État d’Israël et sionisme dans l’orthodoxie moderne
Dans cet article, nous analyserons les approches du sionisme de trois grands penseurs juifs du XXe siècle : Rav Kook, Rav Soloveitchik et Yeshayahou Leibowitz. Nous nous intéresserons également aux dérives qui ont parfois découlé de la pensée de ces grands maîtres.
Rav Kook, ou la sanctification du profane
On peut résumer ainsi les grandes ligne de sa pensée vis-à-vis d’Israël :
a) Rav Kook croit que le sacré peut venir du profane, de l’idéologie la plus athée peuvent s’accomplir les saintes prophéties du retour à Sion.
J’ai entendu en son nom une allégorie qui qualifie tout à fait cette pensée: les bâtisseurs du temple étaient de simples ouvriers issus de toutes les couches du peuple (voir non juifs) et avaient tout de même l’autorisation de construire le saint temple et de monter sur le mont le temps de la construction. Pareillement, les pionniers sionistes, bien que laïques, peuvent eux aussi participer à restauration de la souveraineté juive.
b) nombreux sont les rabbanim à craindre le « חידוש », la nouveauté. On connait la célèbre phrase du Hatam Sofer (tiré d’une guemara mais légèrement sortie du contexte…) « החדש אסור מן התורה », « la nouveauté est interdite par la torah » (kovetz tchouvot, 56). A l’extrême, le Rav Kook nous dit: « הישן מתחדש והחדש מתקדש », « le vieux se renouvelle et le nouveau se sanctifie ». A l’échelle d’Israel cela signifie: le vieux yishouv se renouvelle et le nouveau devient saint. C’est le processus auquel croit Rav Kook.
c)le sionisme du Rav Kook est aussi (très) emprunt d’une vision eschatologique. L’état d’Israël est vu comme le « début de la délivrance » et même comme le « socle du trône divin sur terre » (orot israel, 6, 7).
Il s’agit donc d’un sionisme ancré à 100% dans la religion, le sionisme étant un des constituant de la vie religieuse au même titre que le Shabbat ou la cacherout !
Ce sionisme étant totalement religieux, les disciples du Rav Kook ont donc tendance à considérer qu’un juif non sioniste, fut-il ultra-orthodoxe, ne remplit pas intégralement son devoir religieux, car l’état juif représente un de commandements de la Torah – celui d’établir un état. [Au passage, une bonne partie du monde ultra-orthodoxe ne nie pas ce commandement, qui se base sur l’avis de Nahmanide, mais considère que l’état athée n’est certainement pas apte à remplir cette fonction].
Les grands centre affilés à la doctrine du Rav: La majorité des Yeshivot Hesder, la Yeshiva Merkaz Harav (qu’il a lui même fondé), la Yeshiva Har Hamor. En bref, la majorité des institutions sionistes-religieuses en Israël.
Les dérives: considérer l’état comme un idéal comporte un risque bien connu : le fascisme. Si les élèves du Rav ne sont pas devenus fascistes, on déplore néanmoins chez certain d’entre-eux un nationalisme exacerbé.
Leibowiz: sioniste et religieux, oui! Sioniste-religieux, non!
A l’extrême du Rav Kook, le Professeur Leibowitz a toujours milité pour une totale séparation de l’état et du religieux. Très sioniste et fervent croyant, leibowitz refusait de mélanger sacré et profane. Pour comprendre cette pensée, il faut d’abord analyser la vision leibowitzienne du sacré.
Dans un de ses célèbres articles (visible à la fin de son livre de dvar torah sur la parashat Hashavua, en hebreu uniquement) il analyse les conceptions opposés du Rav Kook et du Rav Meir Simkha Hacohen, auteur du célèbre « Meshekh Khokhma ». Ce dernier explique que rien n’est saint si ce n’est Dieu, autrement dit, aucun élément autre que Dieu ne possède de sainteté intrinsèque. Et pourtant la torah déborde de référence aux éléments saints?! Peuple saint, terre sainte, saint rabbin…? le Rav Meir Simkha explique que ces choses ont une sainteté venant de Dieu ce qui signifie que si j’utilise ces choses comme des moyens pour servir Dieu alors elles sont saintes et si ce n’est pas le cas alors elles demeurent profanes. Si le paysan israélien se sert de la terre pour y réaliser les mitsvot qui y sont liées, comme la shmita et les dîmes, alors elle est sainte. Si le peuple accomplit la parole divine, alors il est saint. Dans le cas inverse….
Comme l’état d’Israël a été fondé par des laïques pour des raisons laïques, il ne peut en aucun cas prétendre au statut (très sélect) de saint… Jusqu’à la Leibowitz semble être un Netourei Karta!
