L’approche séfarade: quand la halakha peut évoluer sans craintes

L’approche séfarade de la halakha est fort mal connue du public, y compris d’une majorité d’érudits. Depuis le décès des dernières grandes figures du judaïsme séfarade, il semble que l’approche orthodoxe ashkénaze soit désormais la seule qui prévaut au sein du public respectueux de la halakha, y compris des séfarades eux-mêmes.
Pourtant, cette approche peut, à bien des égards, répondre aux problèmes contemporains du judaïsme. Héritière d’une tradition sérieuse et profonde, elle permet toutefois bien des changements. On ne peut la qualifier d’orthodoxe car elle ne partage pas les bases conservatrices et rigides de ce mouvement qui, rappelons-le, n’était pas présent en terre séfarade. D’un autre côté, et malgré quelques tentatives de récupérations politiques, cette approche est également étrangère à la halakha “dynamique” du mouvement conservative, car elle n’en partage pas les axiomes.
Sous bien des aspects, il est possible que cette approche se soit oubliée car elle ne correspond justement à aucune des cases rigides du judaïsme contemporain. Le Professeur Zvi Zohar, spécialiste de la littérature halakhique séfarade, m’a récemment confié qu’à son avis, l’approche séfarade a peu à peu disparu car sa complexité ne correspondait pas aux axiomes simples des mouvements juifs contemporains.
Dans ce billet, je présenterai cette approche à travers un responsum (consultable en cliquant ici) du Rav Yossef Messas (dont la biographie est disponible ici), datant de la seconde moitié du 20e siècle. A travers ce responsum nous verrons sous quelles conditions un changement de normes halakhiques peut être envisageable.[1]
Courte explication sur le sujet traité
Le Talmud (Pessahim, 112b) affirme que « celui qui se tient nu à la lueur d’une bougie sera épileptique ; celui qui a une relation sexuelle à la lueur d’une bougie aura des enfants épileptiques« . Cette affirmation du Talmud est retenue par la halakha et notamment le Choulkhan Aroukh,[2]qui interdit toute lueur lors de l’acte intime.
Le questionneur tient à savoir si l’interdit est également valable lorsqu’il s’agit d’une lumière électrique et demande également quelle est la raison de cet interdit. Dans sa réponse, Rav Yossef Messas analyse ce texte pour en conclure que cet interdit n’a plus lieu d’être. Dans ce billet, ce n’est ni la question ni la réponse qui nous intéressent, mais l’approche halakhique novatrice du Rav Yossef Messas.
Etape 1: Que nous apprend le bon sens ?
Rav Yossef Messas commence avec une constatation simple : “Les paroles des sages contredisent la réalité” car hommes et femmes se baignent à la lueur des bougies et nul n’est jamais devenu épileptique pour autant.
Ainsi, dès le début, Rav Yossef Messas confronte une affirmation talmudique avec la réalité quotidienne, en partant du principe qu’une affirmation halakhique ne peut être juste si elle est invalidée empiriquement.
Mais Rav Yossef Messas continue et constate d’ailleurs que l’épilepsie est une maladie aujourd’hui expliquée par la science. Cette science était “inconnue des Sages” et explique que “l’épilepsie est une maladie nerveuse”. Rav Messas n’hésite d’ailleurs pas à encenser la raison et l’expérience et leur accorde une place essentielle dans l’analyse halakhique.
À nouveau, nous constatons que, pour le Rav, la halakha n’est pas indépendante de la réalité. Ce n’est pas au bon sens et à la raison de s’effacer devant l’affirmation des Sages car eux-mêmes étaient, aux yeux de Rav Messas, des êtres rationnels pouvant parfois se tromper par manque de connaissances scientifiques. Ainsi, tout homme est faillible, même les Sages. Dans un autre responsum, il explique d’ailleurs que l’expression talmudique “les anciens sont comme des anges” ne parle pas de l’infaillibilité des sages mais de leur crainte du Ciel exemplaires. Car même-eux, nous dit, Rav Messas, restent des hommes sujets à l’erreur.[3]
Étape 2 : Rationalisme
Par la suite, Rav Yossef Messas émet l’hypothèse que cette affirmation soit liée à la croyance sur l’existence de démons. L’exposé se sépare en deux parties : dans un premier temps, Rav Messas prouve que même celui qui partage une telle croyance n’a rien à craindre, car d’autres sources prouvent que les démons ne peuvent attaquer les hommes sans raison. Dans un second temps, Rav Messas rejette purement et simplement l’existence de démons et appelle les fidèles à suivre l’avis rabbinique s’opposant à l’existence de telles créatures.
