Le Kadish d’une mère
On entend une voix à Rama,des sanglots amers ; c’est Rachel qui pleure ses fils ; elle refuse de se laisser consoler au sujet de ses fils,car ils ne sont plus. Ainsi parle Dieu, « Cesse de sangloter, sèche tes larmes ; car il y aura une récompense pour tes actions… il y a de l’espoir pour ton avenir… » (Jer. 15-17)

Alors que le peuple juif tout entier est secoué par le terrible assassinat des trois adolescents Naftali, Gilad et Eyal, un moment particulier a retenu l’attention de nombreuses personnes. Ce moment, c’est le kadish récité par la famille Franckel à l’unisson, devant une immense foule venue rendre un dernier hommage aux trois adolescents.
Je m’abstiens volontairement de rentrer dans les détails du débat halakhique. Je me contenterai de rappeler que si un kadish récité par une femme surprend certain, la pratique n’en reste pas moins autorisée. Rachel Franckel, femme érudite enseignant halakha et Talmud dans de nombreuses institutions orthodoxes de Jérusalem, le sait mieux que nous. Elle est d’ailleurs membres de l’organisation rabbinique orthodoxe moderne « Beit Hillel » qui a récemment publié un responsum[1] encourageant les communautés orthodoxes à permettre aux femmes de réciter le kadish pour un défunt.
Récemment encore, c’était Rav Ovadia Yossef qui autorisait lui aussi les orphelines à réciter le kadish[2], même s’il préférait que cela se fasse en dehors de la synagogue. Aux États-Unis, Rav Moché Fenstein[3] en parlait comme d’une pratique régulière en Lituanie et Rav Soloveitchik[4] condamnait les synagogues orthodoxes l’interdisant, sous prétexte qu’interdire l’autorisé poussait des femmes orthodoxes vers des milieux réformés.
Au cours des générations, il existe des témoignages de femmes célèbres ayant récité le kadish. Zelda, la célèbre poétesse israélienne et cousine du rabbi de Loubavitch, le récita un an durant à la mémoire de son père, en plein quartier ultra-orthodoxe de Shaarei Hessed (Jérusalem). Henrietta Szold (1860-1945), la célèbre fondatrice de la WIZO, nous a même laissé une lettre poignante où elle explique à un proche pourquoi elle souhaite réciter elle-même le kadish pour sa mère. On y lit entre autre :
[…] Le Kadish est pour moi l’expression publique du souhait du survivant d’assumer la relation que ses parents avaient avec la communauté juive, et ainsi de perpétuer de génération en génération la chaîne de la tradition, lorsque chacun rajoute son propre maillon. Vous pouvez faire cela pour les générations de votre famille, je dois le faire pour celles de ma propre famille…[5]
Dans le cas présent, il ne s’agit malheureusement pas de perpétuer la chaine de la tradition puisque ce sont des parents qui récitent kadish sur leur enfant. Alors qu’il existe un nom pour le « kadish des orphelins », il n’en existe pas pour le bouleversant kadish des parents. Mais le kadish de Rachel Franckel a ému une foule entière, car il ne s’agit pas du kadish comme devoir mais du kadish comme prière. Comme besoin minimum d’une mère de porter son deuil, de donner une expression religieuse aux heures les plus tragiques de sa vie, et d’entendre une foule lui répondre « Amen ».
Ces dernières semaines, Rachel était déjà devenue une véritable leader spirituelle pour bien des gens. Alors qu’elle attendait désespérément son fils, elle était également celle qui remontait le moral à un pays entier. Dans ses discours poignants, elle n’oubliait jamais de remercier tous ceux et celles qui faisaient le moindre geste pour faire avancer les recherches. Elle était celle qui appelait également au calme, condamnait la vengeance injuste et aveugle. Au moment de l’enterrement, elle est devenue celle qui portait le deuil de centaines de femmes n’ayant pas pu réciter le kadish dont elles avaient tant besoin.