Mais c’est la toute la force et l’originalité de Leibowitz, d’un point de vue religieux il est anti-sioniste. Tout son sionisme est totalement laïque. Il la souvent dit, pour lui le sionisme se résume par la volonté des juifs à vouloir vivre entre-eux, de façon autonome, comme n’importe quel peuple le souhaiterait. Autrement dit, il s’agit de n’être enfin plus soumis au bon vouloir des nations. L‘état est perçu comme un moyen nous permettant d’être indépendant.
On peut être sioniste ET religieux, nous dit Leibowitz, mais en aucun cas sioniste-religieux. Avec son coté provocateur qui nous plait bien, il ira même jusqu’à dire que le terme « sioniste-religieux » est aussi aberrant et antinomique que l’était le terme « national-socialiste » (= Nazi)….
les dérives: elles sont évidentes: à long terme cette vision peut conduire à l’abandon total du sionisme originel puisque celui-ci n’est pas une valeur objective. Avraham Burg, ancien président de la Knesset, continuant la pensée leibowitzienne, va même jusqu’à demander la suppression de la notion d’état « juif » et l’annulation de la loi du retour.
Rav Soloveitchik: entre religion et modernité
Jusqu’à la seconde guerre mondiale, Rav Soloveitchik faisait parti de « l’assemblée des grands de la Torah », le conseil rabbinique qui dirigeait le mouvement américain de l’Agoudat Israël(organisation orthodoxe, originellement anti-sioniste).
Profondément traumatisé par la Shoah, Rav Soloveitchik revoit ses positions, ce qui l’incite à quitter l’Agoudat Israël et àrejoindre la branche américaine du Mizrahi(mouvement religieux-sioniste). Il en deviendra le président d’honneur jusqu’à sa mort.
Ce changement n’est pas des moindres, notamment lorsqu’on connait l’anti-sionisme notoire de la dynastie Soloveitchik. Lors de discours prononcés à l’occasion de Yom Haatsmaout devant les membres du Mizrahi (parus plus tard dans un recueil, « H’amesh drashot »), Rav Soloveitchik laisse souvent transparaître la douleur qui est sienne, causée par son départ de la tradition familiale.Comparant les rabbins sionistes à Joseph, le rêveur incompris par ses frères, il affirme sa profonde conviction en la réalisation des rêves.
Dans un essai devenu célèbre, publié peu après l’indépendance israélienne et intitulé « une voix ! Mon amant frappe »(traduit en français par B. Gross, publié à la suite du « croyant solitaire »), Rav Soloveitchik abandonne son habituel style philosophique pour un style bien plus poétique. Comparant la situation du peuple juif d’après la Shoah à celle de l’amante du Cantique des Cantiques, abandonnée par son amant,Rav Soloveitchik supplie le monde orthodoxe de ne pas fermer la porte à l’amantqui, revenu chez sa promise, frappe à la porte. Rav Soloveitchik dénombre « six coups », six signes que Dieu envoie à son peuple par la création de l’état d’Israël, six coups qui nous sont destinés, à nous d’ouvrir la porte :
a) l’accord des nations non-juives pour la création de l’état et la formation de l’ONU sont vus comme une preuve de l’intervention divine.
b) Il en va de même pour les victoires miraculeuses de l’armée juive lors de la guerre d’indépendance (le livre est écrit au début des années 50, mais on peut extrapoler au moins jusqu’à la guerre des six jours).
c) la création de l’état d’Israël détruit la théologie chrétienne qui niait tout avenir politique aux juifs, condamnés à « errer » durant l’éternité.
d) l’état d’Israël a permis l’établissement d’un centre de Torah et représente également un rempart contre l’assimilation.
e) Enfin le sang juif n’est plus laissé à l’abandon. Les juifs ont acquis le droit le plus primordial : celui de se défendre.
f) L’Etat refuge : chaque juif sait qu’il a un endroit où aller en cas de problèmes.
Mais d’un autre coté, le Rav Soloveitchik n’a jamais fait sa Alyah (ne le dites pas à l’agence juive) !
A une professeur qui lui demandait pourquoi il n’est jamais monté en Israël il répondit que son statut d’enseignant aux USA lui interdisait de quitter le pays au dépend des juifs américains (la lettre est visible dans sa biographie écrite par son élève le Rav Hershel Sechter). C’est à dire que le Rav préférait répandre la torah en diaspora plutôt que venir égoïstement en Israël en abandonnant ses élèves (j’en connais qui diraient que אין תורה כתורת ארץ ישראל…).
