Quand une olive devient un œuf – Partie II

Note préalable : comme toujours, je tiens à préciser que les articles de la partie « Halakha » touchent au domaine de l’étude et de la réflexion. Pour la Halakha pratique,, il convient de se référer à son rabbin ou à ses habitudes familiales (si elles possédent une base solide).
J’avais écris un article il y a quelques temps, discutant de l’évolution du kazayit et du kabetsa[littéralement, « comme une olive » et « comme un œuf »]. Le kazayit et le kabetsa possèdent une importance primordiale dans la Halakha. Il s’agit d’une mesure donnée par le Talmud ayant une multitude d’implications pratiques. Ainsi, il faut manger au moins un kazayit pour pouvoir réciter la bénédiction d’après le repas, il faut consommer unkazayit de pain (certains nécessitent unkabetsa)sous la Soucca pour se rendre quitte de l’obligation de manger dans la Soucca le premier soir de Souccot, il faut consommer un kazayit de Matsa (certains disent deux) et de Maror pour accomplir la Mitsva à Pessah’. Il faut manger plus d’un kazayit à Kippour pour être condamné par un Beth Din, et ainsi de suite. Autrement dit, la mesure du kazayit et du kabetsa et primordiale dans la vie quotidienne du Juif religieux.
Comme nous l’avions dit dans le premier article, cette mesure est a priori des plus simples : pour manger un kazayit de Matsa (par exemple), il suffit de prendre un volume de Matsa comparable à celui d’une olive. Soit environ quatre centimètres cubes.
Cependant, nous avions alors précisé qu’il existe aujourd’hui deux avis principaux sur la taille du kazayit de nos jours. Le premier est l’avis du Rav Naeh, qui évalue lekazayit à 29 centimètres cubes1, le second est celui du Hazon Ish qui nécessite 50 centimètres cubes2 ! Où est passée l’olive ?
Dans le précédent article, nous avions prouvé que, contrairement à l’avis populaire (ainsi qu’à l’avis de quelques acharonim3), les olives et les œufs n’ont pas pu diminuer de taille. Outre l’impossibilité scientifique, nous avons également des preuves archéologiques incontestables, comme par exemple des jarres d’olives trouvées à Massada et datant justement de la période talmudique.
Deux questions sont donc à éclaircir :
a) Si les olives et les œufs n’ont pas diminué de volume, comment le Rav Naeh et le Hazon Ish sont-ils arrivés à de telles mesures ?
b) Existe t-il des autorités pensant qu’un kazayit correspond au volume d’une olive ?
L’avis du Rav Naeh : fruits et œufs identiques, mais différents
Le Rav Naeh publia son livre Shiourei Torah durant les années trente du siècle dernier. Conscient de l’absurdité de la thèse du rapetissement des fruits et des œufs, le Rav Naeh rejeta également la thèse de Rav Sherira Gaon (citée dans le premier article) selon laquelle les œufs et les olives ont des tailles standards universelle4.
Pris entre le marteau et l’enclume, le Rav Naeh proposa une autre théorie : les fruits n’ont pas rétrécies, mais il existe cependant plusieurs races. Ainsi, certains plants d’olives sont plus gros que d’autres et il est fort probable que les plants israéliens d’il y a deux milles ans étaient plus gros que les nôtres5.
Le raisonnement est le même en ce qui concerne le volume du kabeitsa, le Rav Naeh considère qu’il existe des œufs de différentes tailles et qu’il est donc impossible de savoir quel était l’œuf moyen de l’époque talmudique6. (Cette constatation part du présupposé que « l’œuf moyen » dont parle la Mishna7 signifie « l’œuf moyen de la terre d’Israël à l’époque du Talmud ». Nous verrons par la suite que nombreux sont ceux qui ont compris différemment cette expression.) Dans tous les cas, cela pousse le Rav Naeh à refuser de calculer les volumes du kazayit et du kabeitsa selon le volume des œufs et des olives de son époque. Le Rav Naeh préfère donc estimer ces volumes à l’aide de calculs compliqués et incertains, se basant sur les textes du Talmud et des Rishonim.
Évidemment, le Rav Naeh s’appuie sur de très nombreuses références pour étayer sa thèse. Cependant, nous connaissons aujourd’hui avec certitude la taille des olives israéliennes du Talmud, qui était similaire à celle des olives actuelles. La thèse du Rav Naeh paraît alors difficile à accepter.
L’avis du Hazon Ish : aux rabbanim de fixer les tailles
Comme nous l’avions dit, le Hazon Ish – dans son essai Kountrass Hashiourim – propose une mesure du kazayit douze fois plus grande que celle d’une olive normale !
Cependant, l’avis du Hazon Ish possède une logique interne difficilement contestable, si on en accepte l’axiome de base. Sur quoi se base son avis ?
En résumé, le Hazon Ish prouve tout d’abord que dans l’idéal, le kazayit a un volume bien précis. Cependant, à moins de posséder une tradition ininterrompuedepuis Moché sur le volume du kazayit, les sages sont obligés de fixer ce volume à chaque génération.
