteur du Tiféret Israël explique : car en plus de sa grandeur en Torah, il maitrisait également les autres sagesses – qui embellissent la Torah aux yeux de tout homme. Ainsi était Rav Yossef Messas. En plus de sa grandeur en Torah, ses larges connaissances et son amour des êtres humains embellissaient la Torah aux yeux de tous.
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1Otsar Hamichtavim 1:73
2Otsar Hamichtavim 3, p.163
3Otsar Hamichtavim 3, p.211 ; Mayim Hayim II, O.H, 110
4Otsar Hamichtavim 1887
5Hirshberg, Mééretz mevo hashamesh, p.132-134
Toujours aussi sympa ce blog…
Marc Shapiro a bcp travaille sur l’oeuvre de Rav Yossef Messas.
Par contre, Shada »l et Rav Messas dans un meme post…. C’est pas tout a fait la meme chose……
Bravo pour cet article , passionnant & clair qui m’a beaucoup interessé .
Comme un bon génie tu as dépoussiéré notre mémoire et oh! merveille ! tu nous as permis de redécouvrir ce que l’on avait en soi :
un judaïsme authentique et harmonieux ,source de joie et de bien être , ouvert sur ton prochain & ton lointain , tolérant & qui va de
l’avant . Je forme le voeu , que cette source bienfaisante puisse désaltérer toutes les tendances du judaïsme .
Je tient a vous preciser que la decision sur la peruque est, comme vous l’avez dis un לימוד זכות et non pas un פסק הלכה,,tel qu’il en ressort du debut de sa lettre. Etant un etudiant au collel de r
chalom messas ztl nous nous etions deja pencher sur cette lettre et apres avoir ouvert ses sources il clair que sa volonte etait d’alleger la sentence de ceux qui ne se couvriraent pas la tete de
toutes les facon, en les jugeant favorablement puisque de toutes les manieres il n’etait pas ecouter. Pour la petite anecdote c’est mon grand pere zl qui a oeuvre pour quil vienne a Tlemcen a la
mort du rav bliah et je sais qu’a son arrive il etait tres choque de l’etat spirituelle de la communaute concernant la chehita le chabbat la taharat hamichpaha et bien d’autres dommaine. De meme
j’ai parler avec le petit fils de rabbi chalom mesas ztl et il ma dit que c’etait une ereure dans le contxte actuel de renforcement dans la pratique de la tora d’avoir imprimer cette tchouva qui
pourrait etre interpretter hors contexte historio-geographique. Bonne chance
La particularite du judaisme sepharade, par rapport au judaisme achkenaze, est precisement de ne pas avoir ete confronte a la modernite jusque recemment (selon les pays, quelques dizaines d’annees
tout au plus).
Alors que les juifs achkenazes furent forces de choisir leur attitude face au monde moderne et a ses valeurs (rejet pour les hareidim, adoption sans reserve pour les liberaux, conjonction nuancee
pour la neo-orthodoxie allemande, etc), nos freres sepharades n’ont pas eu a prendre de telles decisions, ni a developper des ideologies pour servir d’interface entre monde moderne et monde
traditionnel. De la vient, entre autres, le phenomene de la psika sepharade plus souple que celle des decisionnaires achkenazes.
Mais la question, a ce compte-la, est de savoir si le rav Messas est reellement un precurseur de l’orthodoxie moderne, ou simplement un rabbin « traditionnel » au sens des generations passees. Ou
alors (l’envers de la medaille), il faut se demander si cette attitude moderee des decisionnaires sepharades se perpetue dans les communautes sepharades vivant dans des pays occidentaux, et en
particulier en Israel. Je pense qu’on pourrait sans probleme trouver de nombreux exemples de « durcissements » dans l’attitude des dirigeants sepharades confrontes a la modernite, et forces de
defendre les valeurs traditionnelles. Meme si, pour l’instant et tres heureusement, ce phenomene de durcissement ne se compare pas au fondamentalisme de certains cercles achkenazes extremes.