La première partie témoigne de l’approche éducative du Rav Messas. Bien que ne partageant pas cette croyance, il tient à rassurer le juif y adhérant. Même de son point de vue, nous dit Rav Messas, la crainte est inutile. La seconde partie témoigne d’une volonté de rationaliser le judaïsme et s’accorde parfaitement avec ses propos précédents sur la science et la raison.
Étape 3: Conclusion éducative
De son analyse, Rav Messas tire une conclusion radicale :
« C’est pourquoi je dis que cette affirmation est exagérée et vise à effrayer l’homme pour qu’il se comporte avec pudeur. Elle n’était valable qu’à l’endroit et à l’époque de son auteur”.
Comme nous l’avons vu, Rav Messas refuse toute explication irrationnelle. La seule explication rationnelle qu’il parvient à trouver est que cette affirmation était un moyen éducatif visant à conduire les gens à se comporter avec pudeur.
Par la suite, Rav Messas explique ces propos à l’aide de constatations sociologiques sur les mœurs des époques passées. Selon lui, à l’époque où des familles entières partageaient une seule et même pièce, des atteintes à la pudeur étaient commises régulièrement lorsque l’un des membres se lavait publiquement où lorsqu’un couple s’unissait sans aucune intimité. Rav Messas affirme donc que l’auteur de ces lignes, soucieux de préserver la pudeur juive, cherchait probablement à bannir ce genre de conduites et se permit pour cela d’effrayer légèrement les impudiques.
Là encore transparait le rôle éducatif de la halakha qui vient garantir un ordre social et une conduite respectueuse. Ainsi, la halakha ne se résume pas au respect strict des commandements de la Torah mais se soucie également d’un comportement pudique et sain. Le décisionnaire peut et doit éloigner les fidèles de pratiques non-souhaitables, comme le fit le Talmud à son époque. Cependant, conclut Rav Messas, vu les changements de mœurs, cet interdit n’a plus lieu d’être et c’est pourquoi il estime que de nos jours tant les bains que les relations intimes sont permises à la lueur d’une bougie.
L’approche séfarade à notre époque
Cette approche est ce que nous appelons “l’approche traditionnelle séfarade de la halakha”. Elle laisse une large indépendance au décisionnaire et encourage l’esprit critique. Contrairement à l’approche orthodoxe contemporaine, elle estime que même le Talmud et, a fortiori, les sages post-talmudiques, sont sujets à l’erreur. Le judaïsme n’est ni une religion irrationnelle, ni une croyance superstitieuse et il convient donc de l’actualiser avec la découverte de nouvelles connaissances. Cette actualisation n’est pas une réforme, elle est au contraire un retour à la source divine du judaïsme qui ne contredit pas la raison. Si, à cause des limites de l’être humain, une erreur s’est glissée au cours des générations, c’est au décisionnaire contemporain de rétablir la vérité.
De plus, La halakha, totalement intégrée à la réalité, poursuit également un but éducatif : celui de faire des juifs des êtres droits aux mœurs saines et pudiques. Ce but peut prendre des formes différentes aux cours des siècles, suivant les mœurs locaux, mais ne demeure pas moins important que le respect des commandements explicites de la Bible.
Si une telle approche était ré-adoptée de nos jours, celle-ci pourrait tout d’abord permettre l’évolution de bien des lois juives aujourd’hui totalement inadaptées à la réalité contemporaine. Mais surtout, cette approche pourrait rappeler constamment aux croyants que le respect des commandements va de pair avec le respect d’un train de vie sain, pudique, honorable. Autrement dit, cette approche nous permettrait peut-être enfin de revenir à un judaïsme harmonieux qui ne serait pas en tension permanente avec notre sens moral et la réalité quotidienne.
Notes:
[1] Merci au Dr. Yehouda Memeran, dont le doctorat (non-publié) sur la figure de Rav Messas m’a inspiré.
[2] שו »ע, אבן העזר, ס’ כה, סעיף ה.
[3] מים חיים, דף כט.