Il y a maintenant des années, une lectrice du blog m’avait contacté et raconté à quel point elle souhaitait dire le kadish pour sa mère mais c’était heurtée à l’incompréhension de la communauté. Le rabbin avait fini par accepter qu’elle le récite à voix basse, de façon à ce qu’aucun homme ne puisse l’entendre, et à condition que d’autres hommes le récitent en même temps et couvrent totalement sa voix… Depuis hier, les témoignages circulent sur les réseaux sociaux, le kadish de Rachel était celui de centaines, de milliers, de femmes orthodoxes n’ayant pas pu dire le kadish dont elles avaient tant besoin durant leurs pires heures. C’était aussi le kadish des milliers de femmes qui pourront le réciter demain sans craindre les remarques et les insultes, car un pays entier a déjà vu une femme profondément orthodoxe le réciter devant une assemblée de rabbins, devant le Grand Rabbin d’Israël lui-même, et les a vus répondre « amen ».
La voix de Rachel Franckel récitant le kadish nous rappelle celle de Rachel la matriarche, pleurant ses enfants disparus, mais aussi celle de Dieu lui-même répondant à sa voix : « Il y aura une récompense pour tes actions… il y a de l’espoir pour ton avenir ». Rachel Frankel savait pertinemment que son kadish ne resterait pas invisible. Il n’était pas non plus une revendication militante. Il était simplement le kadish d’une mère endeuillée, mais il donne de l’espoir à un peuple entier.
Cliquez ici pour voir les vidéos des hespédim et du Kadish de la famille Frankel
Notes :
[1] http://www.beithillel.org.il/show.asp?id=60598#.U7RIVvl_uXk
[2] http://halachayomit.co.il/FrenchDisplayRead.asp?readID=1312
[3]Iggrot Moshe, OH 5:12
[4]Od Yossef ah’i h’ai, p.100
[5]http://jwa.org/media/henrietta-szold-s-letter-to-haym-peretz-on-saying-kaddish-for-her-mother
Bonjour,
Même si je suis d’accord avec le contenu de vos propos, dans ses grandes lignes, vous utilisez des sentiments et des émotions encore vive en nous pour valider une loi…
C’est une démarche assez basse et dangereuse pour tous!!
Qu’auriez vous dit si elle avait fait chaliach tsibour pour la priere de minha et que sur une autre blog on disait
« la priere de Rachel était celui de centaines, de milliers, de femmes orthodoxes n’ayant pas pu dire la priere dont elles avaient tant besoin durant leurs pires heures. C’était aussi la priere des milliers de femmes qui pourront le réciter demain sans craindre les remarques et les insultes, car un pays entier a déjà vu une femme profondément orthodoxe le réciter devant une assemblée de rabbins, devant le Grand Rabbin d’Israël lui-même, et les a vus répondre amen . »
Bonjour,
Il y a deux différences importantes :
1) Comme je l’ai briévement dit au début de l’article, Rachel Frenkel a largement sur qui s’appuyer.
2) Un point essentiel, à mes yeux : Rachel Frenkel a les connaissances et la formation nécessaire pour connaitre la Halakha. C’est ce qu’elle fait dans sa vie depuis des dizaines d’années. Donc il serait déplacé d’oser la reprendre sur une pratique halakhique uniquement parce qu’elle nous choque, si nous n’avons pas son niveau de connaissance.
Kol Touv
Vous pensez tout d’un coup que cette femme est un centre Halakhique.
Vraiement n’importe quoi.. Excusez moi…
Rav X Rav Y et Rabbanit Z et D eux, ont un niveau de connaissance bien supérieur a cette pauvre et malheureuse dame… et alors?
Nous partageons pleinement sa douleur, mais son comportement ne peux nous servir de phare.
