Conversions : politique ou religion ?

 

En Israël, le thème des conversions fait régulièrement la Une de la presse locale. Des rabbins annulent les conversions d’autres rabbins, des députés proposent des lois visant à alléger le processus de conversion ou, au contraire, à le rendre plus strict et sélectif.

Évidemment, les maux qui frappent Israël n’épargnent pas les juifs de la Diaspora et le débat sur les conversions est aussi bien présent en France et dans le reste du monde. On critique généralement un processus beaucoup trop long et théorique ainsi qu’un manque de chaleur de la part des communautés.

Dans beaucoup de communautés juives de France ainsi que dans la plupart des communautés ultra-orthodoxes, le converti est regardé d’un mauvais œil. On le suspect de s’être converti pour épouser un(e) tel(le) ou pour une multitude d’autres raisons qui prouveraient le manque de motivation du candidat.

Au niveau de l’actualité, le cas le plus explosif des dernières années est sans doute celui de l’annulation des conversions. Dans une première partie, j’exposerai les récents faits, dans une seconde partie je me contenterai d’un rapide exposé halakhique et dans une troisième partie je m’intéresserai aux véritables motivations de certains rabbins.

I) les faits

f081129mf01-2358567En Mai 2008, un tribunal rabbinique local, sous la présidence du Rav Avraham Sherman, est appelé à trancher dans une affaire de divorce. L’épouse a été convertie quelques années plutôt par le Rav Hayim Druckman, qui présidait la cour de conversion du rabbinat israélien depuis une décennie.

Interrogeant l’épouse sur son niveau de pratique ainsi que sur sa conversion, le Rav Sherman décide que celle-ci n’a point besoin de guetpuisque sa conversion n’est pas valable et que son mariage religieux n’a aucune valeur. De plus, le Rav Sherman et ses collègues décident d’invalider toutes les conversions faites par le Rav Druckman depuis 1999 (on parle ici de milliers de conversions) ! Le tout sans prendre conseil auprès du Grand Rabbin d’Israël, président de tous les tribunaux rabbiniques de l’état. Leur argument : le Rav Druckman est un dayan (juge) hérétique, puisqu’il converti de façon interdite, et donc invalide.

Rav Druckman

Cette histoire fit un scandale monumental en Israël et une grande partie du publique considéra que la raison principale de l’annulation des conversions du Rav Sherman était plus idéologique que religieuse, le Rav Sherman étant haredi(ultra-orthodoxe) tandis que le Rav Druckman est un sioniste-religieux.

On peut également imaginé le traumatisme des convertis et de leurs proches, souvent marié(e)s et pères/mères de famille, dont le statut religieux est mis en cause si brutalement et sans vérification.

Après un long débat très mouvementé, le Grand Rabbin d’Israël, Rav Shlomo Amar, trancha en faveur du Rav Druckman et se mit à dos le public ultra-orthodoxe.

Depuis, le débat n’a de cesse : peut-on annuler une conversion ? Quelles sont les conversions « légitimes » ? Qui reconnaît telle ou telle conversion ?

II) Ce qu’en dit la Loi

Disons le clairement, suspecter un converti, c’est transgresser un commandement positif : et vous aimerez l’étranger (le converti), car étranger vous étiez en terre d’Egypte (Deut. 10,19). Maimonide fait d’ailleurs remarquer que la Torah nous ordonne de respecter ses parents, non pas de les aimer, mais pour le converti elle va plus loin !

On pourrait discuter des heures entières des critères faisant du converti un « bon » converti, les autorités rabbiniques médiévales et contemporaines sont loin de faire l’unanimité sur la question.

Par exemple, de nombreuses autorités, à commencer par Maimonide considèrent qu’une conversion intéressée (en vue de mariage, par exemple) est une conversion valide, bien que suspecte (Hilkhot Issouré Biya, 13,14 cf. également responsa 132). En se basant sur cette avis, le Rav Yossef Messas va même jusqu’à considérer que la conversion d’un conjoint non-juif pourrait entrainer le renforcement du conjoint juif (shout mayim hayim, y »d, 108,1). D’autres autorités, comme le Rav Moché Fenstein (iguerot moshé, y »d III, 106, rejette cet avis. Le débat n’a d’ailleurs rien de nouveau et puise sa source dans le Talmud de Jérusalem :

המתגייר לשם אהבה וכן איש מפני אישה וכן אישה מפני איש וכן גירי שולחן מלכים וכן גירי אריות וכן גירי מרדכי ואסתר אין מקבלין אותן. רב אמר: « הלכה – גרים הן, ואין דוחין אותן כדרך שדוחין את

הגרים תחילה, אבל מקבלין אותן וצריכין קירוב פנים שמא גיירו לשם

Celui qui se convertit par amour d’une autre personne ou pour être proche du roi, ou par crainte ainsi que les convertis de l’époque de Mardoché et Esther, ils ne sont pas acceptés. Rav dit : « La loi est : ils sont convertis et on ne cherche pas à les dissuader, comme on dissuade les autres candidats. On les accepte et se rapproche d’eux afin qu’ils ne retournent pas à leurs anciennes habitudes ».

 

(T.J, Kidushin 65)

Comme le dit l’Ecclésiaste, rien de nouveau sous le soleil !

Selon le premier avis, le candidat motivé par un intérêt extérieur ne serait être accepté alors que selon Rav il est non seulement accepté mais sa conversion est également facilité. Un débat deux fois millénaire…

Une autre des grandes questions de ce débat brulant est : un converti ne prenant pas complètement sur lui le joug des mitsvot est-il considéré comme juif ?

