Entretien avec Rav Yaakov Ohayon, de l’organisation Beit Hillel
Rav Yaakov Ohayon est un jeune rabbin israélien d’origine française, qui a rejoint l’organisation rabbinique Beit Hillel (dont nous parlions à plusieurs reprises sur le blog). N’hésitez pas à laisser d’autres questions dans les commentaires, Rav Ohayon y répondra surement.
Pouvez-vous nous parler de l’organisation rabbinique Beit Hillel et des raisons qui vous ont poussé à la rejoindre ?
C’est une association qui a été créée en 2012 et composée de 170 rabbins et femmes érudites (talmidot hah’amim). Elle a pour but de faire entendre une voix sioniste et religieuse, ouverte et authentique et de combattre certains types d’extrémismes.
Les hommes comme les femmes font partie intégrale de l’organisation et de ses débats. Nous discutons entre autres des liens entre les différents groupes qui composent le peuple juif, le tout dans un esprit de Torah et d’ouverture. Nous encourageons un débat public et publions des décisions halakhiques permettant à chacun de trouver sa voie/voix dans la torah sans pour autant faire de concession sur la halakha. Les grands sujets touchent notamment a la place des femmes au sein de la religion, les liens avec le monde laïc, les problèmes liés au divorce/mariage juif (guet, accords pré-nuptiaux, etc…)…
Personnellement, cet organisme m’a toujours intéressé.
Lorsque j’ai reçu ma smikha (ordination rabbinique), mon maître, le Rav Eliyahou Rahamim Soudry zatsal ( qui est décédé il y a quelques mois), m’a clairement fait comprendre que mon rôle de rabbin concernait le peuple juif tout entier et non uniquement mon entourage. Il m’a donc poussé à faire entendre ma voix au sein d »une organisation rabbinique. J’ai décidé de rejoindre Beit Hillel sachant que cela correspondait au mieux à ma vision de la halakha, et qu’il y manque de Rabbanim Sefaradim. Mon maitre, le Rav Soudry zatsal, nous a toujours éduqué à être à l’écoute du public quant à leurs questions de halakha. Mes références utilisées dans le cheminement de la halakha sont diverses et variées, mais en tant que rabbin séfarade, des personnalités telles que le Rav Yossef Messas zatsal, Rav Shalom Messas zatsal etc… restent des guides incontestés dans le domaine de la halakha.
De plus, je pense que ma proximité avec le monde francophone nous permettra de mieux faire connaitre Beit Hillel à ce public qui, à mon grand regret, est souvent dirigé par des rabbanim aux idées extrêmes et peu ouvertes.
Il s’agit de la première organisation rabbinique orthodoxe à ouvrir ses portes aux femmes. Pensez-vous qu’à long terme, l’inclusion de voix féminines au sein monde religieux puisse conduire à une évolution du rôle de la femme juive orthodoxe ?
Je commencerai par citer le Rav Soloveitchik : « non seulement qu’il est autorisé d’enseigner aux femmes la Torah orale, de nos jours il s’agit d’une claire obligation ! La discrimination entre les sexes dans l’étude a causé et cause la chute de notre communauté orthodoxe. Jeunes hommes et jeunes filles doivent apprendre et entrer dans les profondeurs de la torah de façon totalement similaire. […]Je soutiens sans réserve un programme d’études uniformes pour tous les sexes. » ( « Covenant, community and commitment »/Ish Al haéda, lettre 5 ).
De tout temps, nous avons connu des femmes érudites : les prophétesses Miryam et Deborah ; la reine Shlomtsion ; Brourya la femme de Rabbi Meir ; Hava Bakhrah, petite fille du Maharal de Prague ; Osnat Barzani, qui remplaça son père à la tête d’une Yeshiva au Kurdistan ; Pr. Nehama Leibowitz…
Le fait de « booster » l’accès des femmes au monde de l’étude, ne fait pas profiter uniquement les femmes, mais cela profite avant tout à tout le peuple d’Israël, Hommes et Femmes !
Lorsqu’une partie de la population se sent mise à part, cela affecte notre relation avec D-ieu. Accorder une place intégrale et primordiale aux femmes au sein de l’étude permet d’unir réellement le peuple d’Israël.
