Le secret des douze : Ibn Ezra et la critique biblique
Introduction
Dans la série « La Torah et son contexte », je pensais sauter la question de la légitimité de la critique biblique. L’étude universitaire de la Bible est aujourd’hui très mal considérée dans les milieux juifs orthodoxes. La raison principale de ce rejet n’est pas tant due aux questions qu’une telle lecture peut susciter, mais bien aux réponses que les universitaires proposent. À l’origine, la critique biblique était exploitée pour désacraliser le texte et lui nier tout caractère révélé. Cette lecture, dite critique radicale, s’intéressait surtout aux origines et aux sources du texte.
Le judaïsme orthodoxe, adhérant à l’idée de « torah min hashamayim », d’une torah divine, ne peut accepter de telles conclusions. Il a donc tendance à rejeter en bloc toute cette approche universitaire. Cependant, si les conclusions sont discutables, les méthodes herméneutiques ne manquent (souvent) pas de sérieux. Ainsi, comme je l’avais déjà écrit, plusieurs rabbins orthodoxes s’y sont intéressés. À commencer par le Rav David Zvi Hoffmann (1843–1921), qui dirigea le séminaire rabbinique de Berlin, ainsi que l’arrière-petit-fils du Rav S.R Hirsch, le Rav Mordechai Breuer (1921-2007) .
Contrairement à l’avis dominant, tant chez les laïcs que chez les religieux, la religion juive ne recherche pas le dogme mais la vérité. Malheureusement, une grande partie du public religieux ne se sent plus concernée par cette affirmation … Mais telle était bien la démarche de la majorité des Sages à travers les époques. Cette démarche apparaît très clairement dans les écrits des Rishonim séfarades, les rabbins de l’âge d’or espagnol. Maimonide, Nahmanide, Ibn Ezra, Rabbi Yehouda Halevy, Ibn Gabirol, Abrabanel… Tant de noms célèbres dont les travaux témoignent d’une insatiable recherche de vérité.
La méthode herméneutique d’Ibn Ezra : une honnêteté intellectuelle à tout prix
Rabbi Avraham Ibn Ezra, auteur (entre autres) d’un commentaire sur la Torah, décrit ainsi sa manière de lire et d’expliquer la Bible : « et la cinquième voie, sur laquelle mon exégèse se base, me semble la plus honnête : moi qui me tiens devant Dieu,je ne crains que lui, et je ne ferais pas de demi-mesure dans la Torah ! Je chercherai de toutes mes forces le sens de chaque mot ».1
Ce qu’écrit ici Ibn Ezra, c’est qu’on ne peut comprendre le texte biblique qu’en l’abordant avec la plus grande honnêteté intellectuelle. Une recherche de vérité que rien n’arrête, pas même ce que les sages du Talmud ont écrit.Ainsi, Ibn Ezra se permet à de très nombreuses reprises de contredire les interprétations bibliques du Talmud lorsque celles-ci ne lui semblent pas correspondre avec le sens premier des versets.
C’est très certainement pour cette même recherche de vérité queIbn Ezra se permet de discuter l’identité de l’auteur de certains versets et de conclure qu’il ne peut s’agir de Moché !