Très sioniste, le Rav Soloveitchik encouragea ses élèves à rejoindre le Mizrahi (5eme Dracha) mais cet amour de la terre ne lui fit pas perdre son pragmatisme c’est pour cela qu’il resta toute sa vie relativement distant des mouvements ultra-nationalistes comme le Gush Emounim et des Rabbanim comme Rav Zvi Yehuda Kook (cf. « the rav, thinking aloud ») qu’il jugeait trop nationaliste. Pareillement il contestait la notion de « début de la délivrance » et se moquait du « rite de Yom Haatsmaout » introduit par certains dans la tefila (ibid).
Les grands centres affilés à la doctrine du Rav: Aux États-unis, l’intégralité des institutions « Modern Orthodox » de la célèbre Yeshiva University, en passant par l’organisation rabbinique RCA et l’Orthodox Union (OU) . En Israël il s’agit particulièrement de la Yeshiva Har Ezion, le « Gush », ainsi que la majorité des séminaires et yeshivot américaines et sionistes.
Les dérives: il n’y en a pas vraiment si ce n’est le risque de tomber dans un « sionisme d’outre-mer », c’est à dire soutenir politiquement et financièrement l’état mais refusant à tout prix d’y vivre ou d’y envoyer ses enfants !
Article mis-à-jour le 12/02/2012
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Un post tres courageux et plein de lucidite. Bravo.
J’ai beaucoup apprecie le paragraphe sur les derives de la pensee du Rav Kook (effectivement, surtout chez ses eleves, et sur l’impulsion de son fils, le Rav Tsvi Yehouda Kook).
Il y a quelque temps, je discutais avec un ami, ex-hassid de Loubavitch, qui me disait avoir envisage un moment devenir sioniste religieux. Lorsque je lui demandai pourquoi il ne l’avait finalement
pas fait, il me repondit : « Je ne me suis pas echappe d’un messianisme pour tomber dans un autre! ». A mediter …
Sinon, je dois avouer que ce blog reveille en moi un certain yetser harah … 🙂 Cela me replonge quelque chose comme 5 ans en arriere, quand j’avais ouvert mon propre blog (zichrono livrakha).
Mais le judaisme francophone sur le web etait tellement peu represente que j’avais fait ce blog en anglais. Il s’appelait Chnayim Ochazin, d’apres la premiere michna de Baba Metsia, et parlait de
mes propres difficultes a reconcilier Torah et modernite …
J’ai un peu peur pour le baal ha-blog. Une grande partie du plaisir de faire un blog est de partager avec d’autres bloggeurs, de commenter, de discuter, de se disputer … En francais, peu de gens
sont vraiment capables de le faire … Nous sommes tellement en retard, nous les Juifs francophones, sur ce qui existe en Angleterre et aux Etats-Unis par exemple !
Allez bon courage et bonne continuation !
Chalom!
J’ai l’impression qu’en Eretz il n’y a que partisans du premier style (rav Kook) chez les datis plutot stricts et chez les hardal, est-ce que je me trompe? si oui peux-tu donner des examples de
communautés? merci bien!
Bonjour,
Quelqu’un peut-il me renseigner si Leibowitz a-t-il écrit quelque chose à propos de la prière pour l’État d’Israël? D’après ce que vous écrivez je serais tenté de penser qu’il considérait cette
prière comme « l’intrusion d’une conscience politique juive laïque dans le sanctuaire de la prière » (expression d’ H. Landau dans « la prière conquête de la parole p.153, livre récent que je
conseille vivement)
Qu’en est-il vraiment ?
Salut Yona,
Je viens de voir ton commentaire.
Effectivement, Leibovitz ne devait pas beaucoup aimer la priere pour l’Etat d’Israel. Mais chez lui ce serait plutot lie a sa conception generale de la Tefilah qu’a sa vision du sionisme.
En bref, il distinguait entre Tefilah Lichmah et Tefilah Lo-Lichmah. La premiere, c’est quand on prie pour servir Dieu, sans aucun motif ulterieur. La deuxieme, c’est quand on prie pour obtenir de
Dieu quelque chose, que ce soit materiel ou spirituel. La premiere tefilah est la forme ideale bien entendu, la deuxieme est valide mais est de moindre niveau (cf. en anglais « Judaism, Human Values
and the Jewish State », pp. 30-37).
Je n’ai rien trouve de specifique sur la priere pour l’Etat d’Israel, mais il me semble evident qu’il la considerait comme une priere Lo-Lichmah. A titre de comparaison, Leibovitz considerait que
la priere du « Mi Che-Berakh » recitee le chabbat matin comme une « coutume meprisable, adoptee par de nombreuses communautes mais qui n’a pas de fondement dans les lois de la Tefilah, un exemple de
priere lo-lichmah » (cf. Ratsiti LiCh’ol Othka Professor Leibovitz p. 231).
