Chroniques féminines en France : Prêtez l’oreille
Mes deux premières « Chroniques féminines » évoquaient la nécessité pour les femmes qui le désirent, de s’approprier les textes et de se lancer dans l’étude de la Torah. J’ai donc souhaité allier mes paroles à mes actes et me suis inscrite au Beit Midrash Lenachim, c’est-à-dire la Maison d’étude juive au féminin, initiée par la rabbanit Joëlle Bernheim. Ce centre dédié aux femmes, vise à leur offrir la possibilité de devenir autonomes dans l’étude, en étant en contact direct avec les textes. C’est donc à l’approche de Roch Hachana que j’ai écrit mon premier commentaire sur la paracha Haazinou. En effet, les enseignantes et les étudiantes du Beit Midrash Lenachim, La Maison d’étude juives au féminin, publient depuis peu, chaque semaine un commentaire de Paracha sur le site d’Actualités Juives. J’ai bien évidemment souhaité partager ce premier commentaire également sur le site du Blog Moderne Orthodoxe.
En cette veille de fêtes, je tiens à remercier Madame Joëlle Bernheim de m’avoir offert la possibilité de me lancer dans un commentaire de Paracha, ainsi que pour toute son action pour que les femmes juives puissent avoir accès à l’étude de nos textes. Je tiens également à remercier Gabriel Abensour et Emmanuel Bloch de m’offrir une tribune sur le Blog Moderne Orthodoxe, avec mes « Chroniques Féminines » et d’être à l’initiative de cet espace d’échanges et d’idées en mouvement.
Que cette année vous soit merveilleuse et encore plus belle que ce que vous pourriez imaginer. Shana tova, a git your.
Haazinou
Haazinou, « prêtez l’oreille », tel est le titre de l’avant-dernière paracha de l’année, que nous lisons entre Roch Hachana, célébrant l’anniversaire de la création du monde, et Kippour. Alors que le peuple Juif approche de la terre d’Israël, Moshe, prenant pour témoins le ciel et la terre, éléments d’éternité, s’adresse aux siens sous une forme poétique. Il sait qu’il n’atteindra pas Israël. Sa préoccupation est de donner conscience au peuple Juif de sa responsabilité, de sa destinée, voulue par D. Une invitation à choisir les voies du Bien et la prédiction de malheurs à venir si le peuple se perd moralement, avec toutefois l’assurance que le lien entre D. et son peuple ne sera jamais brisé. Ce cantique évoque le passé, le présent et l’avenir, reliés à jamais et laissant entrevoir une perspective historique.
« Souviens-toi des jours d’antan, méditez sur les années, de génération en génération. Interroge ton père et il te racontera, tes anciens et ils te diront. »
Mémoire et Histoire, socles de l’avenir
Un caractère révolutionnaire est à jamais lié au Judaïsme, première conception offrant une vision du monde régie par un sens de l’Histoire. Cette vision tranche avec les approches païennes de l’Antiquité et sera reprise par les différents monothéismes, pour aujourd’hui relever de la conception universelle de l’Histoire de l’Humanité. La rencontre entre le divin et le peuple Juif s’inscrit dans un plan de l’Histoire voulu par D., suggérant une finalité, un but et donnant du sens à tout ce que nous entreprenons.
Alors que les hébreux s’apprêtent à atteindre la terre d’Israël, Moshe pourrait entamer son propos par le futur et annoncer ce qu’ils doivent accomplir. Il choisit de les inviter à se souvenir du passé. Si nous ne percevons pas le déroulement des faits, le lien de cause à effet, nous nous exposons à reproduire des schémas néfastes, voire destructeurs. D’où la nécessité d’une réflexion permanente nous incitant à agir avec une intention et à donner de la profondeur à nos actes et nos pensées. Relier passé, présent, et avenir, en vue de mener à bien notre vie et rectifier ce qui doit l’être.
Quelle différence entre le « père » et les « anciens » ? Chaque histoire familiale juive se révèle une odyssée, marquée de persécutions, de migrations, mais aussi d’une formidable créativité en toutes circonstances. Bien souvent, nos aïeux ne sont pas nés dans le même pays que nous. Omettre de recueillir la mémoire de leurs parcours compromettrait notre transmission à nos enfants, qui seraient alors démunis de ces précieux enseignements. L’appel de Moshe à interroger nos « anciens » nous invite aussi à dépasser nos histoires particulières, les replacer dans un contexte général, dépasser notre temps présent, percevoir l’aspect fondamental « de génération en génération », et ainsi saisir l’importance de notre destinée collective.
L’harmonie de l’individu et du collectif
L’injonction d’appeler au souvenir et à la réflexion, s’adresse aussi bien à l’individu qu’au collectif, avec l’usage du singulier « Souviens-toi », « Interroge », et du pluriel « méditez ». Chacun a droit au libre-arbitre ainsi qu’à ses propres aspirations. La présence du « moi » rappelle que le « nous » ne saurait prendre en otage le droit à la différence, appelle au pluralisme et ouvre les portes de ce que le monde moderne nomme Démocratie. Toutefois, cela ne saurait évincer l’existence du « nous ». Le message de Moshe dans son cantique nous fait prendre conscience de notre sens de la responsabilité, vis-à-vis de nous-même et vis-à-vis d’autrui. Cette conscience entraine le souci de l’autre, dans le respect et la solidarité. Par l’accumulation de mauvaises actions individuelles, nous causons la perte du collectif. Tolérer des injustices participe à l’aggravation de la vie en société. Aux vues de l’actualité, où incivisme, égoïsme et méchanceté sont courants, où nous assistons en Europe au retour des fanatismes, ce message de Moshe, relie à jamais l’individu et le collectif, qui ne se concurrencent pas mais se complètent, et acquiert une portée intemporelle, qui doit nous appeler à méditer et agir en conséquence.
Le cantique prend fin avec l’ordre de D. à Moshe de gravir le Mont Nebo, d’y contempler la terre d’Israël et d’y mourir. Ses derniers mots, aux consonances si poétiques, peuvent être comparés au son du Chofar que nous allons entendre lors de Kippour. Lors de ce moment solennel, nous nous révélons être à la fois un individu avec son parcours propre, mais nous écoutons tous ensemble ce son, nous le ressentons intensément et nous prenons profondément conscience de notre destinée collective.
Sandra Allouche
Ce texte est d’une grande richesse. S' agissant d'une chronique féministe l’auteure est particulièrement constructive et se place dans un collectif ( peuple juif ) qui dépasse les habituelles contestations stériles nécessairement conflictuelles pour affirmer son identité de femme et de juive.
Étant pour ma part un homme je ne peut que m'incliner devant sa connaissance des textes et sa capacité à appréhender l'essence de la judaïté à savoir cette aptitude à concilier identité personnelle , la réflexion individuelle ( la lecture des textes sacrés est toujours sujet a discussion ) et la conscience d'appartenir à une communauté qui impose une solidarité de tous les instants.
La transmission entre générations qui constitue l'essence du peuple juif est également valorisée avec sobriété et finesse.
Très bel article. Bravo et continuez.