Féminisme et judaïsme – entre choc et renouveau

Parmi mes dernières lectures, un livre a attiré mon attention. Il s’agit d’une étude du Professeur Hanna Kehat intitulée sobrement « Féminisme et judaïsme – entre choc et renouveau». Malheureusement, l’ouvrage n’est disponible qu’en hébreu…

Mais avant tout, introduisons l’auteur.

hanna-kehat1-6052591Hannah Kehat est la fondatrice du mouvement Kolech – ta voix, mouvement israélien composé de femmes se définissant comme orthodoxes (modernes) et féministes. Fondé en 1998 cette organisation a pour projet de répandre les idées féministes orthodoxes au sein du public israélien religieux ainsi que de défendre les droits de la femme face aux tribunaux rabbiniques et civils (particulièrement en ce qui concerne les agunot – les femmes auxquelles le mari refuse le divorce).

Dans son enfance, Hanna Kehat grandit entourée de personnalités du judaïsme haredi( ultra-orhtodoxe) – à commencer par son père, le Rav Shlomo Fisher, et son oncle, le Rav Israël Yaacov Fisher (Av bet Din de la Edah Haharedit).

Cependant, Hannah prend ses distances avec le monde haredi et rejoint finalement le monde Modern Orthodox en épousant le Rav Baroukh Kehat, élève à la Yeshiva du Gush Etzion.

Anciennement directrice de la Midreshet Lindenbaum puis professeur de pensée juive à la Midrasha de Bar-Ilan, Kehat se partage désormais entre conférences et recherches sur la place de la femme au sein du judaïsme.

Hanna Kehat se définit elle même comme une femme religieuse, lamdanite(approximativement : érudite) et féministe.

Parlons maintenant du livre. 

 

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Tout d’abord, il surprend par la richesse des sources et connaissances : Midrashim et versets côtoient guemarot et poskim.

Mais outre les passionnantes références, c’est l’honnêteté intellectuelle de l’auteur qui frappe. Bien qu’ayant fait du féminisme orthodoxe le combat de sa vie, Hanna Kehat n’hésite pas à reconnaître que telle ou telle source s’oppose à ses dires, plutôt que d’essayer de distordre les mots et les idées pour les faire rentrer dans sa conception des choses… Une qualité rare, particulierement chez les personnes engagées.

Le livre s’ouvre sur une description du féminisme religieux que Kehat classe en trois catégories :

  1. Le type Rachel – nommé sur le portrait fait dans le Talmud (Ketoubot 62b) de Rachel, femme de Rabbi Akiva. Celle-ci se sacrifia pour que son mari puisse partir étudier la Torah. Après 24 ans, Rabbi Akiva revient entouré d’une multitude d’élèves auxquels il dit : la mienne et la votre [la Torah], c’est la sienne.

Kehat considère que Rachel est désormais devenu le modèle de la femme hareditequi voit toute sa récompense dans les sacrifices qu’elle fait pour que son mari puisse étudier.

  1. Le type Yalta – du nom de la femme de Rav Nahman, dont le Tal bruria1-8293819mud (Brachot 51a) nous  raconte que vexée par le manque de respect de Oula (un maitre du Talmud) qui refusa de lui tendre le verre du Kidoush estimant qu’elle n’était pas astreinte à cette mitsva , elle brisa quatre-cents tonneaux de vins jusqu’à obtenir gain de cause.

Pour Kehat, Yalta représente la féministe radicale qui milite pour ses droits, quitte à déclencher la fureur des rabbins.

  1. Le type Bruria, certainement la plus célèbre femme du Talmud. Femme de Rabbi Meir, le Talmud (Pessachim 62b) nous raconte qu ‘elle enseignait trois cents Halakhot chaque jour à plus de trois cents rabbins et que malgré cela , elle demeurait bien en-dessous de ses capacités. Une Tossefta (Baba Kama 4, 17) ramène également la discussion qui opposa Bruria et les sages jusqu’à ce que vienne Rabbi Yehuda ben Baba et tranche en faveur de Bruria…

Bien que Kehat ne l’écrie pas explicitement, on peut supposer que Bruria représente pour elle le modèle idéal. Femme érudite et indépendante, capable d’enseigner aux hommes tout en protégeant sa féminité (plusieurs histoires talmudiques témoignent de sa finesse et de sa sensibilité). C’est d’ailleurs en son nom que fut nommé le premier séminaire féministe en Israël : la célèbre Midreshet Bruria (actuellement Lindenbaum) que Kehat dirigea.

Dans un second temps, Kehat prouve également que les questions soulevées par les féministes orthodoxes n’ont rien de nouveau. Ainsi, elle ramène les plaintes de Reyna Batia – femme du Rav Naftali Zvi Yehuda Berlin (connu sous le nom du Natsiv, il dirigea la très célèbre Yeshiva de Volozhin) et grande érudite , qui souffrait déjà du manque de considération de la femme juive quelques décennies avant les débuts du féminisme.