GOOD THINGS HAPPEN AS WELL:
Ce que vous dites au sujet des sepharades n’est pas exact. Quand vous avez un roch yeshiva en France qui traitait ses eleves d’arabes de Fes, et la thora de leurs rabbins de » folklore » il y a de quoi reflechir. Deja a la fin du 19e siecle il y a eu un rabbin qui voulait enseigner la thora de pologne ou de lithuanie a nos sages. Ils ont abaisse et salit aux yeux de jeunes juifs leur judaisme en leur donnant un complexe de culpabilite et d’inferiorite. Dans aucunes yeshiva vous ne trouverez un livre sur un gaon sepharade. Certains ignares venus au Maroc apres avoir cherche partout on conclu qu’il n’y avait pas de Kabala et de mekoubalim. Cela a ete raconte lors du Hodesh du Grd Rabbin Chalom Messas. Ils nous ont apporte leur livre de kabala . Heureusement que le judaisme nord africain est en train depuis 1993 15 av de s’eloigner et de devenir avec l’aide du Createur de l’univers autonome. Relisez le dernier verset de la haftara du chabat hagadol. Je ne voudrais pas etre a a place des Admourim ou des Guedoiley Toyre.
Bonjour l’andalous, je dois dire que votre message est très obscur…
D’un coté, vous semblez estimer (comme moi) que le judaïsme séfarade est riche en enseignements. D’un autre coté, vous semblez m’accuser de rabaisser ce judaïsme. Je suis donc un peu perdu…
Article remarquable , que je partage en tous points :
raison et emouna ; pédagogie et non rejet de l’autre ; adaptation de la lettre pour ne pas perdre l’esprit de la loi ;
j’apprécie aussi l’analyse du Pr Zohar : en fait l’approche sépharade n’est pas complexe , mais elle est subtile et nuançée comme l’est la Vie elle même ;
sans perdre de vue l’essentiel : garder le lien avec D. ( Simplicité ) et avec les hommes ( nuance )
Bonsoir Gabriel. 07-05-2015 B »H
Voici le texte sur lequel j’ai voulu m’exprimer lorsque j’ai écrit sur le blog.
Je dois d’abord vous dire, que j’ai trouvé splendide que vous ayez fait ce blog, comme beaucoup de jeunes qui aujourd’hui se battent pour laver l’affront qui a été fait à leurs grands-parents considérés comme des » Shwartsim » sans Thora.
Vous devez surement savoir qu’il y a un nouveau site, qui vient s’ajouter à votre travail: le Hahakham Hayomi sur le net.
Les journalistes (ashkénazes) qui en ont parlé à la télévision, ont osé demander à l’interviewé s’il avait encore un Hakham pour le lendemain. Il a répondu : j’en ai encore 300, sans l’âge d’or espagnol!! Quelle houtspa !!
Mon commentaire sur :
L’approche séfarade de la halakha est fort mal connue du public, y compris d’une majorité d’érudits.
Oui cela a été voulu et fait be kavana. Sont venus prendre au Maroc des jeunes Ilouy de grandes familles de Rabbin séfarades pour remplir les yeshivot ashkénaze apres la 2e guerre mondiale car ils n’avaient plus d’élèves. Le monde ashkénaze à cause de la Shoa et pour des raisons qu’eux même connaissent ont abandonné ces rabbins qui avaient interdit en 1930+++++ a leurs Tsaytanim de monter en Israël. Il y en avait parmi eux qui avaient un visa pour la Palestine et l’ont déchiré.
Ayant pris les jeunes sépharades et les ayant haridisé NOUS SOMMES RESTE UN TROUPEAU SANS BERGER !
Depuis le décès des dernières grandes figures du judaïsme séfarade, il semble que l’approche orthodoxe ashkénaze soit désormais la seule qui prévaut au sein du public respectueux de la halakha, y compris des séfarades eux-mêmes.
Même quand ces figures existaient il y a 100 ans, ils n’en voulaient pas !
Depuis le départ de tous les juifs de ces pays devenus arabes musulman, apres la décolonisation, le monde ashkénaze ultra-orthodoxe a empêché toute organisation sépharade. Aaron Abouhatsera qui avait quitté le parti Mafdal pour faire le parti Tami, a ete massacre et remplace par Chass sous la férule du Rav Schach. Je vous envoie une photo de cette terrible attaque contre les mangeurs de porc, que nous avions vu à l’époque.
Il y a le Rabbin Isaac Perez derrière le rav Shach et un petit rabbin sépharade comme il le disait aussi sans aucune gêne.
C’est comme cela, par l’enseignement de la haine, qu’ils ont fait fuir ces juifs la que Vous, Mimizrah Shemesh, Kehilot Charot, soirée des Bakashot, Selihot au port de tel aviv l’an dernier, Orchestres Andalous et tous les autres, nous commençons à récupérer on leur proposant aussi le Hakham Sépharade.