Nous sommes conscients que c’est un défi, et que beaucoup s’y opposent, mais avec beaucoup de patience et d’écoute cela prendra forme !
L’expansion du rôle des femmes d’aujourd’hui engendre également un nouveau partenariat entre les hommes et les femmes dans diverses tâches, telles que l’éducation des enfants, les revenus du foyer, etc… . Ce nouveau partenariat ne s’arrête pas au cercle familial privé – il touche également au domaine religieux et c’est une véritable bénédiction pour le monde entier.
Il y a pour le moment un grand écart entre le quotidien des femmes dans tous les domaines d’activité de la vie sociale et entre leur passivité imposée au sein du monde religieux (même si le terme de religion n’est pas le plus adapté…). Chez beaucoup de gens, cette dissonance menace d’engendrer des dommages dans leur foi et pratique religieuse. Le fait d’augmenter la participation active des femmes dans la communauté peut réduire cet écart de manière conséquente et lier de plus belle nos vies à la Torah. Ce nouveau lien ne peut qu’avoir un impact positif sur le public.
L’insertion des femmes au sein du monde orthodoxe doit avant toute chose commencer par un dialogue interne entre les femmes elles même et par une réorganisation totale de la communauté – de l’architecture des bâtiments communautaires jusqu’à la mentalité du public.
Beit Hillel a tranché, avec courage, qu’une femme peut réciter le kadich pour ses parents, que les femmes peuvent danser avec la Torah lors de Simhat Torah et que les femmes peuvent lire la Méguila entre elles. Il s’agit d’une révolution pour une partie du monde orthodoxe, mais certains estiment que la Halakha permet des aménagements plus larges.
Par exemple, de plus en plus de synagogues se désignant comme “orthodoxes égalitaires” ont vu le jour en Israël. Dans ces synagogues, les femmes montent à la Torah et dirigent certaines parties de l’office. Elles ont notamment le soutien du Rav Daniel Sperber, qui a écrit un ouvrage entier pour autoriser les femmes à monter à la Torah. Quelle est la position de l’organisation sur ce point précis ?
Voici les points liés au rôle des femmes que Beit Hillel prône :
1. Les femmes peuvent participer à une réjouissance entre femme, dans la section des femmes, en parallèle à celle des hommes. Cela a d’ailleurs l’avantage de permettre aux femmes de décider elles-mêmes de leur façon de réaliser leur simh’a. (des communautés, commes celles de Pisgat Zeev à Jérusalem ont adopté ce rituel cette année a Simhat Torah).
2. Lors de Simh’at Torah, les femmes peuvent organiser des hakafot, des danses et des chants, comme chez les hommes. On peut aussi organiser un tish.
3. En parallèle des traditionnels « h’atan torah » et « hatan bereshit », il est recommandé de désigner une « kalat torah » et une « kalat bereishit », afin de remercier les femmes de leurs activités communautaires. Elles peuvent dire des divrei Torah, donner un cours, offrir le repas à la synagogue, ou organiser des activités spécifiques aux femmes.
4. Le Rambam ( hilkhot sefer torah 10:8) et le Shoulkhan Aroukh (Y.D 282:1) tranchent que : « Même une femme Nidda a la droit de tenir un sefer Torah et d’y lire ». C’est pour cela que les femmes qui désirent danser avec le sefer torah peuvent le faire, en le portant ou en le posant sur une table et en dansant autour. (il y a plusieurs remarques au sujet des danses avec le sefer Torah dans les mains des femmes, mais nous ne développerons pas ici…)
Quant à la lecture du sefer Torah par des femmes dans un office de femmes, les avis des rabbanim de Beit Hillel divergent, c’est pour cela que nous ne prenons pas encore de position officielle, chose qui viendra probablement dans les mois à venir, lors d’une prochaine réunion de nos rabbanim.
Il est important de préciser que toutes ces démarches doivent être faites accompagnées d’un réel dialogue au sein de la communauté et avec son rabbin, afin d’éviter toute tension inutile.
Suite à l’augmentation considérable des tensions entre religieux et laïcs en Israël, Beit Hillel a t-elle un projet visant à rendre le judaïsme plus attrayant aux yeux de l’israélien moyen ?
