Don d’organes et halakha
Depuis le 1er Janvier, la France, à l’instar d’autres pays, a voté une loi simplifiant la procédure du don d’organes en se basant sur le principe du consentement présumé. Autrement dit, le don d’organes sera la procédure appliquée par défaut, si le défunt ne s’est pas inscrit de son vivant sur une « liste de refus ». A priori, cette mesure permet à l’humain de sauver des vies même après sa mort. Cependant, comme toute mesure liée aux avancées technologiques, elle n’est pas sans soulever des questions halakhiques.
Dans un récent interview au site Actualités Juives, Michel Gugenheim, Grand rabbin de Paris, affirmait catégoriquement que « Les Juifs doivent s’inscrire sur le fichier national du refus du don d’organes ». Si sa position est légitime, telle n’est pas le cas de son affirmation dans ce même article selon laquelle « le grand rabbinat d’Israël avait, à la fin des années quatre-vingt, donné l’autorisation de ces transplantations, ce qui avait provoqué une vive contestation de la part des plus grands décisionnaires de la Thora. » Disons-le d’ores et déjà: les avis autorisant le don d’organes ne manquent pas et proviennent d’autorités halakhiques tout aussi sérieuses que celles interdisant cette pratique pouvant sauver si facilement de nombreuses vies.
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I) Le doute halakhique
La mort cérébrale consiste à l’arrêt total et irréversible de l’activité cérébrale d’un individu. On ne peut en aucun cas revenir à la vie après une mort cérébrale (à ne pas confondre avec un coma profond ou un état végétatif). Néanmoins, les avancées de la médecine permettent aujourd’hui de maintenir artificiellement l’activité cardiaque et respiratoire du défunt.
La mort « halakhique » est discutée plusieurs fois dans le Talmud. Dans le traité Yoma 85a, la respiration est définit comme critère nécessaire pour déterminer la mort. La Mishna (Ohalot 1,6) considère quant à elle que la décapitation d’un animal constitue une preuve certaine de son décès. Bien que le concept de mort cérébrale était impossible à l’époque talmudique, certains décisionnaires estiment qu’à partir du moment où respiration il y a, il n’est pas possible de déclarer une personne morte. Tenant compte des réalités scientifiques, d’autres décisionnaires proposent de considérer la mort cérébrale comme une forme de « décapitation » séparant le cerveau (mort) du reste du corps.
L’enjeu de ce débat est crucial en ce qui concerne les dons d’organes. Ces derniers doivent être prélevés chez le donneur immédiatement après son décès, avant la mort des tissus due à une non-oxygénation des cellules. Généralement, le prélèvement est fait immédiatement après la mort cérébrale, lorsque le défunt respire encore. Ainsi, si la mort cérébrale n’est pas reconnue par la Halakha, le don d’organes devient quasi-impossible. Dans un pays comme la France (ou Israël), cela entraînerait la mort de milliers de malades en attente d’un donneur.
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Les avis contemporains
Il est incontestable que des décisionnaires importants, tout particulièrement parmi les harédim, s’opposent au don d’organes et n’acceptent pas la mort cérébrale comme mort halakhique.[1]
L’avis du Rav Moshé Fenstein, un autre décisionnaire orthodoxe central, suscite le débat. Rav Tendler, gendre du Rav Fenstein et spécialiste en éthique médical, affirme catégoriquement que son beau-père considérait la mort cérébrale comme mort valable et apporte comme preuve une de ses responsa (iguerot Moché, Y.D III, 132). D’un autre coté, d’autres responsa semblent aller dans le sens contraire (iguerot Moché, Y.D II, 174).
Cependant, les avis autorisant ne manquent pas. Le Grand Rabbinat israélien autorise le don d’organes en se basant sur l’avis de Rav Mordechai Eliyahu et du Rav Avraham Shapira. Tel était également l’avis d’un autre grand rabbin, le Rav Shlomo Goren, ainsi que du Rav Israëli et du Rav Gershoni.[2]
Aujourd’hui, la quasi-totalité des rabbins du monde sioniste-religieux encouragent le don d’organes, tout comme le rabbinat israélien et le Rabbinical Council of America (RCA), plus grande organisation rabbinique orthodoxe au monde.