Le »secret des douze » : Ibn Ezra et la critique biblique
La parasha de la semaine (Devarim) s’ouvre sur les versets :
Ce sont là les paroles que Moïse adressa à tout Israël en deçà du Jourdain, dans le désert, dans la plaine en face de Souf, entre Pharan et Tofel, Labân, Hacéroth et Di-Zahab. Il y a onze journées depuis le Horeb, en passant par le mont Séir, jusqu’à Kadéch-Barnéa. Or, ce fut dans la quarantième année, le onzième mois, le premier jour du mois, que Moïse redit aux enfants d’Israël tout ce que l’Éternel lui avait ordonné à leur égard. 2
Ces versets apparemment anodins n’ont pas laissé indifférent le Ibn Ezra qui commente :
« Si tu comprends le secret des douze, ainsi que les versets « et Moché écrivit »3, « et les cananéens étaient alors dans le pays »4, « Sur le mont d’Hachem-Yéraé »5 et « Voici son lit, un lit de fer »6, alors tu connaitras la vérité [de ce verset]. »7
Un commentaire bien énigmatique, qui ne manque pas d’éveiller la curiosité du lecteur attentif… Un rapide coup d’œil sur les autres versets que le Ibn Ezra cite, ne fera qu’amplifier l’énigme : ainsi, sur le verset « et les cananéens étaient alors dans le pays », il écrit « il y a peut être un secret, et l’intelligent attendra8 » et sur le verset « la montagne d’Hachem-Yéraé », il se contente d’une simple allusion : « [cf.] et voici les paroles » …
Avant même de trouver quel est ce « secret des douze », il convient de comprendre quel point dérange le Ibn Ezra dans ces versets. À ce niveau, les avis des supracommentaires divergent : la plupart y voient un problème de style9, ces versets sont écrits à la troisième personne et sur un ton narratif, tandis que ceux qui suivent sont écris comme un discours que Moché aurait prononcé. D’autres y voient un problème technique : l’expression מעבר הירדן (a priori « au-delà du Jourdain ») est étonnante car Moché n’a jamais franchi le Jourdain10…
Autrement dit, tout le monde s’accorde sur le fait que la question qui travaillait le Ibn Ezra était une question de critique biblique (problème de style ou incompatibilité historique du texte).
Quel est le « secret des douze » ? A ce niveau, les avis sont unanimes11. Les « douze » font références aux douze derniers versets de la Torah. Ces versets racontent la mort de Moché, et il semble fort improbable que celui-ci ait décrit sa propre mort de son vivant. Le Talmud discute déjà de l’identité de l’auteur de ces versets12, et l’avis général est que ces huit derniers versets sont l’œuvre de Yehoshoua. Ibn Ezra va plus loin et estime que les douze derniers versets ont été écrits par Yehoshoua.13
Pourquoi Moché n’a t-il pu écrire ces versets ?
Tous les versets cités par Ibn Ezra dans son commentaire sur Deut 1:2 sont ainsi inclus dans « le secret des douze », allusion claire au fait que Moché n’a pu les écrire. Pourquoi cela ? Car le texte pose problème pour des raisons de style ou des raisons historiques :14
Ainsi, le verset « et les cananéens étaient alorsdans le pays »15 sous-entend qu’au moment de la rédaction du texte, les cananéens ne sont plus dans le pays. Or, nous savons que ce peuple vivait en terre d’Israël à l’époque de Moché ! Par conséquent, nous dit Ibn Ezra, il est probable que ces mots soient l’œuvre d’un prophète ayant vécu après Moché.
Il en est de même pour le verset « Abraham dénomma cet endroit: Hachem-Yiré; d’où l’on dit aujourd’hui: »Sur le mont d’Hachem-Yéraé. » 16. Si Moché a écrit ce verset, cela signifie qu’il savait que l’endroit choisi par Dieu était le mont Moria. Or, Moché ordonne la construction d’un temple « à l’endroit qu’il choisira »17, ce qui prouve qu’il ignorait de quel endroit il s’agissait. Par conséquent, il ne peut avoir écrit ce verset.
De même pour le verset « son lit, un lit de fer, se voit encoredans la capitale des Ammonites « 18. Tant d’indications historiques postérieures qui ne pouvaient être connues de Moché.
Torah Min Hashamayim ?