Regardez en Israël dans chaque ville il y a de grandes publicité avec une invitation à la kabalat shabbat datit et même hilonit. (image2)
Pourtant, cette approche peut, à bien des égards, répondre aux problèmes contemporains du judaïsme. Héritière d’une tradition sérieuse et profonde, elle permet toutefois bien des changements. On ne peut la qualifier d’orthodoxe car elle ne partage pas les bases conservatrices et rigides de ce mouvement qui, rappelons-le, n’était pas présent en terre séfarade.
À propos des bases rigides.
Oui!! Si en Lituanie ou ailleurs un Rabbin osait faire une nouveau psak halakha, au 19e et 20e siècle, alors ces Biriyonims que nos frères pratiquants et lamdanims des USA, appellent : les Hayot Hakodesh, les auraient tabassé et tué de coups. Nous avons vu cela aux dernières élections pour les 2 grands rabbins d’Israël. Voir aussi le cahier No 24 de L’alliance. Tout sur l’analyse de la violence en terre ashkénaze des juifs entre eux.
Oui cette approche résoudra les problèmes contemporains!! . Ce n’est pas en créant un interrupteur casher pour chabat pour allumer, qu’ils changeront le comportement de nos frères dits » laïques « .
D’un autre côté, et malgré quelques tentatives de récupérations politiques, cette approche est également étrangère à la halakha “dynamique” du mouvement conservative, car elle n’en partage pas les axiomes.
Sous bien des aspects, il est possible que cette approche se soit oubliée car elle ne correspond justement à aucune des cases rigides du judaïsme contemporain. Le Professeur Zvi Zohar, spécialiste de la littérature halakhique séfarade, m’a récemment confié qu’à son avis, l’approche séfarade a peu à peu disparu car sa complexité ne correspondait pas aux axiomes simples des mouvements juifs contemporains.
Cela a ete fait volontairement !
Quand notre ancêtre Joseph est arrivé en Égypte, il a ete mis avec les lépreux comme il est dit : KI TOAVAT MITSRAYIM KOL ROE’ TSON. Nous étions une abomination aux yeux des Égyptiens !!
Il n’y avait aucune complexité a cette a proche basée sur le pshat ou 2+2=4 et pas 5-1 ou 6-2
Ils n’ont jamais voulu considérer ou parler aux Arabes Juifs comme ils nous appellent !
Jamais une jeune fille ashkénaze haridit n’épousera un Ilouy sépharades. Toutes ses copines lui feront le Nidouy.
Tout cela c’est le pshat de notre vie en Amérique, en France ou en Israël.
C’est pour cela que j’avais laissé un commentaire sur le blog.
Je suis désolé de ne pas avoir ete plus clair.
Yishar Kohakha !! Continuez le travail sacré que vous faites.
Chabat Shalom et Kol Touv.
Ariel Carcienté
L’Andalous de Jérusalem
mon père Zal, m'a raconté que le Grand Rabbin Yossef Messas avait dit que si cela ne dépendait que de lui, il aurait autorisé l.allumage électrique a Chabbat, qui ne représente pour lui ni un travail, ni l'allumage d'un feu!
Bonjour,
êtes vous certain de cette affirmation ? Rav Yossef Messas autorisait l'électricité durant Yom tov (comme la majorité des décisionnaires séfarades du 20e siècle), mais l'autoriser pendant shabbat me parait quasi-impossible.
N'auriez vous pas confondu yom tov et chabbat ?
Merci d'avance pour votre réponse.
Bonjour , très bon article mais je comprends pas quelque chose si vous pouvez meclairer. Avoir une relation à la lumière à pour conséquence d’avoir des enfants épileptiques d’après la Guemara mais ce n’est pas la raison pour laquelle c’est interdit. Il me semble que la raison est chema titgane al baala et ça c’est toujours d’actualité
Bonjour Haim,
Merci pour la remarque pertinente. Rav Yossef Messas se confronte aussi à cette explication (à la fin du responsum). Je ne l’ai pas mentionné car, comme dit, ce n’est pas le cas précis qui m’intéresse mais la façon d’analyser.
Pour faire court, il estime que cette raison s’est rajoutée plus tardivement et qu’il s’agit surtout d’un bon conseil des sages envers le couple. Là aussi, il estime que les changements hygiéniques importants font qu’aujourd’hui cette recommandation reste souhaitable mais non pas essentielle (a fortiori pas obligatoire). Sa conclusion est donc qu’il est bon d’éviter les rapports à la lumière mais que « méïkar hadin » ceux ci sont permis de nos jours.