Salut Emmanuel,
Merci pour ton commentaire assez intéressant. Ce que Leibowitz écrit à propos du « mi chébérakh » est typique du reproche yéchiviste dirigé contre les institutions types consistoriales…. amusant
lorsqu’on sait que Leibowitz est à mille lieu du système yéchiviste (du moins type ‘haredi et sioni-dati, peut-être approuvait-il la Y.U ?)
Une petite nuance à propos de ces téfilot shé lo lishma : lorsque manipulées avec intelligence, ces téfilot -pour la médina, mi shé bérakh, hashkavot, etc…- peuvent être mékarev des personnes
très éloignées, ou alors apporter contribuer au maintien du Shalom dans la communauté. Bien qu’il n’y ait pas de base halakhique, la justification de ces pratiques est surtout sociale.
Mais en fait, ce que je cherchais était lié à ce que Leibowitz disait davkha sur le sionisme : « on peut être sioniste et religieux, mais pas sioniste-religieux » : Lorsque dans un état régi par une
législation non-halakhique on prononce les mots « réchit géoulaténou », n’y a-t-il pas une confusion dangereuse entre religieux et politique ? Je ne lance pas le débat, j’ai déjà ma réponse
là-dessus, ce qui m’intéresse est de savoir si Leibowitz a écrit ou parlé davka sur cette question.
Y-a-t-il un spécialiste de Leibowitz parmi les « M-Onautes » ?
Bonjour à Yona et Emmanuel,
Par rapport à Leibowitz et la prière pour l’état, je me rappelle avoir lu une interview dans laquelle il exprimait une opinion franchement négative de cette prière. (il me semble qu’il s’agit du
livre d’entretiens avec Hadad).
Cependant, le problème n’est pas « l’intrusion d’une conscience politique juive laïque dans le sanctuaire de la prière ». Leibowitz avait une conception extrême de la prière. Pour lui, celle-ci
venait uniquement en remplacement des sacrifices. Rappelons que pour Leibowitz les mitsvot ne possèdent aucune signification morale, il s’agit d’actes incompréhensibles pour l’esprit humain qui
témoignent de l’acceptation du joug divin.
La prière, pour Leibowitz, est aussi incompréhensible que les sacrifices. Le texte institué par la grande assemblée est le seul texte valable et n’est pas compréhensible pour nous (sic!). Toujours
dans les entretiens, Leibowitz affirmait que si on lui avait ordonné de lire une carte de restaurant dans la tefila, il l’aurait fait avec autant de kavana que la Amida, puisque les mots n’ont
aucune signification, seul l’acte compte.
Par conséquent, Leibowitz rejetait tout rajout nouveau dans la prière. Il rejetait la prière pour l’état au même titre que l’ensemble des « mi sheberakh » ainsi que des rajouts accumulés au fil des
siècles, notamment sous l’influence de la kabala.
Je renvoi au texte de Leibowitz sur la prière juive (texte qu’il considérait comme l’un de ses meilleurs) : http://tpeople.co.il/leibowitz/leibarticles.asp?id=1
Je me permet d’exprimer mon opinion : s’il est vrai que les trois prières quotidiennes furent instituées en remplacement des korbanot, il est cependant inexacte de reduire la prière à cela.
Outre ces prières institutionnelles, il existe une obligation de prier Dieu. Le Rambam (Hilchot tefila I, 1-2) considère que cette obligation est deorayta et n’a rien à voir avec les korbanot. Il
nous explique d’ailleurs comme prier : il suffit d’exprimer demandes et remerciements à Dieu. Peut importe le style et la langue.
Par conséquent, les mishéberakh, les prières pour l’état, pour Tsahal, les ashkavot et bien d’autres encore ont une grande signification halakhique. Il s’agit généralement de demande (protéger
l’état, tsahal, élever l’âme du défunt, guérir un malade) parfois même de remerciements (piyoutim). Il semble donc que ces prières est une forte valeur religieuse.
ps : par rapport au « rechit tsémikhat geoulatenou », je pense qu’un esprit sain comprend que c’est l’état qui est perçu comme un pas en avant vers la délivrance, pas le gouvernement.
Merci pour ce brillant article!
En ce qui concerne le rav Kook:
D’après moi il ne dis pas que « le sacré peut venir du profane », mais plutôt que l’on se doit de sanctifier le profane. En y réfléchissant bien, c’est assez différent car le profane a ainsi une
raison d’être qui lui est propre.
Il est également inexact d’affirmer que « le sionisme est un des constituants de la vie religieuse, au même titre que la cacherout ou que le chabbat ». Selon le Rav, le sionisme, la Cacherout et le
Chabbat sont les constituants de la vie nationale du peuple juive. Le rav voit en la Torah et en la Alakha, le dévoilement de l’identité national d’Israël et non un dogme et des obligations
religieuses.
As-tu la référence dans les écrits du rav Kook quant au « le vieux se renouvelle et le nouveau se sanctifie » ?