Une lecture rapide de ces explications peut sans aucun doute provoquer des dérives. Ainsi, Spinoza19 se base sur cette explication pour affirmer que l’extrême majorité de la Bible n’est pas l’œuvre de Moché ! Selon lui, les « douze » auxquels fait allusion Ibn Ezra désigneraient les douze pierres sur lesquelles Moché aurait gravé la Torah20. Le texte « Torah » que Moché a reçu tenait donc sur douze pierres, nous dit Spinoza, et elle était bien plus courte que celle que nous connaissons aujourd’hui. Les arguments de Spinoza ont été brillamment réfutés par Shadal (R. Samuel David Luzzato , 1800-1865) dans son commentaire sur la Torah21.
Cependant, le lecteur religieux peut être troublé à la lecture de ces explications. Ainsi, comment Ibn Ezra se permet-il de remettre en cause la sainteté des textes ?
Cette question n’a pas sa place. En effet, malgré son approche critique,Ibn Ezra ne remet absolument pas en cause la sainteté des textes et leur caractère révélé. Pour Ibn Ezra, ces versets « ajoutés » ne sont pas dus à des erreurs ou à des falsifications du texte original. Ils sont l’œuvre d’autres prophètes, qui les ont rajoutés après ordre divin. Ainsi que l’écrit le Tsafnat Panéah’ (18e siécle) :
Et puisqu’il nous incombe de croire aux paroles transmises et prophétiques, que nous importe si Moché a écrit [ce verset] ou bien un autre prophète ? Toutes leurs paroles n’étaient que vérité et prophétie !22
Autrement dit, même si la Bible n’est pas uniquement l’œuvre de Moché, elle n’en perd pas pour autant sa sainteté, tout dépend de notre approche. Si notre rapport à la Torah est le même que notre rapport à L’Odysée d’Homère, alors notre lecture contredit notre tradition. Par contre, si notre rapport à la Torah est celui d’un croyant envers un texte révélé, notre lecture, même critique, restera religieuse et en accord avec notre foi.
Maimonide et le concept de « torah min hashamayim »
J’ai commencé cet article en précisant qu’à mon sens, les Rishonim étaient les derniers des fondamentalistes. Un esprit avisé pourrait me faire remarquer que certains d’entre eux ont pourtant établi des »fondements » indiscutables ! Ainsi, nous connaissons les treize articles de foi du Rambam, qui statue que « quiconque nie un de ces fondements est exclu de l’assemblée [d’Israël] et rejette l’essentiel de la Torah. Il est appelé « hérétique » et « apikoros » et nous sommes obligés de le haïr et de l’éliminer »23.
Cependant, nous savons que ces principes n’ont pas toujours fait l’unanimité chez les penseurs juifs. Par exemple, dans son huitième principe, le Rambam écrit :
« Le huitième article, c’est la torah min hashamayim. Il faut croire que toute la Torah qui est entre nos mains aujourd’hui, est la Torah que Moché a reçu, et qu’elle provient intégralement du Très-haut. […] »24
Comme nous l’avons déjà dit, le Talmud lui même remet en question ce principe25… De plus, si on prend cet article comme indiscutable, alors Ibn Ezra était un hérétique qu’il faut haïr et éliminer.
Évidemment, Ibn Ezra ayant vécu un peu avant Maïmonide, on ne peut lui reprocher de ne pas se soumettre à cet article de foi. D’un autre coté, il serait bien naïf d’imaginer qu’Ibn Ezra, qui se permet parfois de contredire les sages du Talmud, aurait mis un terme à sa liberté intellectuelle pour ne pas contredire le Rambam. De plus, des générations de rabbins ont développé et commenté les explications du Ibn Ezra sans se soucier de l’interdit maïmonidien. Au Maroc, ce commentaire était encore plus étudié que celui de Rashi !
Nous sommes donc pris entre le marteau et l’enclume. Lire le Ibn Ezra, c’est rejeter un des articles de foi du Rambam. Ne pas lire le Ibn Ezra, c’est nier la légitimité d’un des plus grands Sages du Moyen-Âge !
