Cachez moi ce corps, que je ne saurai voir : réflexion sur la Tsnyout

Personnellement, je considère que ce n’est pas aux hommes de dicter aux femmes leur façon de s’habiller. Le simple fait que des hommes se penchent sur des réflexions concernant la longueur d’une jupe ou les zones du corps à recouvrir chez une femme est en soi un manque de Tsnyout1. Par conséquent, loin de moi l’idée de détailler les lois de pudeur, qui ne sont pas le sujet de ce post.

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Cette image n’a pas été prise à Kaboul. Il s’agit d’une photographie prise à Beth Shemesh, localité près de Jérusalem. Sur cette image, les silhouettes voilées ne sont pas des femmes musulmanes, elles sont juives. Peut être pensez vous que cette photo a été prise le jour de Pourim ? Malheureusement non.

La polémique sur le voile intégral quitte la France pour arriver en Israël. Un mouvement de femmes religieuses ont décidé de porter le voile intégral (et de l’imposer à leurs malheureuses filles) afin « de hâter la venue du Messie ». Le phénomène ne s’arrête pas à deux ou trois femmes mais bien à toute une secte, au début à Beth Shemesh, et qui s’étend dans d’autres parties du monde orthodoxe.

Je précise immédiatement que ce phénomène n’a pas reçu l’aval des rabbins orthodoxes les plus connus. Cependant, malgré quelques timides déclarations, ce mouvement n’a pas subi de véritable contestation de la part de l’establishment orthodoxe.

A mon sens, ce phénomène n’est que la conséquence de l’obsession généralisée du monde orthodoxe sur la Tsnyout. Obsession névrotique qui n’a quasiment pas de sources dans la Torah.2

De nos jours, la Tsnyout est souvent décrite comme l’un des fondements essentiels de la femme juive (quand il n’est pas LE fondement). À chaque occasion, de pieuses femmes méticuleusement recouvertes louent la « beauté intérieure » de la femme pudique. Chaque personnage féminin que compte la tradition juive serait l’expression de cette incroyable « beauté intérieure », qui ne serait rien d’autre que la « véritable » beauté féminine… Ainsi, les matriarches sont décrites comme des femmes ne quittant jamais leurs tentes, Ruth est louée pour avoir amassé les épis de blé en se penchant discrètement, Esther devient un symbole de sacrifice, se refusant tout maquillage et tout apparat, au risque d’encourir la fureur du roi.

Évidemment, personne n’expliquera comment une sainte comme Rebbeca adressa la parole à un inconnu comme Eliezer, ni comment Rachel se permit d’embrasser Yaacov sans même être mariée. Personne n’expliquera comment Ruth viendra se glisser dans la couche de Boaz et personne ne louera Deborah la prophétesse, qui livra une guerre triomphante à Cissera. Personne ne décrira Esther comme une reine puissante. Personne n’expliquera non plus comment Tamar osa se déguiser en prostituée et pourquoi Batcheva se baignait nue sur le toit de sa maison. Personne ne s’intéressera au chant de Miryam à la sortie de la mer rouge…

Mais qu’en est-il vraiment ?

Une première constatation : aucun verset de la Torah ne parle explicitement de règles de tsnyout3. Certains y font allusions indirectement, comme le célèbre passage de la femme Sota ou il est écrit « et il lui découvrira la tête »4. De ce passage, le Talmud apprend que les cheveux d’une femme doivent être recouverts. Cependant, selon toutes vraisemblances, il s’agirait bien plus d’une norme sociale que d’une obligation religieuse. Ainsi, on découvre les cheveux de la femme Sota en public en signe de déshonneur5, idée tout à fait compréhensible lorsqu’on sait que jusqu’au début du XXe siècle, seules les prostituées sortaient la tête découverte.

Certains versets font cependant l’apologie d’une conduite « sainte », comme le verset « ton camp devra être saint »6, mais ces versets s’adressent au moins autant aux hommes qu’aux femmes.

Une seconde constatation est nécessaire : C’est le Talmud7 qui sera le premier à lister les règles de pudeur. Cependant, il ne nous précisera pas si ces règles sont absolues ou si elles dépendent de la société dans laquelle nous vivons. L’avis des décisionnaires est d’ailleurs partagé8. Il est intéressant de prêter attention aux paroles du Rambam qui écrit :

« et celui qui regarde ne serait-ce que le doigt d’une femme avec l’intention d’en tirer du plaisir, c’est comme s’il avait regardé ses parties intimes. Et de même, il est interdit d’écouter sa voix et de regarder ses cheveux »9.

La femme religieuse devrait-elle porter une burka afin de ne pas faire « trébucher » les hommes qui pourraient regarder ses doigts de façon mal intentionnée? Bien sur que non ! Dans sa grande sagesse, le Rambam a écrit cette loi comme s’adressant aux hommes et non aux femmes ! A l’homme de contrôler son regard !