En ce qui concerne les דברים שבקדושה le (בן איש חי (בא א’ יב et le ערוך השולחן(עה ז ont clairement statue que le fait que nombre de femme aujourd’hui ne se couvrent pas la tete meme les femmes
maries ils n’y a par concequent plus de יצר הרע et donc il est tout a fait permi de prier et etudier devant une femme marie qui a la tete decouverte cependant ils ont bien note que cela n’enleve en
rien de la gravite de la faute pour la la femme elle meme qui se doit de se couvrir la tete et je vous cite »אוי לנו כי כך עלתה בדורינו » par consequent lorsque une decision halahique et tes
discute et refute par 99% du reste des poskim il y a un certain danger a la publier dans un cite internet car malheuresent certains na retiennent que ce qu’ils veulent bien comprendre. C’est comme
si je vous amene l’avis d’un יחיד dשns les ראשונים sans avoir etudier la sougia profondement on risque de mal comprendre. Tous cela n’a rien a voir avec le profond respect que l’on doit avoir pour
cette grande figure du judaisme mais il faut garder a l’esprit les parole du בן איש חי הקדמה רב פעלים que les aharonim ont plusieur fois ecris des erreurs du fait de leur oubli des sources
enterieur c’est pour quoi il y a une obligation de comprender toutes les paroles des richonims qui eux nouvraient par la bouche sans etre certaint de la coherance totale avec le talmudes dans son
ensemble et toutes les sources halahique Mais n’oublions pas que pour le שולחן ערוך c’est au moin un interdit מדרבנן et gardons a l’esprit le psak du ( חוות יאיר(חושן משפט פת »ש כה quwune decision
contraire au clhan arouch de ns jour (surtout si auncun possek ne l’a contrredit a son epoque) est considere comme »טועה בדבר משנה ».Comprenons de la que pas tout ce qui a ete ecris ds la
litterature rabbinique (apres la חתימת התלמוד) est forcement juste.
NB: le michna beroura n’est pas d’accord avec la decision du BI »H et du A »A et il interdit de lire le chema devant une femme a tete decouvert meme de nos jours/
Cordialement.
Bonjour,
Les revues ou sites internet américains du courant modern-orthodox traitent-ils de Rav Yossef Messas ?
Une petite précision de langue qui me semble utile étant donné la fréquence de l’emploi de ce terme.
On ne dit pas « une responsa » mais « un responsum » ; c’est un mot latin neutre. « Responsa » est le pluriel. Un responsum, des responsa.
Donc, dans « un autre responsum » ou « dans ses responsa » (sans s, bien sûr).
Rav Bescherelle.
bel article! qui met en évidence l'apport et la sagesse du judaïsme séfarade à une époque ou il existe une curieuse tendance dans le monde de l'ultra orthodoxie à renier l apport sépharde et à suivre exclusivement la tradition asckenaze. Bravo Gabriel! OU peut on trouver les livres de lui que vous citez? (pour mon mari qui lit l hébreu).
Vous pouvez trouver une partie de ces livres ici : http://www.wslibrary.net/catalog/advanced_search_result.php?keywords=%26%231497%3B%26%231493%3B%26%231505%3B%26%231507%3B+%26%231502%3B%26%231513%3B%26%231488%3B%26%231513%3B
Attention, il s'agit d'un hébreu rabbinique qui demande une certaine habitude. Tous ses livres ne sont malheureusement pas disponibles.
Notez la Haggada (dispo en hébreu/français et phonétique) qui vient d'être republiée et qui est décorée des magnifiques dessins du rav.
Nous avons eu ce soir sur la chaine 10 un documentaire sur le monde ultra-orthodoxe après le depart des Rabbins Chakh, Eliashiv et Yossef. Le vide total.
Il y aura encore 2 autres documentaires. A Janick :, la route est libre pour retouner
a la tradition paternelle comme cela est ecrit dans la Haftara de Shabat Hagadol.
Je ramenerais le coeur des peres vers les fils et celui des fils vers leurs peres.
Pour les livres vous avez la librairie sepharade a Jerusalem.
Correction!
Dans la source que vous citez, et qui est disponible sur HebrewBooks, différents arguments sont exposés.
Cependant, dans sa conclusion, le Rav ne revient aucunement sur l’impératif Halakhique pour les femmes mariées de se couvrir la tête.
אמת ושלו.ם אהבו….
Bonjour,
la conclusion du rav est plus que claire, tant dans otsar hamikhtavim, que dans son livre de responsa « Mayim Hayim » où il revient sur ce heter.
Soulignons également que ce heter est tout à fait connu chez les habitués de la halakha nord-africaine. D’autres rabbins le citent et expriment leur accord (Rav Moshé Malka, par exemple) ou leur désaccord (Rav Chalom Messas).
Voir d’autres références sur ce sujet ici : https://www.aderaba.fr/approfondissements/
4.5