Hannouca, livres apocryphes et Halakha revisitée
re-post de Novembre 2013.
Le livre des Maccabées est une des rares sources juives à nous raconter en détails l’histoire de Hannouca et la révolte des Hasmonéens contre l’envahisseur grec.
Pour divers raisons, le livre a été rejeté du canon biblique juif (il fait cependant parti de l’ancien testament chrétien) mais nous livre quelques précieuses informations pouvant dont certaines pouvant jeter un nouvel éclairage sur la Halakha. Dans quelle mesure un livre apocryphe peut-il servir de base légale pour un décisionnaire contemporain ?
Mes propos font particulièrement allusion au passage suivant :
“[Les grecs] marchèrent à eux, et se préparèrent à les attaquer le jour du sabbat. Et ils leur dirent: Résisterez-vous encore maintenant? Sortez, et agissez selon la parole du roi Antiochus, et vous vivrez.
Ils répondirent: Nous ne sortirons pas, et nous n’accomplirons pas l’ordre du roi, en violant le jour du sabbat.
Ils engagèrent donc contre eux le combat. Et ils ne leur répondirent pas, et ne jetèrent pas une seule pierre contre eux, et ils ne fermèrent pas leurs retraites, disant: Mourons tous dans notre simplicité, et le ciel et la terre seront témoins que vous nous faites mourir injustement.Et ils leur firent la guerre aux jours de sabbat; et ils moururent, eux, leurs femmes, et leur enfants, et leurs troupeaux, au nombre d’environ mille personnes.
Mathathias et ses amis l’apprirent, et ils furent dans un grand deuil à leur sujet. Et ils se dirent les uns aux autres: Si nous faisons tous comme ont fait nos frères, et si nous ne combattons pas contre les nations pour notre vie et pour nos lois, ils nous extermineront bientôt du pays.
Ils prirent donc ce jour-là cette résolution: Qui que ce soit qui vienne contre nous pour le combat le jour du sabbat, combattons contre lui; et nous ne mourrons pas tous, comme nos frères sont morts dans leurs retraites. » (Maccabées I, 2:32-41)
Ce passage à de quoi surprendre le juif contemporain. En effet, il nous décrit un suicide collectif commis par les juifs, afin de ne pas profaner le Shabbat. Les juifs attaqués préféraient mourir passivement, sans jeter une seule pierre, plutôt que d’enfreindre les interdits du Shabbat. La suite du récit nous raconte le deuil des Hasmonéens et la décision pragmatique de Mattathias : en cas d’attaque, il sera désormais permis de profaner le Shabbat pour se défendre.
Cette conclusion est également celle de la Halakha contemporaine, qui se base sur la Tossefta de Chabbat (15:17) :
הא לא נתנו מצוות לישראל אלא לחיות בהן שנאמר אשר יעשה אותם האדם וחי בהם ולא שימות בהן. אין כל דבר עומד בפני פיקוח נפש חוץ מעבודה זרה, גילוי עריות ושפיכות דמים ».
« Les commandements n’ont été donnés à Israël que pour qu’ils vivent à travers eux, comme il est dit : “L’homme les fera et vivra par eux” (Lev. 18:5) – [il vivra par eux] et ne périra pas à cause d’eux. Rien ne devance un danger mortel, à part l’idolâtrie, les interdits sexuels et l’assassinat”.
Selon la loi rabbinique, appliquée jusqu’à nos jours, la valeur de la vie précède toutes autres valeurs, y compris celle des commandements. Cette loi est considérée comme sinaïque, midéoraïta, et est supposée admise depuis l’époque de Moïse.
Pourtant, l’histoire des Maccabées nous livre une version différente. À en croire l’auteur, l’interdit de combattre durant Shabbat était unanime jusqu’à cette époque (2e siècle avant l’Ère actuelle) et la loi ne fut changée que par Mattathias. Rajoutons d’ailleurs que les juifs éthiopiens, que certains considèrent comme des exilés du premier Temple (et donc d’avant la période hasmonéenne), suivaient la loi pré-hasmonéenne qui interdisait le combat durant Shabbat. Selon leur tradition, c’est notamment cette loi qui leur fit perdre l’autonomie politique dont ils jouissaient au Moyen-Age.