Merci a toi.
Hello,
Je vois ce post avec un peu de retard, mais il m’intéresse !
Notamment parce qu’il parle de Leibowitz. Quelques remarques:
– Sur la prière sur l’Etat d’Israël, Leibowitz en avait évidemment une piètre opinion, notamment à cause de la phrase « Rechit Smihat Geoulatenou ». Pour Leibowitz, comme dit dans l’article, l’Etat
n’a aucune sainteté intrinsèque et donc ne peut pas être qualifié de germe de la délivrance. Il en parle dans ses entretiens avec Michael Shashar: selon lui, cette Tfila a été écrite par Agnon et
il pense, pour avoir bien connu Agnon, que celui-ci l’a écrit en étant volontairement ironique dans son texte. Bref, qu’il ne croyait pas lui-même à « Rechit Smihat Geoulatenou »
– J’aimerais juste ajouter une chose concernant Leibowitz: s’il était pour une séparation de la religion et de l’Etat, c’est…pour que la Thora conserve son rôle et sa vivacité. Le fait que la
Thora soit institutionnalisée via le rabbinat d’Israël sclérose la Thora et surtout l’empêche d’être critique et un contre-pouvoir au pouvoir politique. Et en cela, il s’agit selon Leibowitz d’une
rupture avec la tradition anti-étatique du judaïsme (cf. notamment le rôle des prophètes vis-a-vis de la royauté). La dérive que tu mentionnes (la perte du caractère juif de l’Etat) est déjà
intégrée par Leibowitz: ce sont les Juifs qui doivent conserver ce caractère. Pas l’Etat, qui n’est qu’un instrument.
J’ajoute juste que le pauvre Avraham Burg n’est qu’un mauvais ersatz de Leibowitz.
Tout le piment de celui-ci est qu’il est resté toute sa vie profondément Chomer Mitzvot, ce qui n’est pas le cas de Burg, qui en plus a quitté Israël et habite pendant une bonne partie de son temps
à l’étranger. Bref, aucun rapport…
Merci à Frison pour ces précisions, car trop souvent on parle de l’approche de Leibowitz sur l’Etat juif sous l’aspect de la distinction entre le politique et le religieux, sans se demander
pourquoi finalement cela serait négatif. Combien de fois j’ai pu entendre des gens citer Ramban critiquer les Hachmonaïm qui ont mêlé la prêtrise au pouvoir, mais ne se fatiguent même pas
d’expliquer en quoi ce serait mauvais. On parle volontiers de Leibowitz disant que l’Etat n’a rien de religieux car il ne repose pas sur un idéal de Torah, mais s’attache t-on à se demander ce
qu’il en est si c’est oui le cas?
Et puis il faut encore prouver que l’institutionalisation du religieux le sclérose obligatoirement.
Quant à la « tradition anti-étatique du judaïsme », d’autres auteurs (je pense entre autres à Eisenstadt) considèrent au contraire que le peuple juif a toujours aspiré à créer ce phénomène
extraordinaire qu’est une nation dont les objectifs comme les fondements sont orientés par une source transcendante. Je me demande souvent si Leibowitz n’aurait pas pu au moins reconnaître que
l’Etat d’Israël se rapproche tout de même plus de cet idéal que l’Eglise, dont on sait le résultat de sa tentative – elle aussi – de joindre le bas-monde aux idéaux spirituels en fusionnant le
religieux et le politique.
Des commentaires aussi instructifs que l’article de base, qui l’était déjà beaucoup !
@ Emmanuel Bloch : je ne sais pas s’il existe beaucoup de sites comme celui-ci en Français ou en anglais, mais c’est assurément un trésor pour nous, à la fois par les recherches de Gabriel et par
vos commentaires (vous, Yona Ghertman, Jeannine Elkouby). Merci de votre temps !
Un post tres courageux et plein de lucidite. Bravo.
J’ai beaucoup apprecie le paragraphe sur les derives de la pensee du Rav Kook (effectivement, surtout chez ses eleves, et sur l’impulsion de son fils, le Rav Tsvi Yehouda Kook).
Il y a quelque temps, je discutais avec un ami, ex-hassid de Loubavitch, qui me disait avoir envisage un moment devenir sioniste religieux. Lorsque je lui demandai pourquoi il ne l’avait finalement
pas fait, il me repondit : « Je ne me suis pas echappe d’un messianisme pour tomber dans un autre! ». A mediter …
Sinon, je dois avouer que ce blog reveille en moi un certain yetser harah … 🙂 Cela me replonge quelque chose comme 5 ans en arriere, quand j’avais ouvert mon propre blog (zichrono livrakha).