Par ailleurs, pour la majorité des décisionnaires, la Torah ne dicte aucune règle vestimentaire, tout dépend de l’époque et de l’habitude des filles d’Israël10 !

Ainsi, la Tsnyout existe bel et bien. Comme le Rambam l’écrit :

« Qu’est ce que  »dat yehoudit » ? C’est les habitudes (minhag) de pudeur qu’ont pris sur elles les filles d’Israël. Et voici les attitudes que si une femme adopte, elle transgresse la loi de « dat yehoudit » : Si elle va au marché la tête découverte, sans le voile que les femmes ont l’habitude de porter, même si les cheveux sont recouverts. Ou si elle porte une rose sur son visage, sur l’épaule ou sur sa joue,comme l’habitude des femmes vulgaires. Ou si elle montre ses avants-bras aux hommes. Ou si elle se conduit de façon frivole avec des jeunes hommes […] »11

Autrement dit, les règles de Tsnyout existent mais ne sont pour la plupart qu’une coutume qui dépend des habitudes de l’époque.

Réflexion sur la Tsnyout

Aujourd’hui, peut être sous l’influence de l’Islam ou en réaction aux mœurs occidentales, les lois de pudeur sont devenues de plus en plus extrême et ont pris une place de plus en plus centrale. Des affiches dans les rues israéliennes appellent les femmes à se montrer très strict dans les lois de Tsnyout, affirmant que c’est le respect de ses lois qui apportera la délivrance (et inversement, c’est leur non-respect qui serait la cause de l’exil).

Pourquoi est-ce grave ? Parce que la femme a été transformé en objet sexuel. La femme occidentale, nue sur les affiches, est tout autant l’objet du désir des hommes que la femme de Méa Shéarim entièrement recouverte. La première sert à vendre des voitures, la seconde sert à ne pas perdre son paradis…

La femme est déshumanisée, elle n’existe que par son corps. En exagérant les règles de Tsnyout on éduque les jeunes filles à avoir honte d’elles même et les jeunes hommes à ne voir en la femme qu’un objet de tentation dont il faut limiter le potentiel destructeur.

Une éloge à la Tsnyout ? Relecture d’une histoire bien connue…

Je conclu cet article avec une relecture d’une des histoires les plus contée dans les cours de Tsnyout.

C’est l’histoire de Kimkhit, une femme qui vivait à l’époque du second temple et dont les sept garçons furent tous Grands Prêtres de son vivant. Kimkhit attribua ces honneurs à son habitude de ne jamais découvrir ses cheveux, même seule dans sa maison. Le Talmud nous raconte :

אמרו עליו על רבי ישמעאל בן קמחית פעם אחת סיפר דברים עם ערבי אחד בשוק ונתזה צינורא מפיו על בגדיו ונכנס ישבב אחיו ושמש תחתיו וראתה אמן שני כהנים גדולים ביום אחד ושוב אמרו עליו על רבי ישמעאל בן קמחית פעם אחת יצא וסיפר עם אדון אחד בשוק ונתזה צינורא מפיו על בגדיו ונכנס יוסף (עם) אחיו ושמש תחתיו וראתה אמן שני כהנים גדולים ביום אחד ת »ר שבעה בנים היו לה לקמחית וכולן שמשו בכהונה גדולה אמרו לה חכמים מה עשית שזכית לכך אמרה להם מימי לא ראו קורות ביתי קלעי שערי אמרו לה הרבה עשו כן ולא הועילו12

On raconte à propos de Rabbi Yishmael fils de Kimkhit qu’il discutait [un jour de Kippour] avec un arabe au marché. Un postillon sortit de la bouche [de l’arabe] sur les vêtements [de Rabbi Yishmael]. Yoshvav, son frère, prit sa place (car Yshmael était devenu impur à cause du postillon) et leur mère eue deux de ses fils Grands Prêtres le même jour.

On raconte également qu’il sortit discuter [un autre jour de Kippour] avec un homme important au marché. Un postillon sortit de la bouche [de l’homme important] sur les vêtements [de Rabbi Yishmael]. Yossef, son frère, prit sa place et leur mère eue deux de ses fils Grands Prêtres le même jour.

Nos maîtres enseignent : Kimkhit avait sept garçons et tous furent Grands Prêtres. Les sages lui demandèrent : « qu’as tu fais pour mériter cela ? ». Elle leur répondit : « Toute ma vie, même les murs de ma maison ne virent pas mes cheveux ». Ils lui répondirent : « Beaucoup ont agit ainsi et n’ont rien obtenu… ».