Plus attrayant ? Ce n’est pas exactement une attraction…
Nous croyons que la Torah d’Israël appartient à tout Juif, qu’elle est intrinsèquement liée au quotidien du peuple juif et à la terre d’Israël.. Par conséquent, il est de notre obligation d’être à l’écoute de toute la population juive, israélienne et internationale. Cela commence avec un désir de proximité et un réel amour pour Israël.
La gestion des tensions entre religieux et laïcs, notamment celles liées au caractère juif de l’État d’Israël, doit se faire par le dialogue, l’écoute et une réelle réflexion ; à l’instar de ce qu’ont fait nos sages au cours des générations. Nous devons nous efforcer de trouver le juste équilibre entre les principes sacrés de la tradition et la réalité sociale et culturelle de la population israélienne.
Nous appelons à un dialogue entre les différents composants du peuple afin de mieux se comprendre et de renforcer l’unité du peuple, en mettant l’accent les points communs plutôt que sur les différences.
Les dernières élections du rabbinat israélien ont laissé un goût amer au public sioniste-religieux mais également au public laïc. L’impression est que le rabbinat est miné par les luttes politiques. De nombreuses associations appellent désormais à la séparation de la Synagogue et de l’État en Israël ou à une réforme complète de ces rapports (comme par exemple l’association Neemanei Torah véavoda). Beit Hillel a-t-elle une position sur cette question brûlante ?
Malgré le fait que le rav David Lau ait explicitement fait savoir son désir de travailler main dans la main avec Beit Hillel, nous pensons que l’échec des candidats sionistes-religieux prouve que notre travail ne fait que commencer (notamment via l’association Tsohar du rav David Stav) si nous voulons permettre une véritable alternative rabbinique pour tout le peuple d’Israël. Une alternative qui résoudra les vrais problèmes de société : les agounot, les mariages, les conversions etc…
La conclusion intéressante de ces élections est que le monde laïc voudrait un candidat sioniste alors que le sionisme-religieux se scinde en deux : une partie reste sioniste, et une partie se tourne vers le monde haredi.
Il faut tout de même laisser aux nouveaux rabbins le temps de faire leurs preuves afin de voir comment ils se comporteront face au prochain grand enjeu : la shmita avec la question du heiter mekhira. Nous pourrons alors répondre à la question : Les deux rabbins sont-ils représentants d’un parti politique ou d’un Etat ?
Pour conclure, pouvez-vous nous dire quelles sont les priorités de Beit-Hillel pour cette nouvelle année ?
Les rabbins et érudites de Beit Hillel doivent se rencontrer prochainement afin de décider quelles seront les priorités pour la nouvelle année. Ce qui est sûr, c’est que des sujets tels que les accords pré-nuptiaux, les Agounot, l’avenir du Rabbinat, le dialogue entre les religieux et non-religieux resteront d’actualité…
L’un des projets a venir est “Shabbat Israelite” un shabbat national durant lequel des familles religieuses inviteront des familles ‘hiloniot a passer un shabbat chez eux, et inversement. Cela se déroulera le shabbat 25.10.2013 – Parashat Haye Sarah (plus d’informations sur notre page faceboook).
Mais en attendant, suivez nous sur notre page facebook : http://www.facebook.com/B.Hillel
J’ai lu avec intêrêt et enthousiasme l’interview du Rav yaacov OHAYON .
Je suis persuadée que les choses bougent & que la sincérité qui anime certains leaders est comme la lumière..l’énergie déferlante contre laquelle l’obscurité/l’obscurantisme ne peut que se dissiper . En tant que femme engagée et ayant étudié la Torah, je tiens à mettre l’accent sur un point qui me paraît fondamental : alors que de nombreux articles attirent justement l’attention sur l’ouverture halahique et celle de l’étude aux femmes et à l’ensemble du monde juif toutes tendances confondues,quoi de plus judicieux que de rappeler qu’il existe de nombreuses prescriptions (mitsvot) d’une personne envers son/sa prochain/e, qui sont de véritables phares qui nous éclairent quant à nos relations les uns envers les autres, dont le socle est le respect … Polichinel
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