Ce dilemme n’existe que si l’on a une lecture fondamentaliste du Rambam et que l’on imagine qu’il a reçu ses principes du Ciel, un peu comme Moché aurait reçu la Torah…
Quiconque connait les grandes œuvres philosophiques de Maimonide sait que nul n’a donné à la vérité une place aussi fondamentale que lui 26 !
D’ailleurs, le Rambam lui même n’a pas hésité à remettre en cause des fondements jusqu’alors acceptés dans le monde juif. À commencer par son rejet total de tout anthropomorphisme27.
Lorsque le Rambam propose des « articles de foi », il ne les reçoit pas de façon prophétique. Ceux-ci sont la conclusion d’une très longue recherche de vérité.
Accepter ces articles tels quels, simplement parce qu’ils ont été rédigés par le Rambam, c’est trahir le message de vérité du Rambam qui expliquait que « l’image de Dieu » contenue en l’homme n’était rien d’autre que l’intellect.28
En véritables élèves du grand Maïmonide nous devrions n’accepter aucune vérité axiomatique. Il est de notre devoir, de creuser, chercher, fouiller dans le texte afin d’en extraire la vérité, quitte à revenir sur des conclusions jusqu’alors admises.29
Conclusion
Dans cet article, j’ai essayé de montrer qu’au delà des préjugés et des soi-disant dogmes, les générations de Sages qu’a porté le judaïsme ont toujours recherché la vérité absolue. À travers cette explication d’Ibn Ezra, j’ai cherché à prouver qu’il n’existe pas de « mauvaise » approche de la Torah, tout dépend du rapport que l’on a avec le texte. Une critique textuelle, accomplie dans un esprit de recherche, ne serait être invalidée. Bien au contraire, cette lecture permet sans aucun doute de mieux comprendre le texte divin.
J’ai développé le concept de torah min hashamayim, en montrant que pour certains Rishonim cela signifiait que Moché a lui-même reçu la torah dans son intégralité, alors que pour d’autres certains ajouts postérieurs étaient envisageables – à condition que ces ajouts soient l’œuvre d’autres prophètes inspirés. J’ai rajouté que même selon ce dernier avis, le coté révélé de la Torah n’était absolument pas remis en question.
J’ai également essayé de montrer le coté absurde que provoque une lecture fondamentaliste d’un esprit aussi libre et ouvert que le Rambam. S’attacher à la lettre sans approfondissement préalable, c’est trahir l’esprit du Guide.
__________________________________________________________________
1Ibn Ezra, introduction au commentaire du Pentateuque.
2Deut. 1:1-3, traduction de la Bible du rabbinat
3Deut. 31:22
4Gen. 12:6
5Gen. 22:14
6Deut. 3:11
7Commentaire du Ibn Ezra sur Deut. 1:2
8והמשכיל ידום, le mot ידום peut se traduire par « se taira » ou bien « attendra ». Etant donné que le Ibn Ezra finit par nous livrer lui même l’explication du « secret des douze », j’ai opté pour « attendra ».
9Cf. par ex. le commentaire du Rav Ytsraq Miller dans son Ezra léavin, Shadal et le Tsafnat panéah’ dans leurs commentaires sur le passage.
10cf. par ex. Ibn Matout dans son commentaire sur le Ibn Ezra. Spinoza semble s’être inspiré de cette idée dans son traité théologico-politique .
11cf. tous les auteurs précités (à part Spinoza) et particulièrement le Tsafnat panéah’ qui devellope le sujet.
12T.B baba batra 15a
13Cf. son commentaire sur Deut. 34:1
14Les explications qui suivent se basent sur le commentaire du tsafnat panéah’. Il existe des commentaires à l’avis divergeant, même si tous s’accordent à reconnaître que pour le Ibn Ezra, Moché n’a pu écrire ces versets.
15Gen. 12:6
16Gen. 22:14
17 Deut. 12:11
18Deut. 3:11
19Traité théologico-politique, chapitre 8
20Deut. 27:8 et T.B sota 32a qui précise qu’il y avait douze pierres.
