L’extrémisme religieux comme manque de Foi
Rav Shimon Gershon Rozenberg (1949-2007), plus connu sous l’acronyme de ShaGaR, était un rabbin et penseur décédé bien trop tôt. Issu du milieu sioniste-religieux israélien, il était tout autant versé en Torah qu’en philosophie. L’essentiel de son œuvre tourne autour de la philosophie post-moderne et de la possibilité de la concilier avec un judaïsme orthodoxe. Cette philosophie se définit par une remise en question de la supposée objectivité des valeurs modernes et par un relativisme assumé. Pour Shagar, l’homme peut vivre dans le doute et l’interrogation ; de la déconstruction des anciennes valeurs, peut naître une nouvelle foi, plus complexe et profonde.
J’ai découvert récemment les écrits du Rav Shagar, mais plus je m’y consacre et plus je découvre le génie de ce rav encore trop peu connu. Mis à part ses connaissances impressionnantes, tant en Torah qu’en philosophie moderne, Shagar arrive à définir avec une exactitude incroyable les problèmes du judaïsme actuel et propose des solutions tout aussi brillantes que porteuses d’espoir.
Dans ce court texte extrait du livre « Louh’ot véshivré Louh’ot » (p.315), Shagar résume en quelques mots l’origine du fondamentalisme religieux :
“Le zélote est celui qui craint qu’on lui prenne sa foi. Son zèle ne provient pas d’un surplus de foi mais, à l’inverse, du doute qui traverse son cœur ; plus ce doute augmentera, plus son zèle augmentera. Cette attitude conduit facilement à un fondamentalisme. D’une certaine manière, il s’agit d’une violence dirigée vers le zélote lui même puisque [cette attitude] provient de son besoin d’oublier ses doutes.
Le fondamentalisme est un phénomène laïc : Sa racine provient d’une défectuosité dans l’Alliance, qui s’exprime par l’impossibilité de développer un lien et un engagement profond.”
Que nous dit Shagar dans ces quelques phrases ? Que l’extrémisme religieux provient d’un manque de foi et de la peur que ce manque provoque chez l’individu. Au fond, le fondamentaliste n’est pas religieux; c’est à dire que sa foi est faible et que seule sa peur d’assumer une telle faiblesse le pousse à s’interdire toute réflexion.
J’ai plusieurs fois entendu des gens m’avouer qu’ils craignent de réfléchir à tel ou tel sujet car les conséquences potentielles les effrayent. Cette crainte conduit inévitablement à un fondamentalisme, à une religion sans profondeur et sans signification.
Rav Shagar rajoute que le fondamentalisme est en réalité un phénomène laïc. Dans une société traditionnelle, où la croyance en Dieu est vue comme une évidence, le religieux ne se sent pas menacé et sa religion l’aide à s’élever. Face à la laïcité grandissante et ses idées, une partie du monde religieux tremble et choisit le fondamentalisme comme seul garant de la perpétuation de la religion.
Alors que la laïcité offrait au religieux la possibilité de se réinterroger sur le sens de sa religion et sur son attache à Dieu, d’approfondir l’alliance entre le divin et l’humain, le fondamentaliste choisit le dogmatisme rassurant, celui qui lui évite toute remise en question mais aussi toute réflexion et tout approfondissement.
Plutôt que de voir la société moderne et ses idées comme des ennemis, Rav Shagar nous invite à y voir l’occasion d’approfondir notre propre sentiment religieux. Cette société, que certains regardent comme le diable, peut être un tremplin vers une véritable résurrection spirituelle.
Peut-on avoir la référence exacte de la citation ? Merci !
Oui, bien sûr. Je la mets dans les jours qui suivent parce que je n’ai plus le livre sous la main (j’avais déjà traduit ce texte il y a quelques temps).
C’est faire la fin du livre.
voilà, c’est ajouté. page 315
Pour rebondir sur ta phrase a propos des gens qui refusent de penser a qcch de peur des consequences potentielles, je signale que "l'appel aux consequences" est une fallacie, c'est-a-dire un mode de penser errone a la base :
http://www.nizkor.org/features/fallacies/appeal-to-consequences.html
Une idee est juste ou fausse, independamment de ses consequences !
Le pari "pascalien" est donc du même ordre?
"mieux vaut faire le pari de faire ce qu'Il dit (quitte a se compliquer la vie pour rien au cas ou il n'y ait pas de D au final)
plutôt que prendre le risque de faire ce que bon nous semble (et cramer en enfer au cas ou il y ait finalement un D pour nous juger)"
If an English speaker may interject, your message here really reminds me of that of Karl Popper’s in « La Société ouverte et ses ennemis ». Highly recommended reading!
Très bon article (comme d'habitude). Mais, au fait, c'est quoi avoir la "foi" ?
Hello Philippe Aïm, le pari de pascal est au moins logique. Bien sur, il existe toute une serie de refutations du Pari, et meme si on accepte l'argument, le Pari de Pascal ne permet pas de distinguer entre Judaisme, Christiannisme ou une autre religion – mais au moins cela tient debout de prime abord.
Ce qui m'interesse avec les fallacies, c'est que ces arguments sont illogiques, et pourtant tres repandus. Nizkor fait un travail splendide de recensement et de refutation, cela vaut le coup d'oeil.
Nous sommes tellement peu rationnels … je me demande comment le Rambam survivrait s'il etait transportes a notre epoque… Il etait medecin, mais aurait-il ete psy ? 🙂
(je te laisse avec cette question pertinente 🙂 ).
Euh… pourquoi ce post est apparu sur mon mur en fait ?
Il y a une fonction qui permet de publier à la fois sur fb et le site. En bas des coms il y a d'ailleurs écrit "Ce commentaire sera également publié sur https://www.aderaba.fr."
Concernant ta question intéressante…en fait, Rambam a écrit le premier livre de psychologie de l'histoire à ma connaissance: le traité des huit chapitres. C'est vraiment quelque chose d'important, et Rambam était (entre autre) psy.
Ce qui l'est encore plus c'est que sa façon de faire se rapproche plus des thérapies actives et non déterministes (comme les thérapies brèves) que de la psychanalyse (contrairement à tout ce rapprochement qui a été fait par le passé entre analyse et judaïsme).
Pour moi il y a un vrai rapprochement a mener entre hypnose et thérapies brèves et pensée juive. J'avais commis 1 ou 2 écrits et communications sur la question…et j'en ferai un peu plus quand j'aurai le temps (procrastination mon amour…).
Autant rationnel que constructionniste par moment et surtout non déterministe, il aurait surement adoré pouvoir recadrer la pensée illogique des anxieux et autres dépressifs…la difficulté étant (comme le disait mon maitre à penser Erickson de "parler le langage du patient"…de se mettre à leur portée…)
J'aurais adoré savoir comment il entrait en relation avec les gens…
Dans le même livre, il y a également une critique acerbe de ceux qui voudraient définir la foi ou, pire encore, expliquer comment y arriver… Alors je peux pas répondre à ta question ! 😉
Philippe, quand tu auras le temps, je suis sur que je ne serai pas le seul a vouloir en savoir plus !
C'est exactement une réponse possible à faire à tous les "trouillards" qui veulent reléguer les femmes derrière des rideaux .. ou pire encore …