L’association Adi, qui milite en Israël pour encourager le don d’organes, présentent sur son site d’autres soutiens rabbiniques importants, comme celui de l’actuel Grand Rabbin d’Israël, le Rav Lau, ou celui de l’actuel Grand Rabbin de Jérusalem, le Rav Shlomo Amar.
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Qu’en est-il du don d’organes de son vivant ?
Vous l’aurez compris, sauver la vie d’un être humain est une obligation religieuse indiscutable. La discorde ne porte donc pas sur le don lui même mais sur le risque de tuer un donneur mort cérébralement mais ayant encore une activité cardiaque. Sur ce risque, les décisionnaires sont partagés et certains estiment que la mort cérébrale est une mort totale, tandis que d’autres hésitent.
Cependant, il existe d’autres formes de dons, incontestablement permises et encouragées. Il s’agit des dons d’un individu vivant et en parfaite santé: le don de sang, de moelle osseuse, de foi, etc… Il s’agit là d’une mitsva incontestable qu’il convient d’encourager.
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Un don d’organes pour un non-juif ?
Une autre question parfois soulevée dans ce débat est celle du don d’organes à un non-juif. De façon générale, je trouve que répondre à des avis proposant une graduation de la valeur de la vie humaine entre juifs et non-juifs, est généralement inutile, car elle donne trop de poids à une opinion cruelle et illégitime. Une fois n’est pas coutume, cette opinion me permet de rappeler les paroles du Rav Yossef Messas (1892-1974):
Et si un organe est donné par un juif à un non-juif, il n’y a pas de mal à cela. Tôt ou tard, l’inverse se produira et les [juifs et non-juifs] s’aideront mutuellement, sans compter qu’il est clair que [les non-juifs] sont plus nombreux [à faire des dons d’organes]. Par ce don, l’amour de l’humain pour son prochain sera connu de tous, sans distinction de religion, car tous sont les créatures du Saint-Béni-Soit-il.[3]

Alors que faire ?
Ce blog, en général, et cet article, en particulier, n’ont pas pour vocation de dicter une quelconque conduite aux gens mais d’informer et de débattre de sujets juifs peu ou pas abordés en France. Cependant, il serait malhonnête de cacher que l’auteur de ces lignes à sa carte israélienne de donneur (Carte Adi). Certes, les décisionnaires ne sont pas unanimes sur le sujet mais ceux autorisant ne manquent pas. Quitte à me tromper, je préfère que cela soit en sauvant des vies plutôt que l’inverse. Nous avons tous autour de nous des gens qui nous sont chers ayant été sauvés par un don d’organe ou étant décédés par absence de dons. Voilà pour nous l’occasion de nous engager à sauver nous aussi les proches d’autres personnes.
Si vous êtes israélien, n’hésitez pas à demander votre carte de donneur sur le site Adi (cliquez-ici), qui possède toutes les recommandations rabbiniques nécessaires. Cette carte vous donnera également un droit prioritaire pour recevoir un don en cas de besoin.
Notes:
[1] Parmi eux, on peut citer le Rav S. Z Auerbarch, Assia 53 ; Le Rav Waldenberg, Tsits Eliezer 17:66 ; le Rav Ovadia Yossef, Yehavé Daat 2:14 ; le Rav Wozner, Shevet Halevi 7:235.
[2] Voir Assia (אסיא) numéro 7.
[3] R. Yossef Messas, Mayim Hayim, Vol. II, p. 201.
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Bonsoir. Vous mentionnez la position du Rav Moshé Feinstein comme étant sujette à débat. Je voulais simplement porter à votre connaissance (si ce n’est pas déjà fait) le témoignage du Rav David Feinstein, fils du Rav allant clairement dans le sens du Rav Tendler. Je vous mets ici le lien http://98.131.138.124/articles/ASSIA/ASSIA7/R007147.asp
merci beaucoup !