21Shadal, piroush al hatorah Deut. 1:2
22Tsafnat panéah’ sur Gen. 12:6
23Maimonide, fin de l’introduction au perek hakhelek
24Maimonide, Introduction au perek hakhelek
25T.B baba batra 15a
26cf. par exemple son introduction au perek hakhelek : ותכלית האמת לדעת שהוא אמת
27Comme le remarque le Raavad (Hilchot teshouva 3:7) « Des gens plus grands et meilleurs que lui (Maimonide) » croyaient à la corporalité de Dieu. Le Rambam lui même, dans son traité sur la résurrection des morts, admet avoir rencontré un grand sage qui doutait de l’incorporalité de Dieu et de nombreux autres qui croyaient à sa corporalité et qui pensaient que nier cela était de l’hérésie !
28Guide des égarés 1:1
29Le Rambam dans son guide (2:25) va jusqu’à affirmer que si l’éternité du monde, selon le modèle proposé par Platon, s’avérerait acceptable d’un point de vue scientifique, nous l’accepterions. Quitte à réinterpréter le récit de la création ! Par la suite, il prouve que ce modèle n’est pas vrai d’un point de vue scientifique, et c’est uniquement pour cela qu’il n’est pas acceptable.
Bonjour,
L’article est bon et intéressant comme toujours. Comme le veut le minhag hamakom j’inaugure les critiques :
1/ « Selon Spinoza les « douze » font référence aux douze pierres. » Oui, mais pas seulement, il émet trois hypothèses dont celle retenue dans l’article comme légitime = « ou encore il a voulu signifier
le dernier chapitre du Deutéronome relatif à la mort de Moïse, lequel se compose de douze mots » (traité théologico-politique début du chapitre 8). Je ne suis pas contre les attaques contre Spinoza,
mais celle-ci me paraît ici hors-propos puisque lui-même accepte ce que Shadal considère comme La vérité des propos d’Ibn Ezra.
2/ Je ne vois pas ce qu’il y a d’extraordinaire dans l’approche de Ibn Ezra, il a rajouté 4 versets aux 8 mentionnés par ‘Hazal ? Et alors, ce n’est pas le seul pachtan a dire l’inverse de ‘Hazal,
d’autant plus que ça ne touche pas à la Halakha.
Par ailleurs, j’aimerais bien connaître les sources affirmant que les ikarim du Rambam sont devenus la seule croyance légitime dans le monde orthodoxe. Dans toutes les éditions du Yad se trouvant
dans les Yéchivot se trouvent les assagot du Ravad, qui ne manque pas de remettre en question ces ikarim (comme par exemple sur l’anthropomorphisme). Le fait même que le Ravad soit étudié avec le
Rambam montre qu’il existe une conscience générale dans le monde du limoud selon laquelle le Rambam a ses contradicteurs et que ceux-ci sont légitimes!
Salut,
qui est le tsafnat paneah dt tu parles ici?
ca ne peut pas etre le rav rozine…
Yona,
cest vrai que dans les yeshivot, on etudie le raavad, mais personne dans les yeshivot sait que le Raavad s’est oppose au Rambam sur l’anthropomorphisme!.
car PERSONNE n’etudie le h’elek mada du rambam dans les yeshivot… Preuve en est, le temps qu’a mis Frankel a le sortir…
si tu connais une yeshiva comme ca, fais moi signe….
Benjamin,
Je connais une Yéchiva comme-ça, c’est celle où je vais au Collel tous les jours : Yéchivat Torat ‘Haïm à Nice (31 rue Henri Barbusse), tu y verras souvent un moré et le ‘helek mada posés sur les
tables !
Je vous avais bien dit que la Torah a été donnée à Nice 😉
Commentaire plus sérieux :
Je remarque que la conclusion de cet article rejoint en fait la démarche de R. Y.D Soloveichik dans le Croyant Solitaire qui reprend les questions de la critique biblique tout en rejetant avec
force les réponses (au sujet des « deux Adam » cf édition fr. p.40).
