Leibowitz et moi
Je crois que c’est vers mes 17 ans que j’ouvris pour la première fois un livre de Yeshayahou Leibowitz. Ce fut sans nul doute un élément marquant. Il avait tout pour plaire à un adolescent curieux et intéressé par le judaïsme : un ton extrêmement polémique, du génie et des idées extrémistes. Je suis aujourd’hui très loin de ses idées mais je continue à penser qu’il est important de les diffuser. En choisissant l’extrême, Leibowitz a en quelque sorte poussé les juifs de son époque à remettre en question les idées prises comme évidentes, à interroger à nouveau les textes et à critiquer les dérives du judaïsme.
Je me rappelle que dans une des ses interviews, Leibowitzconfessait avoir un certain respect pour le Rav Kook. Quand on connait Leibowitz, on ne peut qu’être épaté par ce respect porté à l’un de ses contemporains, qui plus est rabbin, mystique et nationaliste… Leibowitz racontait qu’il n’arrivait pas à comprendre comment Rav Kook pouvait mélanger Maïmonide et mystique juive dans ses écrits – domaines totalement opposés pour Leibowitz. Il décida donc de rencontrer le premier grand rabbin d’Israël et celui-ci lui avoua penser également que Maïmonide et la mystique s’accordaient fort mal et que pour lui, la mystique prévalait largement. Mais, lui dit-il, Maïmonide est essentiel car il joue un rôle de garde-fou de la mystique, l’empêchant de dériver. Pour moi, Leibowitz est exactement cela : le garde-fou de la mystique de notre époque. À une époque où la mystique juive est souvent rabaissée et transformée en tristes pratiques superstitieuses dirigées par des rabbins-gourous, Leibowitz apporte un rationalisme extrémiste mais rafraichissant et essentiel.
Je voudrai tout de même expliquer l’essentiel de ma critique. Celle-ci ne se porte ni sur son extrémisme, ni sur ses positions politiques d’extrême-gauches, ni sur son rejet violent de la mystique juive. Bien que n’adhérant pas à sa vision sur ces points précis, je ne ressens pas un profond besoin de la rejeter. Ma critique porte sur la position de Leibowitz concernant la Torah, position qui m’est totalement étrangère.
Pour Leibowitz, la Torah et le reste du monde sont deux éléments distincts. La Torah existe en tant qu’élément séparé dont toute la signification se résume à “servir Dieu”, “accepter le joug divin”, sans avoir le moindre contact ou même sans apporter la moindre information au monde dans lequel l’homme vit. Leibowitz revient à plusieurs reprises sur le fait que ni l’histoire, ni la psychologie ou la science ne peuvent se mêler à la Torah. Il en va de même pour le sionisme, si on peut adhérer à un mouvement national juif laïc, on ne peut y adhérer d’un point de vue religieux car pour Leibowitz, la religion n’a d’autre but que le service divin.
La Torah n’est ni logique, ni morale et l’histoire, la psychologie, la philologie ou toute autre science ne peut rien lui apporter ou lui enlever. Pour Leibowitz, la Torah est donc totalement déconnectée de nos vies.
Pour moi, cette conclusion est terrible. Qu’est ce que la Torah sinon une Torah de vie, une source d’eau vive, des sentiers de paix ? Tant d’expressions utilisées par la Torah elle même. La Torah déconnectée de la réalité de Leibowitz appelle à servir un Dieu lui aussi déconnecté du réel. Si dans le paganisme, la divinité n’avait d’autre but que de servir l’homme, pour Leibowitz, elle n’a tout simplement plusaucun but. Au lieu de s’élever grâce à la religion et au message divin de la Torah, l’homme se contenterait d’agir mécaniquement pour obéir à un ordre qui n’a aucun sens et qui ne servira ni à lui ni à personne, encore moins à l’humanité. Comme Leibowitz se plaisait à dire, si Dieu lui avait ordonné de lire trois fois par jour un menu de restaurant à la place des prières quotidiennes, il l’aurait fait avec le même sérieux. Si je comprends l’importance de combattre le coté utilitaire de la religion et de la prière (ceux qui ne prient que lorsqu’ils ont besoin), il me semble que nier l’aspect sensible de la Torah revient à nier la Torah elle-même.
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Salut,
Ce serait bien d’avoir quelques citations dans lesquelles on verrait dans les mots de Leibowitz la thèse que tu lui prêtes. J’imagine qu’elle est plus dévelopée que ces quelques lignes 😉
Sinon j’ai beaucoup aimé le début de l’article pour une raison particulière : j’ai un ami qui est kookiste et maïmonidien à la fois. Je lui ai déjà posé la question de comment fait-il pour
concilier les deux (mystique et rationalisme) sans tomber dans la schyzophrénie… Je n’ai toujours pas de réponse convaincante. Peut-être me répondra-t-il ici ? 😉
Contrairement a vous je pense que Leibovitch est un penseur mineur, borne, qui ne comprenait a peu pres rien a la Torah et au Judaisme. Je l’avais rencontre, c’etait certainement quelqu’un de
tres intelligent mais sa personnalite extreme l’a empeche de mettre son intellect a profit. Il n’y a rien a apprendre de lui, rien a lire de lui, c’est une perte de temps.
