Prêtre ou roi ? Les oubliés de Hannouca
re-post de 2012
Hannouca est peut être bien la fête la plus manichéenne du judaïsme. Au cœur de l’obscurité hivernale arrive la fête de la Lumière – où nous célébrons la victoire des faibles sur les forts, des moindres sur les nombreux, des purs sur les impurs, des justes sur les impies1. Hannouca oppose la sagesse juive à la sagesse grecque. Sagesse reconnue2 mais qualifiée d’ « obscurité »3. Autrement dit, le coté obscur de la Force…
Bref, un dualisme certain, qui englobe l’ensemble de la fête et qui n’épargne pas les héros de l’histoire – les Hasmonéens.
Ce sont les hasmonéens qui furent les premiers à se rebeller contre l’envahisseur grec. Ce sont eux qui partirent au combat, malgré la défaite pourtant inévitable. Ce sont eux qui purifièrent le Temple, rétablirent le culte et sauvèrent le judaïsme.
Pourtant, leur nom n’est quasiment pas mentionné lors de cette fête… On allume lahanoukia pour commémorer le miracle de la fiole d’huile qui brûla huit jours, mais rien ne rappelle la victoire inopinée des Hasmonéens. Il est pourtant évident que c’est cette victoire qui incarne le véritable miracle de Hannouca4. Le livre des Maccabées fut rejeté du canon biblique et dans la littérature talmudique, on ne trouve presque rien qui rappelle leur exploit, si ce n’est une brève mention dans le Al Hanissim5.
À titre de comparaison, un livre entier a été rajouté au corpus biblique, afin de raconter l’histoire du miracle de Pourim. Ce livre tourne autours des personnages centraux de la fête : Mordechaï et Esther. De plus, de nombreuses mitsvot ont été instituées en souvenir des actes d’Esther. Comme elle, nous jeunons la veille de la fête. Comme elle, nous organisons un festin…
On a le sentiment que la tradition juive a opéré un véritable révisionnisme historique, destiné à diminuer – voir effacer – le rôle des makabim. Pourquoi ?
Il faut savoir que les Hasmonéens appartenaient à la caste des cohanim (prêtres). Or, selon la tradition juive, la royauté ne revient qu’à la tribu de Yéhouda. Les Hasmonéens, en s’accaparant le pouvoir politique, commirent donc une faute6.
Mais même pécheurs, les hasmonéens demeurent les libérateurs du Temple, ceux qui ressuscitèrent la foi juive en Israël. La moindre des reconnaissances aurait donc été un rappel un peu plus explicite du rôle qui fut le leur dans l’accomplissement du miracle de Hannouca.
À mon avis, pour comprendre la position des sages, il convient de mieux cerner la faute des makabim. Comme nous l’avons mentionné, les hasmonéens étaient issus d’une famille prêtresse. Or, les prêtres de l’époque du Temple incarnaient le pouvoir spirituel tandis que les rois – issus de la tribu de Yéhouda – incarnaient le pouvoir temporel.
Depuis les origines, ces deux pouvoirs se devaient d’être bien distincts. S’il arrive au Cohen d’intervenir dans la vie civile – en déclarant l’état de guerre ou en guidant le roi – il n’a cependant pas le droit de devenir le dirigeant politique. Pareillement, si le roi se doit d’être fidèle à la foi d’Israël, la direction du culte ne lui appartient pas pour autant.
En mélangeant ces deux fonctions, les hasmonéens condamnaient la religion à devenir une vassale de la politique. Celle-ci n’est plus autonome, mais soumise au bon vouloir du Roi. C’est d’ailleurs ce qui se passa très rapidement au sein de la dynastie hasmonéenne décadente.
Très vite, les rois hasmonéens abandonnèrent la foi de leurs pères pour rejoindre le camp saducéen7. Alexandre Janée alla même jusqu’à massacrer des centaines de sages8. Il était pourtant le descendant direct de Shimon le Juste, un des premiers hasmonéen, considéré comme l’un des grands promoteurs de la Torah orale (celle là même à laquelle les saducéens s’opposaient).
Au niveau politique, les choses n’allèrent pas beaucoup mieux et la dynastie hasmonéenne ne tarda pas à disparaître totalement.
Les sages, en effaçant le souvenir des hasmonéens, cherchaient certainement à nous éviter les mêmes erreurs. Ainsi :
- Soumettre la religion au pouvoir politique c’est inévitablement condamner la première, qui sera vite instrumentalisée au profit de la politique.
- Confondre un guide religieux avec un guide politique mène également le pouvoir temporel à sa perte, tant la fonction ne lui correspond pas.
Comme le formule si bien Rav Kook :
Les hommes d’actions – talentueux dans le domaine pratique – ne possèdent pas une vision claire dans le domaine spirituel, car leur vision spirituelle est dépendante et mélangée avec de sombres verdicts découlant du monde de l’action dans lequel évoluent ces hommes.