Shabbat Shalom
A propos du premier commentaire de Yona :
http://www.hakirah.org/Vol%209%20Slifkin.pdf
Le Rav Slifkin discute du phénomène moderne de la pensée unique. La phrase que j’avais cité au nom du Rav Eliyashiv (« ils peuvent le dire, pas nous ») semble bien avoir été prononcé par lui…
Ton article est très intéressant dans la mesure où il montre que même les riconim ont utilisés la méthode de la critique biblique.
Cependant lorsque tu traite du rambam, je trouve ton approche très décevant. Je te la réfuterai même ad hominem: aies un minimum de quête de vérite dans ta lecture et ton édude des texstes du
Rambam!!!
Tu sais très bien qu’il transparaît clairement de tois les textes du Rambam (Moré, Michné Torah, Hakadama Lamichna, Hakadama lépérèk H’élèk…) que ce principe est pour lui fondamental, autant
qu’il est inenvisageable à son avis de dire (comme le tsafnat panéah’) qu’il importe que ce soit Moché où un autre prophète!! Pour lui la prophètie de Moché a une valeur spécifque (qui se distinque
des autres en cinq points), et toute la légitimité de la Torah est basée sur le fait qu’il est le seul envoyé de Dieu et la seule parole véritablement légitime « lémaassé ». Essaie donc de poser le
prblème de façon fondamental comme un Mah’loket entre Ibn Ezra et Rambam, et cherche à comprendre comment chacun peut soutenir son avis. Tu poses très bien la question sur le Rambam, et tu termines
sur « il faut chercher la vérité », comme si cela nous rendait quittes de chercher à le comprendre !!!! Peut-être il y a un texte du Rambam sur le sujet, à voir….
A bientôt pour un autre article intéressant, et surtout(!!!) ne prend pas mal mes remarques!!!!!!!!
J’ajouterai aussi que je ne vas que tu comprennes que je fait partie de ceux que tu décries qui croient que les ikarim du Rambam sont « indiscutables ». Je suis en effet tout à fait ouvert à un débat
sur leur légitimité, le fait que tous ceux qui l’ont suivit n’étaient pas d’accord, le fait qu’ils soient atemporels (qui est – selon certains – discutables même d’après l’avis du Rambam lui
même…!!!) Mon seul but ici étaient de chercher à comprendre ce qu’il veut dire en tant que h’ah’am.(Je te propse un prochain sujet d’article sur la légitimité des ikarim, qui pourrait être
intitulé « le Rambam et son contexte »!!!!!!!!!!!!!!!!!!!! lol)
Gabriel, je ne parlais pas de ce qu’écrit Ibn Ezra, mais de ta propre conclusion dans l’article ….
Pour le texte que tu as mis en lien, je l’ai lu lorsque Samuel l’a posté, mais tu devrais remarquer qu’il y a une grande différence entre la manière dont tu rapportes les propos de Rav Elyachiv et
la manière dont le fait le Rav Slifkin. D’après toi, son affirmation semble absurde. Lui, va beaucoup plus en profondeur, tentant de comprendre ce qu’il a voulu dire par là. Or, il apparaît à la
lecture de son texte que l’affirmation de Rav Elyachiv est tout sauf absurde, mais s’applique à une réalité contextuelle indéniable.
Bonjour a tous,
Et bravo a Gabriel, qui a peut-être bien poste la première réflexion orthodoxe en français sur la critique biblique depuis de nombreuses années, tant le sujet est évité comme la peste!