Mais le judaisme francophone sur le web etait tellement peu represente que j’avais fait ce blog en anglais. Il s’appelait Chnayim Ochazin, d’apres la premiere michna de Baba Metsia, et parlait de
mes propres difficultes a reconcilier Torah et modernite …
J’ai un peu peur pour le baal ha-blog. Une grande partie du plaisir de faire un blog est de partager avec d’autres bloggeurs, de commenter, de discuter, de se disputer … En francais, peu de gens
sont vraiment capables de le faire … Nous sommes tellement en retard, nous les Juifs francophones, sur ce qui existe en Angleterre et aux Etats-Unis par exemple !
Allez bon courage et bonne continuation !
Chalom!
J’ai l’impression qu’en Eretz il n’y a que partisans du premier style (rav Kook) chez les datis plutot stricts et chez les hardal, est-ce que je me trompe? si oui peux-tu donner des examples de
communautés? merci bien!
Bonjour,
Quelqu’un peut-il me renseigner si Leibowitz a-t-il écrit quelque chose à propos de la prière pour l’État d’Israël? D’après ce que vous écrivez je serais tenté de penser qu’il considérait cette
prière comme « l’intrusion d’une conscience politique juive laïque dans le sanctuaire de la prière » (expression d’ H. Landau dans « la prière conquête de la parole p.153, livre récent que je
conseille vivement)
Qu’en est-il vraiment ?
Salut Yona,
Je viens de voir ton commentaire.
Effectivement, Leibovitz ne devait pas beaucoup aimer la priere pour l’Etat d’Israel. Mais chez lui ce serait plutot lie a sa conception generale de la Tefilah qu’a sa vision du sionisme.
En bref, il distinguait entre Tefilah Lichmah et Tefilah Lo-Lichmah. La premiere, c’est quand on prie pour servir Dieu, sans aucun motif ulterieur. La deuxieme, c’est quand on prie pour obtenir de
Dieu quelque chose, que ce soit materiel ou spirituel. La premiere tefilah est la forme ideale bien entendu, la deuxieme est valide mais est de moindre niveau (cf. en anglais « Judaism, Human Values
and the Jewish State », pp. 30-37).
Je n’ai rien trouve de specifique sur la priere pour l’Etat d’Israel, mais il me semble evident qu’il la considerait comme une priere Lo-Lichmah. A titre de comparaison, Leibovitz considerait que
la priere du « Mi Che-Berakh » recitee le chabbat matin comme une « coutume meprisable, adoptee par de nombreuses communautes mais qui n’a pas de fondement dans les lois de la Tefilah, un exemple de
priere lo-lichmah » (cf. Ratsiti LiCh’ol Othka Professor Leibovitz p. 231).
Salut Emmanuel,
Merci pour ton commentaire assez intéressant. Ce que Leibowitz écrit à propos du « mi chébérakh » est typique du reproche yéchiviste dirigé contre les institutions types consistoriales…. amusant
lorsqu’on sait que Leibowitz est à mille lieu du système yéchiviste (du moins type ‘haredi et sioni-dati, peut-être approuvait-il la Y.U ?)
Une petite nuance à propos de ces téfilot shé lo lishma : lorsque manipulées avec intelligence, ces téfilot -pour la médina, mi shé bérakh, hashkavot, etc…- peuvent être mékarev des personnes
très éloignées, ou alors apporter contribuer au maintien du Shalom dans la communauté. Bien qu’il n’y ait pas de base halakhique, la justification de ces pratiques est surtout sociale.
Mais en fait, ce que je cherchais était lié à ce que Leibowitz disait davkha sur le sionisme : « on peut être sioniste et religieux, mais pas sioniste-religieux » : Lorsque dans un état régi par une
législation non-halakhique on prononce les mots « réchit géoulaténou », n’y a-t-il pas une confusion dangereuse entre religieux et politique ? Je ne lance pas le débat, j’ai déjà ma réponse
là-dessus, ce qui m’intéresse est de savoir si Leibowitz a écrit ou parlé davka sur cette question.
Y-a-t-il un spécialiste de Leibowitz parmi les « M-Onautes » ?
Merci pour ce brillant article!
En ce qui concerne le rav Kook:
D’après moi il ne dis pas que « le sacré peut venir du profane », mais plutôt que l’on se doit de sanctifier le profane. En y réfléchissant bien, c’est assez différent car le profane a ainsi une
raison d’être qui lui est propre.
Il est également inexact d’affirmer que « le sionisme est un des constituants de la vie religieuse, au même titre que la cacherout ou que le chabbat ». Selon le Rav, le sionisme, la Cacherout et le
Chabbat sont les constituants de la vie nationale du peuple juive. Le rav voit en la Torah et en la Alakha, le dévoilement de l’identité national d’Israël et non un dogme et des obligations
religieuses.