D’ailleurs, je ne pense pas que vous auriez changé d’avis à ce sujet; si elle etait restée silencieuse… Et vous aurez bien eu raison
Chabbat chalom
Cher Gabriel,
En effet, vous semblez (inconsciemment) utiliser le traumatisme que nous avons tous vécu ces derniers jour, pour valider une Halakha ou un comportement. Vous dépeignez avec justesse et justice les sentiments très amers de ces femmes qui se voient interdites de réciter le kaddich à des moments douloureux de leur vie. Mais ce sentiment persisterait même si la halakha était catégorique ! Ma cousine appartient au courant de judaïsme réformé, elle peut s’exprimer, moi pas ! Pourquoi ? C’est injuste ?…
Il serait tout autant ridicule de vouloir utiliser ce drame pour valider le danger d’habiter dans les chtakhim, même s’il est vrai que si ces familles habitaient à Tel Aviv ou Jérusalem ce ne sont pas eux qui auraient été kidnappé et… mais d’autres…
Aussi, la mention de la présence de grand rabbin est totalement déplacée. On ne leur a pas demandé leur avis, et diplomatiquement parlant, ils ont bien fait de se taire. d’ailleurs s’il s’agissait d’un père non-juif israélien (dans les mêmes conditions) qui aurait souhaité réciter le kaddish, je ne pense pas qu’on lui aurait refusé.
Encore, écrire que cette femme est profondément orthodoxe n’a aucun sens, et si elle n’était pas orthodoxe les rabbins auraient-ils agis différemment ? Que cherchez-vous à prouver par cela ?
La question du kaddish prononcé par une femme est une question de Halakha. Ce sont des rabbanims qui tranche ce type de question, pas une femme en deuil sur son fils. Bien sur il tient à chacun d’entre nous de choisir un rav qui lui semble ressembler à un ange… mais je pense que ces anges (peu importe leur décision sur la question) n’utiliseront pas ce type arguments. En France et en israel le minhag en large majorité (consistorial et orthodoxe, sefarade et achkenaz) est qu’une femme ne récite pas le kaddish. je pense que c’est au rabbin de poser les règles de la halakha.
Les communautés massorti et libérale ont évidement un autre avis sur la question. Mais ce n’est pas à ce type de communauté que votre blog s’adresse si je n’abuse pas.
Les sentiments humains se forment à travers des expériences humaines. Il faut etre droit et admettre que souvent, il est fort difficile d’admettre que notre vision des choses et de la halakha est biaisée. Je vous conseil de voir ce qu’on appelle les biais cognitifs.
N’ayons pas peur de dire que peut-être qu’elle a fait une erreur… cela ne retire en rien les émotions de Akhdout qui se sont développé dans notre peuple ces derniers jours… espérons que cela continue sans que nous devions passer par des évènements si dures.
Nous pensions bien que vous alliez écrire un billet sur cette affaire si douloureuse pour tous. Mais je m’attendez personnellement que vous feriez ressortir la Akhdout du moment. Dommage…
Mais bon, la plume est à vous…
Ilan.
Bonjour Ilan,
Je réagis sur un seul point (le reste ouvre une réflexion intéressante, bien que je ne pense pas avoir utilisé ce geste pour valider un quelconque agenda).
« Ce sont des rabbanims qui tranche ce type de question, pas une femme en deuil sur son fils. » – C’est exact. Sauf que j’ai précisé que cette femme était une « rabbanit », qu’elle possède ce titre suite à une longue formation halakhique orthodoxe, qu’elle est pleinement membre de l’organisation rabbinique orthodoxe Beit Hillel (qui a publié un responsum en faveur de la récitation du kadish par les femmes).
C’est pour ça que j’ai précisé dès le début que je ne rentrerai pas dans les considérations halakhiques, puisqu’à ce niveau Rachel Frenkel est mieux placée que vous et moi.
Kol Touv
Merci Ilan,
C’est exactement ce que je voulais dire.
Nous devons comprendre que Gabriel ne peut pas offrir tout son temps à répondre aux réactions des autres.
Gabriel :
« C’est pour ça que j’ai précisé dès le début que je ne rentrerai pas dans les considérations halakhiques, puisqu’à ce niveau Rachel Frenkel est mieux placée que vous et moi. »
Et si vous relisiez votre article sur l’argument d’autorité ? 🙂
Bien vu !
Heureusement que Noémie Benchimol m’avait répondu dans un brillant article et m’avait même convaincu sur certains points…. 🙂
https://www.aderaba.fr/argumentdautoritereponse/
Je ne vois pas trop le rapport…
Ce n’est pas grave…