Cela étant dit, je pense qu’il faut quand même préciser un certain nombre de points. En particulier, non, Ibn Ezra n’a pas utilisé les méthodes de la critique biblique. C’est Yona qui a raison dans
son premier commentaire: écrire que certains versets sont d’origine post-mosaïque, c’est certainement courageux intellectuellement, mais ‘hazal le faisaient deja. Et on trouve des positions
similaires chez r. Nissim Gaon, chez le Ri Migash, chez le Ramban, et même (en plein moyen-age « obscurantiste » allemand!) chez r. Yehouda he’Hassid, etc.
Pour distinguer une parchanoute traditionnelle de la critique biblique, il faut se poser quelques questions de base. Comment l’interprète voit-il le texte du Tanakh?
1. Ce texte est-il porteur de messages éternels, y compris pour les lecteurs vivant plusieurs siècles, ou millénaires, après sa rédaction? Ou bien son public-cible n’est-il composé que des gens
vivant a l’époque et sur le lieu de sa composition?
2. Le Tanakh est-il un texte parfait, une entité harmonique, dont les différentes parties ne peuvent se contredirent entre elles ou être prouvées fausses par les faits? Ou bien est-il un texte
humain, rempli de fautes et de contradictions?
3. Le texte du Tanakh contient-il des messages « enfouis » au-delà du sens obvie, ou bien son message se résume-t-il au pchat?
Une herméneutique qui choisit systématiquement le premier terme de ces alternatives serait une parchanoute traditionnelle. C’est le cas de Ibn Ezra et de toutes les autorités citées jusqu’ici dans
ce message. R. David Tsvi Hoffmann, cité dans l’article, ne s’est intéressé a la critique biblique que pour tenter de la réfuter.
Par contre, une herméneutique qui opte systématiquement pour la deuxième alternative est une forme de critique biblique. C’est le cas de Spinoza et de toutes les études académiques du Tanakh.
Sur cette base, rabbanim et académiciens, même s’ils partagent souvent certaines interrogations, utilisent des outils interprétatifs très différents.
Ceci m’amène au deuxième point important de mon commentaire. Le Judaïsme a-t-il des dogmes? Par rapport au Christianisme, aucun doute, il en a peu. Mais pas zéro quand même (n’en déplaise a Marc
Shapiro!). Difficile de concevoir un Judaïsme orthodoxe qui ne croit pas a l’existence de Dieu, par exemple. La recherche de vérité se heurte quand même a un mur doctrinal, il est juste plus loin
que dans d’autres religions.
Comme le débat porte aussi ici sur l’anthropomorphisme, je vais donner un exemple en relation avec cette idée. L’un des plus importants livres de critique biblique publiés récemment est celui de
Benjamin Sommer, the Bodies of God and the World of Ancient Israel.
Ce livre construit sur l’idée, complètement admise par les critiques bibliques, selon laquelle la vision tanakhique de Dieu est réellement anthropomorphique. Autrement dit, Dieu avait pour les
Hébreux anciens un corps, et, n’en déplaise au Rambam (qui est en train de me murmurer a l’oreille d’arrêter ma kefirah 🙂 ), les références a la « main de Dieu », etc., sont a prendre au premier
degré.
Ben Sommer va beaucoup plus loin, il démontre qu’il existe plusieurs modèles du corps de Dieu dans le Tanakh, plusieurs conceptions contradictoires (que l’on retrouve aussi en étudiant les textes
contemporains des peuplades voisines des Hébreux). Ces visions divergentes sont reliées a des opinions politico-religieuses différentes: P, le texte des prêtres, est intéressé a ce que Dieu ne
parte pas en promenade dans le monde (comme l’admettent J et E par exemple), mais reste centre autour d’un point fixe, l’ancêtre du futur Temple (P est le texte des prêtres). Etc.
Ibn Ezra aurait-il admis ceci? Et le Rambam, avec tout son
amour de la vérité?
Je pense que nous touchons la du doigt certains des points les plus sensibles de l’orthodoxie moderne. Quelles sont les limites théologiques?