Le Gaon de Vilna et le Noda Biyehouda, ne possédant pas de tradition précise sur le volume du kazayit et du kabetsa, ont dû recalculer ce volume à partir des données fournies par la Guemara. À cause d’une incohérence entre deux mesures relatives (par rapport au « pouce » et à l’oeuf), ces grands décisionnaires sont arrivés à la conclusion que les œufs avaient diminué de volume. (Ils auraient pu arriver à la conclusion que ce sont nos pouces qui ont augmenté, mais le Hazon Ish estime qu’il est plus logique de supposer que les œufs ont diminué).
Ce qui devient intéressant, c’est que le Hazon Ish admet que les tailles n’ont pas changé ! Il va même jusqu’à citer la réponse de Rav Sherira Gaon qui écrivait explicitement « que les sages ont fixé les mesures en fonction des olives carcelles ci sont partout présentes et ont une taille qui ne changent pas avec le temps !8».
Dans ce cas, pourquoi ne pas définir le volume du kazayit selon le volume d’une olive d’aujourd’hui ?
Parce que, nous dit le Hazon Ish :
« il n’est pas juste de parler de vérité ou d’erreur, car [le volume du kazayit] est fixé selon l’avis de « celui qui voit ». Et « l’avis de celui qui voit » est l’avis d’un tribunal composé des Grands de la génération(guedolei hador), qui ont fixé ainsi le volume. Et ce qui leur semble être juste, c’est cela la vérité, et c’est cela la véritable mesure. »9
Expliquons ce passage un peu obscur. La Mishna10 écrit : « le kabeitsa (l’œuf) dont il s’agit n’est ni gros, ni petit, mais moyen. […] Et tout va selon « l’avis de celui qui voit »».
Cette expression « l’avis de celui qui voit » (דעתו של רואה), le Hazon Ish l’interprète de façon assez étonnante. Pour lui, cela signifie que le volume d’un oeuf est fixé selon l’avis des Grands de la génération, même si cet avis ne se base pas sur ce qu’ilsvoient (peut être parce qu’ils n’avaient pas d’olives), mais selon ce qu’ils pensent… Et peu importe si cela contredit nos données objectives !
Autrement dit, le Hazon Ish a construit un système quasiment indestructible: leschiourim sont fixés selon l’avis des Grands de la génération et non pas selon la taille réelle des olives et des œufs ! Si cet avis contredit les données sur le terrain à propos du volume du kabeitsa à l’époque du Talmud, cela ne change absolument rien car « hakol massour lédato shel haroeh », c’est aux Sages que revient le droit de fixer les volumes…
Comme je l’écrivais, ce raisonnement possède une logique interne parfaite. Notre seul possibilité d’objection réside dans la réfutation de l’axiome de base du Hazon Ishqui interprète de façon non-littérale la phrase de la Mishna « hakol massour lédato shel haroeh »11.
En effet, cette interprétation est extrêmement novatrice, la majorité des autorités ayant compris cette expression de façon radicalement différente. Par exemple, le Rav Ovadia Barteinoura, dans son commentaire sur la Mishna, explique que cette phrase signifie « selon son évaluation de la taille moyenne [des œufs qui se trouvent] devant ses yeux ». Autrement dit, l’extrême opposé de l’explication du Hazon Ish ! La « taille moyenne » du kabeitsaserait fixée selon la taille moyenne des œufs de la région…
[Je me permet une parenthèse pour souligner que ce Hazon Ish rejoint bien la thèse que j’avais développé dans mon article « Mort cérébrale, dons d’organes, Halakha et Hashkafa », selon laquelle des positions hashkafatiques interviennent bien souvent dans les décisions halakhiques. Pour les plus intéressés, voir l’article et ses commentaires]
Un kazayit reste une olive : autres avis
Une question reste irrésolue : si les olives n’ont pas changé, pourquoi aucun décisionnaire contemporain n’admet que la taille d’un kazayit équivaut à 4 centimètres cubes (soit six fois moins que l’avis du Rav Naeh et douze fois moins que le Hazon Ish !) ?
A vrai dire, certaines autorités modernes ont en effet tranché en faveur d’un kazayitde 4 centimètres cubes !
Voici une petite liste non-exhaustiveque j’ai trouvée au cours de mes recherches.
Précisons que je ne m’intéresserai pas aux Rishonim, dont aucun n’a jugé nécessaire de définir le kazayit(on se demande pourquoi…), mais uniquement aux décisionnaires modernes.
- Ainsi, le Rav Hayim de Volozin considérait que le kazayit possédait le volume d’une olive actuelle, y compris en ce qui concerne la quantité de Matsa à consommer12…
- Le Rav Elchanan Wasserman écrit également en faveur de l’avis des Gueonim13.
