Quand une olive devient un œuf

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Pessah’ est déjà loin derrière nous, mais tout le monde se rappelle le soir du Seder. La famille, les quatre coupes, la lecture de la Hagada et surtout la Matsa.

Plusieurs règles régissent la consommation de la Matsa le soir du seder. Premièrement, il est obligatoire d’en manger le premier soir. Deuxièmement, on en mange à plusieurs reprises : pendant le Motsi, puis pendant Korech et enfin pendant Tsafoun. Mais surtout, il faut en manger une certaine quantité. Durant le Motsi, il faut prendre au moins deux kazayit.

La plupart des autorités contemporaines se basent sur les conclusions du Rav A.H Naeh qui considérait qu’un kazayit correspond à un volume de 29 centimètres cube (shiourei torah, 3, p.158). Certains se montrent plus strictes et suivent l’avis du Hazon Ish, qui exigeait un minimum de 50 centimètres cubes (Hazon Ish, O.H, Kountrass hashyourim).

Il faut donc manger au moins 60 cm3de Matsa lors du Motsi. Selon l’opinion la plus souple, ce volume correspond à 20 grammes de Matsa. Selon le Hazon Ish, on arrivera à 28 grammes. J’imagine que ces chiffres restent très théorique pour la plupart des lecteurs. Pour les rendre plus concrets, il faut préciser qu’une Matsa moyenne pèse au alentours de 33 grammes. Par conséquent, il faudrait manger plus d’une demi-matsa pour s’acquitter de la mitsva de motsi (sic). Certaines autorités se montrent plus souples et ne nécessitent « que » un tiers de matsa…

Le vrai problème c’est que le kazayit  n’est pas une mesure classique. Kazayit  signifie littéralement « comme une olive »Si la Torah nous demande de manger un volume qui correspond à celui d’une olive, comment sommes nous arrivés à une trentaine de centimètres cube ? Après tout, une olive ne dépasse pas les quatre centimètres cube (et je parle d’une grosse olive !).

Si vous osez poser cette question à voix haute le soir du Seder, il y aura toujours quelqu’un pour vous répondre qu’ « à l’époque du Talmud les olives étaient plus grosses » (apparemment, elles étaient vraiment énormes).

Un esprit rationnel ne sera que très moyennement convaincu, mais ne disposera pas toujours du matériel nécessaire pour contredire une telle affirmation et devra donc manger sa demie matsa en silence…

D’ailleurs, si l’interlocuteur est érudit, il soulignera même que c’est là l’avis du Mishna Broura (486,1) qui se base sur l’opinion du Noda BiYehouda (Tzlach, Pessachim 120a)…

Heureusement, certains ont pris le sujet à cœur. C’est le cas du Rav Natan Slifkin, webmaster de l’excellent blog « Rationalist Judaism » qui a rédigé un superbe article dans lequel il prouve l’absurdité de cette thèse. L’article est disponible ICI (l’auteur demande un payement symbolique pour le travail de recherche considérable qu’il a du fournir).

Pour résumer les grandes lignes, R. Slifkin commence par prouver que les olives israéliennes d’il y a deux milles ans n’ont pas changé (surprise !). Les preuves sont simples et évidentes. Jusqu’à ce jours, on trouve en Israël des oliviers de plus de deux milles dont les fruits n’ont pas de proportions titanesques. Pour ceux qui doutent encore, de nombreuses jarres d’olives fossilisées ont été trouvées dans des lieux tels que Massada et celles là aussi ont une taille tout à fait modeste.

R. Slifkin ramène également l’avis du Rav Sherira Gaon (Xe siècle) qui explique que les sages ont fixé les mesures en fonction des olives car celles ci sont éternellement présentent et ont une taille qui ne changent pas (Sefer Ha-Eshkol vol. II, Hilchot Challah 13 p. 52). D’ailleurs, comme le prouve R. Slifkin, la grande majorité des Rishonim semblaient également considérer qu’une olive restait une olive…

D’où est née l’idée selon laquelle une olive des temps passés pouvait avoir un volume de 30 centimètres cube ?

Le Rav Slifkin propose une théorie intéressante. Selon lui, l’exagération de la taille du fruit débute chez certains Rishonim ashkénazes, car ces derniers n’avaient jamais vu d’olives! Pour prouver sa thèse, l’auteur nous ramène plusieurs sources tel que l’avis du Rav Eliezer Ben Yoel Halevy (XIIe siècle) qui confesse ne pas connaître la taille des olives et qui conclut donc qu’il faut mieux se montrer stricte et prendre une grande taille pour éviter les doutes (Ravyah, Berachot 107).

De génération en génération, les tailles ont été progressivement augmentées jusqu’à ce que le Noda BiYehouda (XVIIIe siècle) statue que de nos jours « une olive à la taille d’un œuf » (Tzlach, Pessachim 120a) !

Mais le plus étonnant, c’est que Rav Slifkin ramène également une liste non-exhaustive de rabbins contemporains qui estiment qu’un kazayità toujours la taille d’une olive normale. Tel est l’avis, par exemple, du Chayé Adam  (Sefer Ha-Eshkolvol. II, Hilchot Challah 13 p. 52) et du Rav Chayim de Volozin (Kehillas Yaakov, Pesachim 38.).

Cette opinion provient de personnalités extrêmement reconnues dans le monde religieux. Il s’agit également de l’avis le plus logique, comment ce fait-il qu’il soit tellement ignoré ?

A mon avis, cela témoigne d’un phénomène problématique et en pleine croissance au sein du monde religieux. Celui-ci est beaucoup plus intéressé par la perpétuation des habitudes ancrées dans la conscience juive que par le vrai respect de la Halakha. La Halakha, système extrêmement logique et rationnel, est désormais étudiée de façon fondamentaliste. L’application sèche de la loi à remplacé la recherche de vérité, et le cas du kazayit n’est qu’un exemple parmi d’autres…

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