Vu l’enjeu et l’importance du débat, ce blog n’a que d’autant plus de mérite de s’attaquer au problème, qui est, hélas! trop souvent passe sous silence. ‘Hazak Gabriel! 🙂
1. Emmanuel: Dans votre liste, vous incluez R. Yehouda He-Hassid. Je suppose que vous n’êtes pas sans savoir que l’authenticité de la totalité de son commentaire est discutée.
2. Je ne pense pas que le blogmaster voulait vraiment dire qu’Ibn Ezra approchait le texte comme le font les critiques bibliques, mais il aurait dû, il est vrai, un petit peu affiner sa
terminologie.
3. Vos remarques sont très pertinentes. Que pensez-vous cependant de ce que fait Ibn Ezra dans d’autres passages bibliques, comme pour le livre d’Isaïe, qu’il divise en deux auteurs si je me trompe
pas?
http://www.hebrewbooks.org/pdfpager.aspx?req=39291&st=&pgnum=79&hilite=
Bonjour Picasso,
J’ai effectivement lu quelque part qu’il existait des doutes sur l’authenticité du perouch de r. Yehouda he-‘hassid, mais je n’ai jamais reellement approfondi. Dans mon vague souvenir, la question
etait de savoir si c’etait lui-meme qui l’avait ecrit, ou plutot un disciple ou encore un autre membre de son ecole. Si vous avez plus de details, je suis interesse (est-ce que Jacob Katz n’a pas
ecrit la-dessus?).
Dans tous les cas, mon argument selon lequel ibn Ezra n’etait pas le seul dans son approche reste valable. Personnellement, je le vois comme un lointain precurseur de la critique biblique (votre
point 3 va dans le meme sens, ainsi que l’appui que prend sur lui Spinoza, aussi cite dans le post de Gabriel). Mais ce n’est encore de loin pas la meme chose.
Gabriel: on peut effectivement explorer l’idee selon laquelle E, P, J, D (et les autres lettres de l’alphabet 🙂 ) representent plusieurs revelations distinctes. Tamar Ross a une theorie assez
semblable et tres sophistiquee, qu’elle appelle « cumulativism »; en gros cela revient a sanctifier l’histoire. Dieu se revele a nous a travers des processus historiques qui font que la Torah a ete
ecrite sur plusieurs siecles, par des auteurs humains « inspirés ». La révélation n’est pas un point unique, mais un processus continu (cela lui permet d’integrer le feminisme comme une nouvelle
etape de la revelation divine).
Mais euh… c’est quand meme un peu dur a avaler pour beaucoup de gens… Et puis, a Chavouot, on fete quoi exactement dans cette optique?
Emmanuel: Je ne sais pas pour Katz, mais c’est fort possible. En revanche, on trouve une présentation annotée chez Ta-Shma, dans le premier volume de ses עיונים בספרות הרבנית בימי הביניים, pp.
273-274 (la suite du chapitre apporte quelques éléments et nuances qui touchent à ce post, mais sans plus – à mon sens).
Merci pour toutes ces réflexions intéressantes.
Par rapport aux Ikarim du Rambam, une question à se poser n’est-elle pas de savoir quel(s) était/étaient l’objectif/les objectifs du Rambam en rédigeant ces 13 « articles de foi » ? En d’autres mots,
qu’est-ce qui a amené le Rambam à proposer un cadre (potentiellement) dogmatique, démarche qui pourrait sembler incohérente pour un chercheur de vérité ?
Question annexe : pour qui le Rambam a-t-il rédigé ces articles de foi ?
L’approche explicative du Rav Slifkin au sujet du propos de Rav Elyachiv (« Ils peuvent le dire, pas nous ») me semble être un point d’entrée intéressant. Moi je l’ai compris comme ceci :
préoccupes-toi de ton propre yetser hara avant de te préoccuper de celui d’autrui…
cette article est grandiose. comme dirait le rambam : קבל האמת ממי שאמרה
il ne faut jamais avoir peur de la verité. c’est elle qui dirige notre existence.