De même, les hommes spirituels, qui se tiennent au sommet de l’univers, ne possèdent pas une vision pratique complète, et leur connaissance pratique n’est que l’ombre qui découle de leurs hautes connaissances spirituelles. […]9
–
NOTES :
Dans le même ordre d’idées, les sages autorisent la rédaction d’un sefer torah en grec ! (merci à E. Bloch pour cette référence).
Le Talmud (Shabbat 21b) note également que le 25 Kislev la maison des hasmonéens triompha…
9 Shmonei Kévatzim I, 192 – il est très dur de traduire les écrits du Rav Kook. La traduction est donc approximative.
Le petit fils de Matitiahou devenu saduceen, en note 7, tu parles de Jean Hyrcan? C’est un petit fils?
Bonjour,
Il y a plusieurs explications à la « censure » des ‘hashmonaïm, et surtout à son omission dans la Michna. Le ‘Hatam Sofer partage ton explication en supposant que Rabbi Yéhouda haNassi, lui-même
descendant de David ne voulut pas cautionner cette profanation de la royauté.
D’autres (R. Reouven Mergulies et Ziv haMinhaguim) repoussent cette idée et supposent simplement qu’une mention d’une révolte nationale dans la Michna n’aurait pas été voulue par R. Yehouda haNassi
lui-même proche du pouvoir romain, et ayant tout intérêt à ne pas mettre en avant des sentiments nationalistes. (rapporté dans « Chanukah » de artscroll -en anglais- p.97)
à noter que Rav Kaminetzky, il n’y aurait pas lieu d’accuser les ‘Hachmonaïm car ceux-ci n’ont pas pris le titre de « Melekh » mais uniquement de « Nassi’, en attendant la venue sur le trône d’un
descendant de David (ibid. p.87).
On avance généralement l’incompatibilité entre « Cohen Gadol » et « Melekh » comme une séparation des pouvoirs entre politique et religieux. Une telle comparaison est erronée. En effet, le « melekh »
doit obéir aux injonctions du « navi » (prophète), or le navi n’est-il pas le premier représentant « religieux » de Dieu ? C’est car Shaoul a désobéi aux injonctions du prophète Shmouel qu’il a perdu
son droit à la royauté (I Sam 13, 13-14 et 15, 10s.)
Même Rav Kook qui s’oppose à une connivence entre « politique » et « religieux » ne s’exprime ainsi que car il considère le « politique » comme une déviation de « l’idée nationale » et le « religieux » comme
une déviation de « l’idée divine ». Cependant il affirme avec force que les deux notions sont intrinsèquement liées lorsqu’elles ne sont pas altérées, et que la possibilité de vivre correctement la
Torah ne peut exister que lorsque le salut individuel se confond avec l’intérêt collectif, comme cela était le cas dans le règne du roi Salomon (« lemahalakh haideot baadam oubeisraël », dans Orot,
tr française B. Gross : Les destins du peuple juif, politique et religion dans la pensée du Rav Kook, Albin Michel 2012).
Il s’agit d’une remarque générale, et automatiquement d’une critique sur l’article.
Il y a une différence entre d’une part,éviter la concentration des pouvoirs et d’autre part, établir une distinction entre politique et religieux. Si la première idée est sans doute juive comme en
témoignerait l’incompatibilité entre Melekh et Cohen Gadol, la seconde provient des disputes théologiques entre l’ Église et la Royauté depuis Saint-Augustin (4ème siècle), affirmant que le
temporel (royauté) doit se plier au spirituel (Église) jusqu’à Jean Bodin développant au contraire une toute puissance du souverain par rapport aux ecclésiastiques. Cependant lorsque le Roi
s’écartait de l’ Église, ou plutôt de ses représentants, c’est qu’il portait lui-même le rôle de représentant spirituel de la nation.
Donc que le spirituel soit détaché ou non du Temporel dans les instances, il n’en reste pas moins que le religieux et le politique restent intrinsèquement liés. La différence étant que dans un cas,
le religieux influence le politique, alors que dans l’autre, le politique est le religieux.
Le système des partis religieux en Israël aujourd’hui (est il me semble une apogée du « religieux » créé par l’exil et se justifiant davantage par la défense d’intérêts individuels ou communautaires
que par la recherche d’une union entre idée nationale et idée divine (Rav Kook). Le rejet de cette situation ne signifie pas l’acceptation du religieux dans la sphère strictement privée à l’image
de la séparation de l’église et l’état post-1905. La crainte de la concentration des pouvoirs est légitime mais la séparation du politique et du religieux n’est en soi pas envisageable dans
l’Israël messianique (reproduction du royaume de Salomon avec les acquis positifs de l’époque du second Temple et de l’Exil- Rav Kook.
Je me sens presque vexé 😉
Super article Gabriel !