Le témoignage est rapporté par le cousin de Reyna Batia, le Rav Baroukh Halevy Epstein, auteur du Torah Temima. Celui-ci écrit :

« Et plus d’une fois je l’ai entendu se lamenter et se plaindre, souffrir et gémir, l’esprit troublé et l’âme amère, sur le triste sort et la misérable part des femmes dans ce monde, […] détachées des mitsvot liées au temps, telles le talit et les tefilin, lasouccah et le loulav, et encore beaucoup beaucoup d’autres… Et plus je l’écoutai, plus la plainte montait. Une plainte silencieuse et une jalousie spirituelle des hommes qui ont eu la chance d’avoir deux cent quarante huit préceptes positifs dont  trois d’entre eux seulement ont été donnés également aux femmes…

De plus, elle était travaillée par le mépris fait aux femmes , à qui ont avait fermé les portes de l’étude.

[…] Et combien l’âme de ma cousine était amère lorsqu’elle constatait que n’importe quel homme égaré et perplexe, méprisable et vide, ne comprenant même pas l’hébreu et qui ne se serait jamais avisé de passer devant elle sans baisser la tête avec respect en attendant sa permission… Comment un tel homme pouvait réciter à ses oreilles, avec orgueil et fierté, la bénédiction « qui ne m’a pas fait femme » ! Et le plus grand des malheurs, disait-elle, c’est qu’à cette bénédiction elle devait répondre « amen ». Et qui donc aura la force (ainsi demandait-elle) de mettre fin à cette malédiction faite aux femmes. »

                                                                                                                        (Mekor Baroukh, p.1950)

Pour ceux qui ne l’auraient pas encore compris, il s’agit là d’un témoignage de la femme d’un des plus grand dirigeant spirituel du siècle dernier. Les plaintes de Reyna Batia sont exactement celles qui travaillent aujourd’hui  les féministes orthodoxes.

Mais ce qui n’était qu’un cri dans le désert est aujourd’hui devenu un mouvement et dans la partie finale de son livre, Hanna Kehat répond à la grande question :

 

Comment rehausser la place de la femme dans le judaisme en géneral, et la pratique religieuse en particulier, sans quitter les quatre mesures de la Halakha ?

 

 Hanna Kehat synthétise les réponses apportées par les femmes, pour les femmes, durant les deux dernières décennies.

Ainsi, le point le plus important est évidemment celui de l’étude, Kehat lui consacre un chapitre entier. Je ne m’y étendrai pas, l’essentiel des idées sont déjà présentes dans mon article ma fille érudite ?! Has Vechalom ! .

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Un second point est celui de la passivité de la femme juive traditionnelle tout au long des événements qui entourent sa vie religieuse.

Ainsi, Kehat renforce le minhag de la Bat-mitsva et encourage les mariées à prendre une part plus active à la cérémonie. Pour montrer son accord lorsque l’homme lui met la bague au doigt, la femme peut par exemple dire Ani ledodi vedodi li (Chir hachirim 6, 5) , la dernière bénédiction des sheva brachot peut être récitée par une femme et une femme peut lire la Ketouba.

Pareillement, Kehat encourage les femmes à réciter le Kadish pour leurs parents (cf. mon article, le Kadish au féminin – topo rapide) ainsi qu’à dire le zimoun entre femmes (précisons que selon le Gaon de Vilna, il s’agit la d’une obligation).

Kehat s’intéresse aussi à la place de la femme au sein de la synagogue. Comment concilier égalitarisme et mehitsa ? L’auteur renvoie au modèle de certaines synagogues modern-orthodox américaines où la mehitsa est placée au milieu et où les femmes peuvent également monter sur l’estrade pour y faire des drashot (discours).

Pour finir, Kehat soulève le problème des femmes agunot  en conseillant l’utilisation des tnaei ketuba ( solution acceptée  par les tribunaux rabbiniques israéliens qui consiste à rajouter des « conditions » à la  Ketuba qui obligeraient le mari ou la femme réfractaire au divorce , à payer de très lourdes sommes) – ainsi que celui duleadership féminin :

Une femme peut-elle trancher la loi pour d’autres femmes? (question très épineuse qui nécessiterait un article complet, les plus interressés peuvent lire les responsas des Rabbanim Spierber et Bin-Nun publiées dans mon article Mme le Rabbin, Rabba ou Maharat ?)

Peut-elle diriger une communauté ?  (idem)

Des questions difficiles qui nécessiteront encore beaucoup d’étude et de travail…

En deux mots, un livre franc et enrichissant, empli de confiance en l’avenir. Un livre qui nous prouve qu’une génération de femmes talmidot hakhamim  et craignantes-Dieu existe déjà  et se dévellope positivement.

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