As-tu la référence dans les écrits du rav Kook quant au « le vieux se renouvelle et le nouveau se sanctifie » ?
Merci a toi.
Merci à Frison pour ces précisions, car trop souvent on parle de l’approche de Leibowitz sur l’Etat juif sous l’aspect de la distinction entre le politique et le religieux, sans se demander
pourquoi finalement cela serait négatif. Combien de fois j’ai pu entendre des gens citer Ramban critiquer les Hachmonaïm qui ont mêlé la prêtrise au pouvoir, mais ne se fatiguent même pas
d’expliquer en quoi ce serait mauvais. On parle volontiers de Leibowitz disant que l’Etat n’a rien de religieux car il ne repose pas sur un idéal de Torah, mais s’attache t-on à se demander ce
qu’il en est si c’est oui le cas?
Et puis il faut encore prouver que l’institutionalisation du religieux le sclérose obligatoirement.
Quant à la « tradition anti-étatique du judaïsme », d’autres auteurs (je pense entre autres à Eisenstadt) considèrent au contraire que le peuple juif a toujours aspiré à créer ce phénomène
extraordinaire qu’est une nation dont les objectifs comme les fondements sont orientés par une source transcendante. Je me demande souvent si Leibowitz n’aurait pas pu au moins reconnaître que
l’Etat d’Israël se rapproche tout de même plus de cet idéal que l’Eglise, dont on sait le résultat de sa tentative – elle aussi – de joindre le bas-monde aux idéaux spirituels en fusionnant le
religieux et le politique.
Des commentaires aussi instructifs que l’article de base, qui l’était déjà beaucoup !
@ Emmanuel Bloch : je ne sais pas s’il existe beaucoup de sites comme celui-ci en Français ou en anglais, mais c’est assurément un trésor pour nous, à la fois par les recherches de Gabriel et par
vos commentaires (vous, Yona Ghertman, Jeannine Elkouby). Merci de votre temps !
Un post tres courageux et plein de lucidite. Bravo.
J’ai beaucoup apprecie le paragraphe sur les derives de la pensee du Rav Kook (effectivement, surtout chez ses eleves, et sur l’impulsion de son fils, le Rav Tsvi Yehouda Kook).
Il y a quelque temps, je discutais avec un ami, ex-hassid de Loubavitch, qui me disait avoir envisage un moment devenir sioniste religieux. Lorsque je lui demandai pourquoi il ne l’avait finalement
pas fait, il me repondit : « Je ne me suis pas echappe d’un messianisme pour tomber dans un autre! ». A mediter …
Sinon, je dois avouer que ce blog reveille en moi un certain yetser harah … 🙂 Cela me replonge quelque chose comme 5 ans en arriere, quand j’avais ouvert mon propre blog (zichrono livrakha).
Mais le judaisme francophone sur le web etait tellement peu represente que j’avais fait ce blog en anglais. Il s’appelait Chnayim Ochazin, d’apres la premiere michna de Baba Metsia, et parlait de
mes propres difficultes a reconcilier Torah et modernite …
J’ai un peu peur pour le baal ha-blog. Une grande partie du plaisir de faire un blog est de partager avec d’autres bloggeurs, de commenter, de discuter, de se disputer … En francais, peu de gens
sont vraiment capables de le faire … Nous sommes tellement en retard, nous les Juifs francophones, sur ce qui existe en Angleterre et aux Etats-Unis par exemple !
Allez bon courage et bonne continuation !
Chalom!
J’ai l’impression qu’en Eretz il n’y a que partisans du premier style (rav Kook) chez les datis plutot stricts et chez les hardal, est-ce que je me trompe? si oui peux-tu donner des examples de
communautés? merci bien!
Bonjour,
Quelqu’un peut-il me renseigner si Leibowitz a-t-il écrit quelque chose à propos de la prière pour l’État d’Israël? D’après ce que vous écrivez je serais tenté de penser qu’il considérait cette
prière comme « l’intrusion d’une conscience politique juive laïque dans le sanctuaire de la prière » (expression d’ H. Landau dans « la prière conquête de la parole p.153, livre récent que je
conseille vivement)
Qu’en est-il vraiment ?
Salut Yona,
Je viens de voir ton commentaire.
Effectivement, Leibovitz ne devait pas beaucoup aimer la priere pour l’Etat d’Israel. Mais chez lui ce serait plutot lie a sa conception generale de la Tefilah qu’a sa vision du sionisme.
En bref, il distinguait entre Tefilah Lichmah et Tefilah Lo-Lichmah. La premiere, c’est quand on prie pour servir Dieu, sans aucun motif ulterieur. La deuxieme, c’est quand on prie pour obtenir de
Dieu quelque chose, que ce soit materiel ou spirituel. La premiere tefilah est la forme ideale bien entendu, la deuxieme est valide mais est de moindre niveau (cf. en anglais « Judaism, Human Values
and the Jewish State », pp. 30-37).