C’est quoi le « religieux »? Le prophète? le Grand-Prêtre? le Sanhédrin?
Bonsoir Gabriel,
Dans Shabbat 21b une beraita parle de la « maison royale » des hasmonéens et dit (traduction française artscroll) « et lorsque la maison royale des hasmonéens prit le dessus et les vainquit ». Une
question me vient à l’esprit avec ce passage :
– pourquoi parle-t-on de « maison royale » pour les Hasmonéens? En effet l’expression « maison royale » semble être une expression positive alors que les Hasmonéens ont usurpé la fonction royale, étant
donné qu’ils appartenait à la prêtrise. N’est-ce pas étrange que l’expression royale soit employée de manière aussi « banale » du moins sans explication cette expression « maison royale » au profit des
Hasmonéens ?
Merci d’avance pour ta réponse.
A git woch
Le petit fils de Matitiahou devenu saduceen, en note 7, tu parles de Jean Hyrcan? C’est un petit fils?
Il s’agit d’une remarque générale, et automatiquement d’une critique sur l’article.
Il y a une différence entre d’une part,éviter la concentration des pouvoirs et d’autre part, établir une distinction entre politique et religieux. Si la première idée est sans doute juive comme en
témoignerait l’incompatibilité entre Melekh et Cohen Gadol, la seconde provient des disputes théologiques entre l’ Église et la Royauté depuis Saint-Augustin (4ème siècle), affirmant que le
temporel (royauté) doit se plier au spirituel (Église) jusqu’à Jean Bodin développant au contraire une toute puissance du souverain par rapport aux ecclésiastiques. Cependant lorsque le Roi
s’écartait de l’ Église, ou plutôt de ses représentants, c’est qu’il portait lui-même le rôle de représentant spirituel de la nation.
Donc que le spirituel soit détaché ou non du Temporel dans les instances, il n’en reste pas moins que le religieux et le politique restent intrinsèquement liés. La différence étant que dans un cas,
le religieux influence le politique, alors que dans l’autre, le politique est le religieux.
Le système des partis religieux en Israël aujourd’hui (est il me semble une apogée du « religieux » créé par l’exil et se justifiant davantage par la défense d’intérêts individuels ou communautaires
que par la recherche d’une union entre idée nationale et idée divine (Rav Kook). Le rejet de cette situation ne signifie pas l’acceptation du religieux dans la sphère strictement privée à l’image
de la séparation de l’église et l’état post-1905. La crainte de la concentration des pouvoirs est légitime mais la séparation du politique et du religieux n’est en soi pas envisageable dans
l’Israël messianique (reproduction du royaume de Salomon avec les acquis positifs de l’époque du second Temple et de l’Exil- Rav Kook.
Je me sens presque vexé 😉
Super article Gabriel !
C’est quoi le « religieux »? Le prophète? le Grand-Prêtre? le Sanhédrin?
Le petit fils de Matitiahou devenu saduceen, en note 7, tu parles de Jean Hyrcan? C’est un petit fils?
Il s’agit d’une remarque générale, et automatiquement d’une critique sur l’article.
Il y a une différence entre d’une part,éviter la concentration des pouvoirs et d’autre part, établir une distinction entre politique et religieux. Si la première idée est sans doute juive comme en
témoignerait l’incompatibilité entre Melekh et Cohen Gadol, la seconde provient des disputes théologiques entre l’ Église et la Royauté depuis Saint-Augustin (4ème siècle), affirmant que le
temporel (royauté) doit se plier au spirituel (Église) jusqu’à Jean Bodin développant au contraire une toute puissance du souverain par rapport aux ecclésiastiques. Cependant lorsque le Roi
s’écartait de l’ Église, ou plutôt de ses représentants, c’est qu’il portait lui-même le rôle de représentant spirituel de la nation.
Donc que le spirituel soit détaché ou non du Temporel dans les instances, il n’en reste pas moins que le religieux et le politique restent intrinsèquement liés. La différence étant que dans un cas,
le religieux influence le politique, alors que dans l’autre, le politique est le religieux.
Le système des partis religieux en Israël aujourd’hui (est il me semble une apogée du « religieux » créé par l’exil et se justifiant davantage par la défense d’intérêts individuels ou communautaires
que par la recherche d’une union entre idée nationale et idée divine (Rav Kook). Le rejet de cette situation ne signifie pas l’acceptation du religieux dans la sphère strictement privée à l’image
de la séparation de l’église et l’état post-1905. La crainte de la concentration des pouvoirs est légitime mais la séparation du politique et du religieux n’est en soi pas envisageable dans
l’Israël messianique (reproduction du royaume de Salomon avec les acquis positifs de l’époque du second Temple et de l’Exil- Rav Kook.
Je me sens presque vexé 😉
Super article Gabriel !
C’est quoi le « religieux »? Le prophète? le Grand-Prêtre? le Sanhédrin?