- Le Rav Kook, commentant l’avis de Rav Sherira Gaon, écrit : « les paroles du Gaon sont explicites, et il n’y a pas lieu de craindre un changement [dans le volume du kazayit] »14 et ramène même des arguments en sa faveur.
- Le Rav Auerbach rapporte un avis similaire au nom du Avnei Nezer.15
- Le Rav Neriah Gutel, dans son livre Yshtanout hativyim, rapporte aussi une liste d’avis similaires16.
Je reste convaincu que tel était l’avis de nombreux décisionnaires nord-africains. Si quelqu’un possède des informations allant dans ce sens, je lui serai gré de bien vouloir les partager avec nous !
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1Shiourei torah, 3, p.158
2Hazon Ish, O.H, Kountrass hashyourim
3Par exemple le Tzlach sur Pessachim 120a
4 Le Rav Naeh ne peut évidemment pas s’opposer à un Gaon, mais estime que le texte ne peut être authentique.
5Shiourei torah, 2, 5
6Shiourei torah, 3,5
7Kelim 17:6
8Sefer Ha-Eshkol vol. II, Hilchot Challah 13 p. 52
9Hazon Ish, O.H, Kountrass hashyourim , 6
10 Kelim 17:6
11Il est également intéressant de noter que, comme à son habitude, le Hazon Ish considère que les décisions des rabbins lituaniens font force de loi pour tout Israël… Y compris pour les juifs vivant en Israël et possédant une tradition très différente.
12Rapporté par le Steipler dans son Kehillat Yaakov, Pesachim 38 ainsi que dans le Shaar Rachamim(Vilna 1871) du Rav Katselboguen. Cité par Mordechai Kaslo dans Techoumin 10.
13Kovetz Shiourim II:46
14Otsar Hagueonim IV, p.16. Cité par le Rav Neriah Gutel dans son Yshtanout hativyim
15Midot Veshiourei Torah, Beinich. Cité par Mordechai Kaslo dans Techoumin 10.
16Yshtanout Hativyim, p.63, note 129
Hazak !
J’imagine que les commentaires sur le dernier billet de mon blog ne t’ont pas échappé…:-)
En bref, à défaut de temps :
-« Je reste convaincu que tel était l’avis de nombreux décisionnaires nord-africains. » sans aucune référence, c’est ce qu’on appelle une supputation gratuite (du type « je suis sûr qu’il doit bien y
en avoir un qui me donne raison ».)
-« Je me permet une parenthèse pour souligner que ce Hazon Ish rejoint bien la thèse que j’avais développé dans mon article « Mort cérébrale, dons d’organes, Halakha et Hashkafa », selon laquelle
des positions hashkafatiques interviennent bien souvent dans les décisions halakhiques. » Yes but, le débat étant beaucoup plus ancien, en réalité sa cristallisation, se fait sur la base du Noda
biyehouda. Difficile de taxer le noble Maitre praguois de subir l’horrible influence de la Hachkafa harédite dans ses psakim.
Je ne doute pas un instant, et c’est évident à la lecture de vos articles, de la profondeur de vos recherches. Juste que j’ai eu l’impression dans ce cas précis, même si la problématique est bien
posée, que vous aviez une réponse avant de poser la question.
Hazak pour votre blog courageux et d’un grand intérêt
David
excellent article.par contre contrairement à la majorité des issourim de la torah, a kippour la punition ne tombe pas à kazayit. effectivement la torah nous demande à kippour de « soufrir » veanitem
et nafchotekhem. hakhamim comprennent que meme en mangeant kazayit; on souffre encore et on est donc pas punissable. sauf si je me trompe. merci pour tous vos ecrits toujours interessants.
En bref, à défaut de temps :
-« Je reste convaincu que tel était l’avis de nombreux décisionnaires nord-africains. » sans aucune référence, c’est ce qu’on appelle une supputation gratuite (du type « je suis sûr qu’il doit bien y
en avoir un qui me donne raison ».)
-« Je me permet une parenthèse pour souligner que ce Hazon Ish rejoint bien la thèse que j’avais développé dans mon article « Mort cérébrale, dons d’organes, Halakha et Hashkafa », selon laquelle
des positions hashkafatiques interviennent bien souvent dans les décisions halakhiques. » Yes but, le débat étant beaucoup plus ancien, en réalité sa cristallisation, se fait sur la base du Noda
biyehouda. Difficile de taxer le noble Maitre praguois de subir l’horrible influence de la Hachkafa harédite dans ses psakim.
Je ne doute pas un instant, et c’est évident à la lecture de vos articles, de la profondeur de vos recherches. Juste que j’ai eu l’impression dans ce cas précis, même si la problématique est bien
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David
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Je ne doute pas un instant, et c’est évident à la lecture de vos articles, de la profondeur de vos recherches. Juste que j’ai eu l’impression dans ce cas précis, même si la problématique est bien
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Je ne doute pas un instant, et c’est évident à la lecture de vos articles, de la profondeur de vos recherches. Juste que j’ai eu l’impression dans ce cas précis, même si la problématique est bien
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