Je n’ai rien trouve de specifique sur la priere pour l’Etat d’Israel, mais il me semble evident qu’il la considerait comme une priere Lo-Lichmah. A titre de comparaison, Leibovitz considerait que
la priere du « Mi Che-Berakh » recitee le chabbat matin comme une « coutume meprisable, adoptee par de nombreuses communautes mais qui n’a pas de fondement dans les lois de la Tefilah, un exemple de
priere lo-lichmah » (cf. Ratsiti LiCh’ol Othka Professor Leibovitz p. 231).
Salut Emmanuel,
Merci pour ton commentaire assez intéressant. Ce que Leibowitz écrit à propos du « mi chébérakh » est typique du reproche yéchiviste dirigé contre les institutions types consistoriales…. amusant
lorsqu’on sait que Leibowitz est à mille lieu du système yéchiviste (du moins type ‘haredi et sioni-dati, peut-être approuvait-il la Y.U ?)
Une petite nuance à propos de ces téfilot shé lo lishma : lorsque manipulées avec intelligence, ces téfilot -pour la médina, mi shé bérakh, hashkavot, etc…- peuvent être mékarev des personnes
très éloignées, ou alors apporter contribuer au maintien du Shalom dans la communauté. Bien qu’il n’y ait pas de base halakhique, la justification de ces pratiques est surtout sociale.
Mais en fait, ce que je cherchais était lié à ce que Leibowitz disait davkha sur le sionisme : « on peut être sioniste et religieux, mais pas sioniste-religieux » : Lorsque dans un état régi par une
législation non-halakhique on prononce les mots « réchit géoulaténou », n’y a-t-il pas une confusion dangereuse entre religieux et politique ? Je ne lance pas le débat, j’ai déjà ma réponse
là-dessus, ce qui m’intéresse est de savoir si Leibowitz a écrit ou parlé davka sur cette question.
Y-a-t-il un spécialiste de Leibowitz parmi les « M-Onautes » ?
Merci pour ce brillant article!
En ce qui concerne le rav Kook:
D’après moi il ne dis pas que « le sacré peut venir du profane », mais plutôt que l’on se doit de sanctifier le profane. En y réfléchissant bien, c’est assez différent car le profane a ainsi une
raison d’être qui lui est propre.
Il est également inexact d’affirmer que « le sionisme est un des constituants de la vie religieuse, au même titre que la cacherout ou que le chabbat ». Selon le Rav, le sionisme, la Cacherout et le
Chabbat sont les constituants de la vie nationale du peuple juive. Le rav voit en la Torah et en la Alakha, le dévoilement de l’identité national d’Israël et non un dogme et des obligations
religieuses.
As-tu la référence dans les écrits du rav Kook quant au « le vieux se renouvelle et le nouveau se sanctifie » ?
Merci a toi.
Merci à Frison pour ces précisions, car trop souvent on parle de l’approche de Leibowitz sur l’Etat juif sous l’aspect de la distinction entre le politique et le religieux, sans se demander
pourquoi finalement cela serait négatif. Combien de fois j’ai pu entendre des gens citer Ramban critiquer les Hachmonaïm qui ont mêlé la prêtrise au pouvoir, mais ne se fatiguent même pas
d’expliquer en quoi ce serait mauvais. On parle volontiers de Leibowitz disant que l’Etat n’a rien de religieux car il ne repose pas sur un idéal de Torah, mais s’attache t-on à se demander ce
qu’il en est si c’est oui le cas?
Et puis il faut encore prouver que l’institutionalisation du religieux le sclérose obligatoirement.
Quant à la « tradition anti-étatique du judaïsme », d’autres auteurs (je pense entre autres à Eisenstadt) considèrent au contraire que le peuple juif a toujours aspiré à créer ce phénomène
extraordinaire qu’est une nation dont les objectifs comme les fondements sont orientés par une source transcendante. Je me demande souvent si Leibowitz n’aurait pas pu au moins reconnaître que
l’Etat d’Israël se rapproche tout de même plus de cet idéal que l’Eglise, dont on sait le résultat de sa tentative – elle aussi – de joindre le bas-monde aux idéaux spirituels en fusionnant le
religieux et le politique.
Des commentaires aussi instructifs que l’article de base, qui l’était déjà beaucoup !
@ Emmanuel Bloch : je ne sais pas s’il existe beaucoup de sites comme celui-ci en Français ou en anglais, mais c’est assurément un trésor pour nous, à la fois par les recherches de Gabriel et par
vos commentaires (vous, Yona Ghertman, Jeannine Elkouby). Merci de votre temps !