Cette histoire est généralement expliquée comme faisant l’apologie de la Tsnyout exagérée de Kimkhit. Ainsi, chaque femme se conduisant de façon encore plus stricte que la Torah mériterait les honneurs que Kimkhit reçue… Permettez moi de douter de ces interprétations.

Le Talmud13 nous raconte que, à quelques exceptions prés dont Yishmael fait partie, les Grands Prêtres de la période du second Temple ne vivaient pas plus qu’un an. La plupart des prêtres étant Saducéens, ils mourraient chaque année en rentrant dans le Saint des Saint, dont seul un homme juste pouvait sortir vivant.

Or, à part Rabbi Yishmael, les autres fils de Kimkhit ne figurent pas dans la liste des prêtres ayant vécu plus d’un an. La logique nous conduit donc à dire qu’ils étaient saducéens et qu’ils moururent l’un après l’autre… Kimkhit eue peut être le privilège de voir ses fils élevés à des fonctions honorifiques mais cela n’influa en rien la réussite de son éducation.

Certains objecterons qu’il est possible que les six autres enfants aient servis de Grands Prêtres de remplacement de façon exceptionnel, à l’image de Yossef et Yoshvav qui remplacèrent tout deux Rabbi Yishmael, qui s’était rendu impur le jour de Kippour. Tout d’abord, avouons que cela est fort peu probable. En effet, on ne remplace un Grand Prêtre que le jour de Kippour, ce qui voudrait dire que sur les dix ans ou Rabbi Yishmael servi en tant que Grand Prêtre, il se rendit impur six Kippours !! Mais d’ailleurs, pourquoi chaque années un frère différent servirait-il de Grand Prêtre de remplacement ? Apparemment, car les autres frères étaient déjà morts14, très certainement pour les raisons évoquées plus haut.

Mais par dessus tout, que répondent les sages à Kimkhit ? « Beaucoup ont agit ainsi et n’ont rien obtenu ». La Torah ne nous demande pas d’inventer des lois qui n’existent pas. Beaucoup ont agi comme Kimkhit en s’imposant des conduites extrêmes, mais cela ne leur a pas apporté quoi que ce soit.

Comme l’écrit Rabbi Yossef Messas :

un homme sage a voulu me prouver [qu’il est interdit pour une femme de ne pas porter de couvre-chef] à partir de l’histoire de Kimkhit, dont les sept enfants furent prêtres de son vivant pour avoir eu le mérite de ne jamais découvrir sa tête, même à l’intérieur de sa maison. De cette histoire il semble donc que [ne pas porter de couvre-chef] soit un grand interdit et celle qui y prend garde a un grand mérite.

Et je lui ai répondu qu’il a certainement entendu cette histoire de la bouche d’une vieille femme et qu’il ne l’a pas lu à sa source (Yoma 47a). […] « les sages lui ont dit : « Beaucoup ont agit ainsi et n’ont rien obtenu » ». Les sages ont donc repoussé les paroles de Kimkhit, qui n’étaient que les élucubrations d’une vieille femme, car eux savaient qu’il n’y a pas d’interdit (à ne pas se couvrir la tête !), simplement une habitude des filles d’Israël. 15

1Voir dans ce sens les propos volontairement polémiques de Hanna Kehat : http://www.ynet.co.il/articles/0,7340,L-3552260,00.html

2La Torah et la littérature talmudique étant très vaste, il est impossible de trouver un point qui n’ait aucune source… Cependant, on peut affirmer que dans sa globalité, la Torah ne prône absolument pas une pudeur exagérée.

3Mis à part l’interdit de Kli guever (Deut. 22:5) qui s’adresse aussi bien aux hommes qu’aux femmes.

4Nbr. 5:18

5cf. Rashi, ibid qui note : « d’ici nous apprenons qu’une tête découverte est un déshonneur pour une fille d’Israël ».

6Deut. 23,15

7T.B Brakhot 24a

8Par exemple, le Ritva (ibid.) considère que l’interdit de kol isha est juste durant le Shema alors que le Rambam l’extrapole (hilchot issourei bya 21:2). Voir également note 10.

9Hilchot issourei bya 21:2

10C’est l’avis explicite du Mordechai (brachot, siman 80) qui s’appuie sur l’avis de Rabbi Eliezer Ben Yoel. Le Rosh (Brachot III,37) est aussi du même avis, selon la compréhension du Divrei Hamoudot (ibid.). Le Rambam ne parle de règles vestimentaires qu’à titre de « dat yehoudit », comme expliqué par la suite. Cependant, l’avis du Rambam à propos du couvre-chef est que celui ci est une obligation midéorayta (Hiclhot Yshout 24:11).

11Hiclhot Yshout 24:12

12T.B Yoma 47a

13T.B Yoma 9a

14C’est d’ailleurs l’avis du Tossefot Rid (ibid)

15Otsar Hamikhtavim III, page 211.

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