Mais au-delà de l’évolution de la loi, ce passage jette également un nouveau regard sur le concept de “pikoua’h nefesh” (danger mortel) et sur les guerres autorisées durant Shabbat. Rav Shlomo Goren, premier grand rabbin de Tsahal puis Grand Rabbin d’Israël, se basa largement sur les descriptions du livre pour en déduire des lois pratiques adoptées par l’armée israélienne. Dans un article intitulait “La guerre durant Shabbat selon les sources” (Sinaï, sefer yovel, p.162), Rav Goren procède à une analyse poussée du texte des Maccabées qu’il semble considérer comme une source halakhique sûre.
Cette position surprenante pour un rabbin orthodoxe donne une légitimité religieuse à un livre pourtant rejeté du canon biblique. À en croire Rav Goren, des sources historiques vérifiées peuvent avoir une influence importante sur la halakha, y compris dans les domaines les plus sérieux, comme celui de la profanation du Shabbat. Au final, cette position est de loin la plus raisonnable car elle tient compte d’éléments historiques qu’un esprit rationnel aurait bien du mal à refuter. Souhaitons que les rabbins de l’envergure du Rav Shlomo Goren se multiplient en Israël !
Dans le cas que vous relatez,le fait d'accepter de mourir sans se défendre de la main d'un agresseur pour ne pas trahir sa foi et ses préceptes ne peut etre considéré comme un suicide collectif. Mais ce fut peut etre le cas des Zélotes assiégés par les Romains a Massada qui se donnérent la mort l'un l'autre, le dernier restant se suicidant effectivement en enfreignant la Loi Divine. Qu'en pensez vous ?
Les Hasmonéens lancent une guerre pour pouvoir vivre leur foi, et se suicident au première obstacle ? Veulent-ils vivre leur religion ou mourir en martyre ?
Pour moi, le récit ne laisse aucun doute, ainsi que l'ensemble du livre. Les Hasmonéens refusaient le suicide et ont agis ainsi à cause d'une loi religieuse, pas par choix.
Très intéressant. Un sujet particulièrement sensible.
S’il vous plait, quels sont ces raisons qui ont amené à ne pas intégrer le livre des Maccabées dans le corpus de la Torah, par qui et quand cela a t’il été tranché ? Mais cela fait beaucoup de questions et ce sera peut être pour un autre article.
Bonsoir,
Il n’existe pas, à ma connaissance, de raison officielle pour le rejet du livre des Maccabées du canon biblique.
Il existe cependant plusieurs suppositions se basant sur la littérature rabbinique (voir ce billet : https://www.aderaba.fr/pretreouroilesoubliesdehannouca/). On peut aussi simplement supposer que la rédaction tardive du livre (2e siècle avant JC) le disqualifiait automatiquement car selon les sages, la période prophétique s’était arrêtée quelques siècles plus tôt, à l’époque d’Esther. D’un autre coté, si les sages avaient jugé Maccabées comme étant un livre canonisable, cette affirmation n’aurait pas existé…
Bref, rien de sûr…
La clôture du canon biblique a été faite essentiellement par les anshei knesset hagdola, dont Shimon hatsadik (Cohen gadol) était l’un des membres. Ce même Shimon qui n’est autre que le grand-père de matityahou, père des hasmonéens. Donc, et j’espère ne pas me tromper, il était un peu tard pour les makabim; et comme le rappelle Gabriel, la période de la prophétie était considérée comme terminée, et celle de la kho’hma venait à peine de débuter. Il existe des textes (les références m’échappe) sur le choix et les débats entre sages sur ce qui devait entrer ou non dans le canon biblique, le critère étant que tout devait y être de la prophétie; par exemple ben-sira (le siracide chez les chrétiens, qui l’ont intégré à leur ancien testament) était bien un prophète, mais son texte fut jugé comme ayant une part non-prophétique, et fut donc rejeté. Là où le débat est encore plus intéressant, c’est sur shir hashirim, dont le langage « érotique » semblait être de prime abord disqualifiant.