Pourim : le coup de poing juif ?

  (repost du 03/2012)

http://midreshet.org.il/files.axd?id=991&w=300On raconte que Yeshayahou Leibowitz, qui vivait à Jérusalem, partait à Tel-Aviv le 15 Adar (jour de Pourim à Jérusalem et dans les villes fortifiées, le reste du monde célèbre Pourim le 14 Adar) afin de ne pas avoir à célébrer Pourim.

Cette histoire semble n’être qu’une légende, on comprend néanmoins d’où elle puise sa source. En effet, lorsqu’on connait les opinions politiques de Leibowitz, on a du mal à saisir comment celui-ci pouvait supporter la lecture de la Meguila, qui se termine sur le « coup de poing » juif qu’il détestait tant.

On se rappelle que Hamman, l’ennemi public numéro un du peuple juif, avait envoyé des décrets sanglants aux quatre coins du royaume perse où il ordonnait d’« exterminer, de tuer et de perdre tous les juifs – du plus jeune au plus vieux, nourrissonset femmes – en un seul jour. Le 13 du mois d’Adar. Et leurs biens seront pris en butin »1.

Le miracle de Pourim se produisit, c’est le célèbre renversement de situation qui se réalisa grâce par l’intermédiaire d’Esther et Mordéchaï. Si on ne peut que se réjouir de la non-réalisation de la solution finale perse, certaines zones d’ombres demeurent troublantes.

Ainsi, après la condamnation d’Hamman, Mordechaï obtient le sceau du roi Assuérus qui lui permet d’annuler le terrible édit. Mais Mordechaï ne se contente pas d’annuler le décret, il en rédige un autre déclarant « que le roi autorise les juifs, dans chaque ville, à se rassembler et à défendre leur vie, en exterminant, en tuant et en détruisant tout attroupement de populace qui les attaquerait, y compris les femmes et les enfants, et à faire main basse sur leur butin 2».

Nous comprenons tous la première partie de cet édit, qui n’est qu’un acte de légitime défense. Mais la seconde partie est choquante : pourquoi tuer les femmes et les enfants de l’ennemi ? Pourquoi prendre son butin ?

Ce décret est parfaitement symétrique à celui d’Hamman. Dès lors, on a du mal à saisir en quoi le peuple juif se comporte de façon plus morale que ses voisins. Les victimes deviendraient-elles les bourreaux ?

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À vrai dire, cette question me perturbe depuis plusieurs années. Ibn Ezra (Espagne, 12e siècle) nous propose une explication pertinente, qui a enfin soulagé ma conscience. (voir son commentaire sur Esther 8:8)

Comme beaucoup le savent, les lois perses ne donnaient pas la possibilité à quiconque de revenir sur un décret signé par le roi, pas même à ce dernier. La Meguila témoigne explicitement de l’existence de cette loi : « un ordre écrit au nom du roi et muni du sceau royal ne peut être rapporté 3».

Mordéchai est alors confronté à un problème stratégique: le roi l’autorise à écrire un nouvel édit, mais il ne peut annuler le premier. Il doit donc trouver une formulation fine et précise, qui protégera les juifs, sans pour autant annuler le premier décret.

Ibn Ezra nous explique alors le choix de Mordechaï : celui-ci décida d’écrire un décret symétrique à celui d’Hamman afin de sous-entendre qu’il s’agit là du décret originel que le roi voulait écrire. Alors que l’édit d’Hamman appelait au massacre des juifs, ce second édit appelle au massacre des ennemis des juifs, exactement dans les mêmes termes que le premier. Le peuple est surpris par ce décret contradictoire, mais prête attention au fait que l’auteur du premier décret vient d’être pendu. Il est à parier que le peuple conclut que la pendaison d’Hamman est probablement due à « l’erreur » qu’il commit dans la rédaction de son édit, puisqu’il est clair que le roi ne voulait pas faire assassiner les juifs, mais leurs ennemis. Cette idée est renforcée par le fait que la Reine est une juive, chose maintenant connue de tous.

Cette explication me semble très convaincante et logique. N’était-ce pas la meilleure façon pour Mordechaï de sauver le peuple juif sans transgresser les lois du pays ?

Sous cette optique, l’autorisation du massacre des femmes et des enfants n’est due à une stratégie évidente de légitime défense.

Il est toutefois intéressant de noter que malgré cette autorisation, les juifs ne portèrent pas la main sur les innocents et sur le butin de leurs ennemis.

Les versets nous disent que :

« Dans Suse, la capitale, les juifs tuèrent ainsi et exterminèrent cinq centshommes » (9:6)

 les dix fils d’Aman, fils de Hamedata, persécuteur des juifs, ils les mirent à mort; mais ils ne portèrent pas la main sur le butin. » (9:10)

« Les juifs, présents à Suse, se rassemblèrent donc encore le quatorzième jour du mois d’Adar et firent périr à Suse trois centshommes; mais ils ne touchèrent pas au butin. Les autres juifs, établis dans des provinces du roi, s’étaient rassemblés pour défendre leur vie et se mettre à l’abri de leurs ennemis et avaient tué soixante-quinze mille de ceux qui les haïssaientsans mettre la main sur le butin. » (9:14-15)

Comme dit, les juifs se contentèrent de tuer leurs ennemis, sans toucher à leurs femmes ou leurs enfants. Plus encore, ils ne prirent pas de butin, malgré le décret royal explicite qui les autorisait à prendre ce qu’ils désiraient. Ils ne prirent même pas de butin chez la famille d’Hamman, qui voulait pourtant les exterminer sans la moindre raison.

Pourim est certes l’histoire du « coup de poing », mais pas n’importe lequel. Le coup de poing juif, qui ne cherche pas la vengeance mais la justice.

 

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1Esther 3:13
2Esther 8:11
3Esther 8:8
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