Le Talmud (Bekhorot 30b) statue de façon claire que « le non-juif venant accepter la Torah à l’exception d’un commandement – on ne l’accepte pas ». Cependant, la guemara ne statue pas quel est la loi à l’égard de celui qui s’est converti dans l’ignorance de certaines lois et qui par la suite refuse de les accepter. Maimonide et le Shoulhan Aroukh (y »d268, 2) statuent tout deux qu’on apprend au candidat à la conversion « les bases de la foi ainsi que quelques lois difficiles et quelques lois faciles […] et on n’en fait pas trop, et on ne rentre pas dans les détails ».

Selon ces autorités majeures, cela suffit totalement à faire du candidat un juif, peut importe ce qu’il se passera par la suite. Suivant cet avis, le Rav Ouziel, premier grand rabbin séfarade d’Israël, considère qu’un converti peu vigilant dans la pratique des mitsvot est tout de même juif.

[Je me permet une parenthèse pour souligner que même l’affirmation précitée du Talmud, selon laquelle « le non-juif venant accepter la Torah à l’exception d’un commandement – on ne l’accepte pas », prête à débat. Ainsi, le Vaad Haalakhadu mouvement Conservative considère que cette phrase n’est point une affirmation mais une interrogation : « le non-juif venant accepter la Torah à l’exception d’un commandement – ne l’accepterons-nous pas ?! » (cf. le lienhttp://www.responsafortoday.com/engsums/3_5.htm ).A mon sens, cet avis tient très mal dans le texte et frise la malhonnêteté intellectuelle.]

Au vu de ce que nous venons de ramener, il semble donc que nul ne peut affirmer détenir la vérité absolue puisque le sujet fait débat depuis la nuit des temps.

Soulignons tout de même qu’on ne peut annuler une conversion. Un converti reste juif pour l’éternité, quelles que soit ses opinions religieuses. Pour pouvoir invalider les conversions, le Rav Sherman à disqualifier Druckman. Par cette habile manœuvre, il rendait le rabbin inapte à convertir et ses conversions étaient donc nul dès leurs commencement.

III) Politique

Comme je l’ai expliqué plus haut, le plus choquant dans cette affaire semble être le mélange mortel d’Halakha et idéologie. Ainsi, le camp haredi a soutenu Sherman sans équivoque tandis que le camp sioniste religieux s’est placé du coté de Druckman. Tous les rabbins sionistes religieux clament haut et fort qu’on ne peut annuler une conversion tandis que les rabbins haredi soutiennent le contraire.

Et pourtant… En 1972, un frère et une sœur se présentèrent devant les tribunaux rabbiniques israélien afin d’annuler leur titre de mamzerim (enfants nés de l’union d’une femme mariée et d’un amant, ils ne peuvent se marier qu’avec d’autresmamzerim). Le Rav Goren, à cette époque grand rabbin d’Israël, prend le cas en main et annule leur mamzerout. Pour cela, il prouve que le mari légitime de leur mère n’était pas marié avec elle puisqu’il s’agissait d’un converti ne pratiquant rien et ne connaissant rien. Ainsi, la mère des enfants n’était pas mariée religieusement à cet homme et son union avec un second homme n’avait rien d’interdit.

Cette affaire fit un scandale monstrueux et déchira le public religieux. Le Rav Elyashiv démissionna de son poste de dayan afin de ne plus être sous l’autorité du Rav Goren. Les rabbins haredis accusèrent le Rav Goren de blasphème en argumentant qu’on ne peut annuler une conversion tandis que la plupart des rabbins sionistes religieux se rangèrent du coté du Rav Goren (à quelques exceptions prêt).

35 ans plus tard, le scandale ressurgit, à l’envers ! Mais ou sont donc toutes ses voix du public haredi qui clamèrent qu’on ne peut annuler les conversions ? Ou sont les disciples du Rav Goren qui pensaient qu’une telle annulation était possible ?

On peut évidemment trouver des différences entre les cas et il ne serait pas impossible de soutenir que l’annulation du Rav Goren était légitime tandis que celle du Rav Sherman ne l’était pas (ou l’inverse), mais un brin d’honnêteté intellectuelle devrait pousser les deux partis à regarder en arrière et à s’interroger sur la légitimité d’une telle manœuvre.

Malheureusement, comme l’écrivais récemment un journaliste de Yediot Aharonot,l’israélien à tendance à oublier que le judaïsme est une religion et non un parti politique.

Le politique cherche à détruire le parti adverse, coute que coute, alors que le religieux devrait être troublé par tous les interdits oubliés dans cette histoire : l’amour du prochain, l’interdit de faire honte en public, l’interdit d’annuler les décisions d’un autre tribunal, le respect des sages et par dessus tout : l’amour du prosélyte.

Je conclue avec les mots du Rav Lichtenstein shlit »a:

Combien de haine, d’animosité et de démonisation laisse transparaitre cet épouvantable verdict (du Rav Sherman). Le comité des conversions (Rav Druckman et ses collègues) est composé de craignant-Dieu, d’érudits et de juges qui se sont dévoués corps et âmes pour la Torah. Aucun ne peut les écarter négligemment et les jeter à la rue ! Un point doit être clair : Il ne faut pas tolérer ce genre d’attitude. Ou a t-on vu que quelqu’un se basant sur l’opinion minoritaire est un hérétique ?! Malheur aux oreilles qui entendent de telles choses et malheur à la cour qui s’est exprimée de la sorte !

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