Chroniques féminines en France : Premiers pas à Yedidya

Deuxième chronique féminine de Sandra Allouche : mes premiers pas dans une synagogue orthodoxe moderne à Jérusalem

 

Voilà que je découvrais il y a deux ans, un formidable espace de réflexion sur internet, nommé le Blog Modern Orthodox, traitant de sujets sensibles, tels que la place des femmes dans l’orthodoxie, mais aussi le divorce, les sciences et la Torah, l’homosexualité ou encore, le sionisme religieux. Quelle était donc cette curieuse équation associant les mots « orthodoxie » et « moderne » ? Je m’informais sur ce courant de pensée, très présent en Israël et aux Etats-Unis et encore à ses prémices en France. Un premier contact s’établissait avec son créateur et à ma grande surprise, ce dernier, revendiquant entre autre l’accès à l’étude des textes pour les femmes juives, se trouvait être un jeune homme français d’origine marocaine, s’étant installé en Israël, étudiant dans une Yeshiva et servant au sein de Tsahal. Devant séjourner en Israël, c’est ainsi que Gabriel m’indiquait des synagogues, dites « modernes orthodoxes », basées à Jérusalem. Curieuse et en attente de trouver ce que à quoi j’aspirais, je me retrouvais à Yedidya à l’occasion d’un Shabbat.

Comment expliquer ce que je ressentis à peine la porte d’entrée franchie ? Un immense soulagement, une tension qui s’évanouissait instantanément. En effet, à ma grande joie, nous étions, hommes et femmes, séparés par un voile, mais la répartition spatiale était égalitaire. Les hommes priaient à gauche, tandis que les femmes priaient à droite. Dissipés les désagréments que je ressentais dans les synagogues parisiennes, avec les femmes placées à l’arrière, bien souvent serrées dans un tout petit espace, bien que nombreuses et avec une visibilité du rite synagogal, quasi nulle. Quant au Sefer Torah, celui-ci passait également chez les femmes. Du côté des hommes, celui étant chargé de le porter, le remettait à une femme. Cette dernière passait ainsi chez nous, portant les rouleaux sacrés de la Torah, que nous pouvions voir de près et toucher. Ce fut avec beaucoup d’émotions que je pus le faire pour la première fois de ma vie. Revenue l’après-midi pour la prière de Minha, voilà que j’assistais à un Dvar Torah pour un public mixte, hommes et femmes assis ensemble et mélangés. Echangeant avec les habitués de Yedidya, on m’expliquait qu’une femme pouvait également se livrer à un Dvar Torah. Là encore, bien loin de constater une perte supposée de repères et de valeurs juives, j’observais que la disposition du public féminin et masculin invitait à un meilleur suivi du cours pour le public féminin.

En France, il semble que la division sexuelle concernant de nombreux espaces synagogaux, relève d’une certaine conception des rapports sociaux entre hommes et femmes, déconnectée des évolutions majeures du 20ème siècle. En effet, cette organisation offre très peu de possibilités aux femmes de suivre le rite synagogal, les prières, mais aussi de s’exprimer oralement. Leur participation, lorsqu’elle relève de l’intellectuel et de la réflexion, s’avère peu favorisée. Par le terme « participation », entendons le simple fait de poser une question, ou encore émettre une observation pendant un cours. Je me souviens d’un Chabbat où un rabbin donnait un cours mixte. Les femmes et les hommes se trouvaient répartis les uns à gauche et les unes à droite, à égale distance du rabbin, et ce, à la demande de ce dernier, qui avait souhaité que les femmes ne demeurent pas à l’arrière. Le public se composait de jeunes adultes. Le rabbin remarquait que seuls les hommes intervenaient oralement et invitait les femmes à faire de même. Pourtant, aucune ne le fit. Plus généralement, lorsqu’un cours mixte est donné, on assiste rarement à une participation orale des femmes. Ces dernières auraient-elles intégré inconsciemment que leur participation ne serait pas nécessaire? Se désintéresseraient-elles d’approfondir leur réflexion ? Les pistes de réponses peuvent être multiples et imbriquées et mériteraient une véritable enquête sociologique. Lorsque l’on restreint continuellement un public dans un espace confiné, plusieurs conséquences possibles : ambiance peu propice à l’interaction et attention difficile à obtenir. Ainsi, ce public intègre progressivement dans son inconscient qu’il serait secondaire. De plus, les nombreux cours réservés aux femmes traitent souvent des mêmes thématiques. A savoir, les lois de la casherout, l’éducation des enfants et la place des femmes au sein du foyer familial. Tandis que les cours qui pourraient les inciter à l’approfondissement des textes fondamentaux s’avèrent moins proposés. Nous assistons ainsi à une consignation des femmes à des rôles envisagés comme « féminins » où chacun occuperait son rôle bien défini.

Revenons à l’expérience de Yedidya. La répartition égale de l’espace, ajoutée à l’organisation même du rite synagogal, plaçait naturellement les femmes dans un cadre psychologique rassurant, les invitant spontanément à vivre pleinement ce temps fort. Les habituels bavardages, qualifiés de « féminins », n’avaient pas lieu et lors des cours et des prises de parole, les femmes participaient et surtout s’exprimaient.

Quel est donc l’enjeu de l’existence d’une telle synagogue ? Il ne s’agit pas de vouloir imposer à celles et ceux, nombreux, qui ne souhaitent pas modifier leurs habitudes, des usages qu’ils ne désirent pas et ne désireront sûrement jamais. Toutefois, se poser la question d’une réflexion, envisager des propositions, dans un cadre halakhique, à l’attention d’une partie du public qui ne se retrouve plus forcément dans les synagogues orthodoxes et dans le même temps, ne se sent pas proche du mouvement libéral, serait salutaire. Si ces attentes se retrouvaient écartées d’un revers de main, le risque serait de perdre encore une partie du public orthodoxe, première étape vers d’avantage d’assimilation et d’éloignement. Au-delà de la question de la place des femmes, l’enjeu se situe autour de la transmission de notre identité juive dans un monde fragile, en crise morale, identitaire et économique, un monde où le culte de la vitesse règne, mettant en péril les valeurs de persévérance et d’étude, clefs certaines pour donner du sens à nos vies. Si certaines femmes souhaitent étudier nos textes et pouvoir suivre de façon optimale le rite synagogal, l’unique conséquence n’est pas une perdition de valeurs juives, mais bel et bien un renforcement de ces mêmes valeurs. Ces aspirations ne doivent donc pas être méprisées à coup de vieux clichés machistes, mais prises en compte et accompagnées par les acteurs de la vie orthodoxe.

Alors, qu’est-ce que l’orthodoxie moderne ? Il est aisé de retracer l’historique de ce mouvement et d’en saisir l’esprit général en effectuant des recherches. Je donnerai donc ici ma propre perception. L’orthodoxie moderne, c’est la capacité du Judaïsme à analyser des situations changeantes, en fonction de l’évolution des contextes historiques et sociologiques. Analyser des situations et y répondre, avec en tête l’unique objectif de la pérennité du peuple Juif, de notre héritage et la transmission du Judaïsme dans un monde en perpétuel changement. Cet objectif permet ainsi de donner des réponses innovantes en vue de perpétuer des millénaires d’Histoire. Paradoxe, me direz-vous ? Certainement pas. Le Judaïsme a fait preuve d’innovation dans son histoire en vue de rebondir et de ne pas briser la chaine de transmission, et ce qu’il va continuer de faire, très certainement.

 

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Plan de la synagogue Yedidya. Un voile sépare la pièce en deux parties égalitaires.

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