Je ne suis pas asez savante pour discuter de la pensée de Leibowitz mais je l’ai entendu dire, lors d’une interview, que les Juifs qui ne respectent pas les mitsvot ne sont pas Juifs. Je sais
bien qu’il n’est pas le seul dans ce cas malheureusement. Mais pourquoi prendre en compte les réflexions de quelqu’un dont la pensée (quelque soient son intelligence et son savoir) est limitée
par l’arrogance? Ne parlons même pas des Juifs: que nous apporte-t-il si la Thora n’est pas un livre vivant? Nous vivons dans une époque difficile où la mystique est souvent dévoyée au nom de
cette idée que nous sommes dans les jours précédant le Mashiah et que nous pouvons tous avoir accès aux secrets de la Thora. C’est donc indispensable pour nous d’étudier avec ce
que Madame Neher appelait « des gens de foi et de bonne foi »
Je n’ai malheureusement aucune référence à vous transmettre. C’était lors d’une interview donnée il y a environ 30 ans à la télévision francaise. Je ne sais même plus quel était l’interviewer,
seulement que c’était un journaliste juif connu et que Leibowitz était passablement vindicatif. Je ne connaissais de Leibowitz que ses positions antisionistes et j’étais curieuse d’en savoir
plus. J’avais été profondemment choquée par ses propos et c’est pourquoi cette phrase m’est restée dans la tête. Peut être que cela ne refletait pas le fond de sa pensée et qu’il l’avait dit
parce que le journaliste l’agaçait!
Bonjour.
Je tiens d’abord à féliciter l’auteur pour son blog que je suis très régulièrement bien que ne commentant pas.
Je fais partie de ceux qui trouvent la pensée de Leibowitz très stimulante, sans etre à 100% d’accord avec lui.
Je tiens surtout à réagir aux commentaires de Hannah, Leibowitz n’était pas antisioniste bien au contraire, il se reconnaissait dans le sionisme en tant que mouvement visant à doter le peuple
Juif d’un état souverain et de concrétiser son indépendance nationale. Mais pour lui, le sionisme n’allait pas plus loin, l’indépendance nationale n’était pas à ses yeux indispensable au judaïsme
en tant que religion et n’y changeait strictement rien. Ni l’établissement de l’état ni l’implentation en terre sainte ne sont des mitzvoths à ses yeux, et encore moins un signe du début de la
ge’ulah et par conséquent, il s’opposait au mouvement sioniste-religieux.
Aussi, de la même manière qu’il a milité et s’est battu pour l’indépendance nationale des Juifs, il refuse que l’on prive les arabes d’Erets Israël (que eux revendiquent aussi et nomment
Palestine) de leur indépendance nationale et militait par conséquent pour un partage du territoire entre un état pour les Juifs et un état pour les arabes. Il pensait aussi que le fait pour un
état Juif de dominer un peuple non Juif était préjudiciale pour les Juifs eux même.
Sur le deuxième point, d’après ce que j’ai pu lire de lui, il pense que le peuple Juif vit une crise identitaire depuis le 18-19 eme siecle et qu’on ne peut plus considére le peuple Juif comme le
peuple de ceux qui vivent selon la halakha et par conséquent, la définition du « peuple juif » devenait problématique. Il n’est pas le seul à partager ce sentiment loin de là, le rabbin
Schach zs »l avait justement fait remarquer que sa génération et les suivantes avaient vu des centaines de milliers de Juifs grandir sans jamais avoir récité le Shema, ce qui constitue une
rupture avec la situation historique du peuple Juif depuis plus de deux mille ans. Il n’y a peut etre jamais eu autant de Juifs à ne plus vivre selon la Thorah depuis le temps des prophètes et
c’est problématique. Leibowitz n’a fait que souligner un problème, il a toujours répété qu’il n’avait pas de solution à proposer à ce problème.
Ce qui est frais avec Leibowitch c’est qu’il a compris que dans la vie on peut etre contre tout ! On m’a dit qu’il avait l’habitude, sur les plateaux de tele qui l’invitait pour debattre, de
commencer en disant: אני נגד, על מה מדברים ?
Merci pour ton article !
Ce serait hyper sympa et ultra interessant si t’ecrirait sur le rav Shagar ! Qu’en pense tu ?
Merci Gabriel, tu as réussi à me sortir de mon sommeil « bloguique » 🙂
http://lemondejuif.blogspot.fr/2013/03/parcours-de-lecture-yeshayahou-leibowitz.html
Leibowitz, un penseur mineur et borné….on rêve
j’aime bien Leibowitz, quand je l’ai decouvert, j’ai trouvé qu’il luttait contre toutes formes d’idolatries liées au judaisme. il remet en cause « la sacralité du rite », pour le transformer en approche individuelle, une intériorité.
c’est un fils d’avraham qui aime casser les idoles. c’est un peu provoc mais l’idolatrie s’infiltre partout, il nous enseigne à etre vigilant,
sa position sur Israel, la terre, est de loin la bonne. Gerer un autre peuple qui n’a pas les memes convictions n’entrenera que le chaos, la chute. je partage ses idées de gauche sur l’avenir. ce n’est pas le role du peuple juif de gerer une nation arabe.
sur le judaisme, j’ai trouvé ses livres brillants. une pensée religieuse affimée, un veritable mode de vie, une obeissance forte à hachem, un etre rigoureux, une pensée claire.