Vieil Univers, jeune Univers ?
Ce billet est le premier d’une série composée de trois articles qui traitera du rapport entre Torah et Sciences.
En matière de “Science et Torah”, difficile de trouver question plus classique que celle-ci : alors que l’historiographie de la Torah indique une Création du Monde par Dieu il y a un peu moins de 6’000 ans (1), la Science conclut quant à elle, depuis quelques décennies maintenant, à ce que notre Univers est né à l’instant du Big Bang, soit une gigantesque « explosion » primordiale intervenue à un instant situé quelque part entre 10 et 20 milliards d’années préalablement à notre époque (2).
Collision frontale entre Foi et Science. Qui a raison, qui a tort ?
Les réponses données à cette interrogation sont nombreuses, et mon but ici ne sera pas tant d’en faire l’inventaire général que d’en proposer une clef de lecture globale qui permette d’en jauger les forces et les faiblesses respectives, et de servir également de grille d’analyse dans d’autres problématiques de « Torah et Science » (3).
Pour faire simple, 4 types de réponses sont ici concevables : a) la Torah a raison et la Science tort ; b) la Science a raison, c’est la Torah qui est dans l’erreur ; c) les deux messages, celui de la Torah et celui de la Science, sont absolument identiques, contrairement à des apparences extérieures trompeuses ; d) les descriptions de la Torah et de la Science ont des fonctions profondément différentes, lesquelles ne se recoupent pas et ne peuvent donc pas être opposées. Chacune de ces approches se décline en une série de variantes, plus ou moins proches.
Nous allons examiner successivement ces 4 catégories de réponses.
A. La Torah a raison et la Science tort.
I) Dans cette première catégorie de réponses au problème de l’Age de l’Univers, le conflit est perçu comme réel et l’avantage est donné à l’un des deux protagonistes – la Religion.
Voici quelques-uns des arguments avancés, parfois cumulativement, pour justifier une telle position :
1) Argument de la différence ontologique : la Science est humaine et vient du « bas », alors que la Torah est d’origine divine, elle est révélée et vient donc du « haut » – donc, en cas de clash, la Science n’a pas la légitimité suffisante pour contester la véracité de la Torah.
2) Argument des problèmes méthodologiques : la Science se base sur des méthodes de recherche et des outils d’analyse très imparfaits, incertains, voire carrément spéculatifs, qui ne lui permettent pas d’arriver à la Vérité (4). Telle était par exemple la position du Rabbi de Loubavitch dans une lettre devenue célèbre (5) ; entre autres considérations, le rav Schneersohn affirmait ainsi que l’estimation de l’âge de l’Univers se base sur des techniques extrapolatives, lesquelles sont notablement moins fiables dans leurs inférences que les techniques dites « interpolatives » (6).
3) Argument de l’immoralité des scientifiques : les hommes de science ne recherchent pas vraiment la Vérité, contrairement à ce qu’ils prétendent ; ils visent à évacuer Dieu, purement et simplement, de l’image qu’ils donnent du monde, afin de justifier un mode de vie débauché, absolument vide de toute spiritualité et de toute responsabilité morale. La démarche scientifique est donc orientée vers une direction préétablie, elle est biaisée à son origine même et ne présente aucun défi substantiel à la Torah (7).
4) Argument épistémologique : selon cette approche, la Science ne peut affirmer aucune vérité, mais simplement des affirmations dont la fausseté n’est pas encore prouvée. Le consensus scientifique change régulièrement, et dans 50 ou 100 ans, la Science aura depuis longtemps renié tout ce qu’elle considère actuellement comme exact (8).
II) Le grand avantage de ce premier groupe d’arguments, le seul à mon sens, est qu’il permet une lecture intuitive des versets de la Torah ; à l’inverse des autres réponses que nous verrons ci-dessous, il n’est nul besoin de réinterpréter le récit de la Genèse et de l’éloigner de son sens le plus simple ; inutile aussi de rechercher des enseignements midrashiques, talmudiques ou autres, sur lesquels s’appuyer pour asseoir la légitimité de ladite réinterprétation – le texte se lit dans une complète immédiateté.
III) Mais cette première approche présente aussi toute une série de graves problèmes. Ceux-ci sont de deux ordres différents : premièrement, chacun des 4 arguments mentionnés ci-dessus soulève diverses objections (qui feront l’objet des points 1 à 4 ci-dessous); deuxièmement, le rejet ab ovo de l’entreprise scientifique place à mon sens ses défendeurs dans une position de contradiction logique interne dont il leur est très difficile de s’extirper (point 5 ci-dessous) (9).
Dès lors que le rapport à la Science est un sous-aspect particulier de la question plus vaste du rapport à la Modernité, nous allons traiter ces questions relativement en détails. Cela nous permettra, nous l’espérons, de mieux apprécier à sa juste mesure les efforts collectifs de la communauté scientifique en vue de percer les mystères de notre Univers.
La thèse que nous souhaitons soutenir dans les lignes qui suivent est que l’orthodoxie moderne doit rejeter complètement les 4 types d’arguments exposés ci-dessus.
1) Commençons par l’argument méthodologique. Sa réfutation consiste essentiellement en une prise de conscience du très grand nombre de « preuves » en faveur de l’ancienneté de l’Univers. Il existe plusieurs dizaines de méthodes indépendantes permettant chacune de démontrer que l’Univers entier, ou un objet spécifique, est considérablement plus ancien que les 6’000 ans de la Torah.
Quelques exemples seront ici utiles. S’agissant tout d’abord de l’âge de l’Univers entier, son estimation se base avant tout sur le phénomène, connu depuis le début du 20eme siècle et les travaux de l’Américain Vesto Slipher, de la récession des galaxies. En termes concrets, des observations prolongées du ciel ont permis de démontrer que la quasi-totalité des galaxies observables s’éloignent de nous ; non seulement cela, mais elles le font selon une règle précise mettant en rapport leur distance et leur vitesse, et appelée « loi de Hubble », du nom du scientifique qui la découvrit. La récession systématique des galaxies est une découverte fondamentale qui nous amène naturellement à concevoir l’Univers comme n’étant pas statique, mais en expansion (10).
Les puristes et les scientifiques nous pardonneront ici, nous l’espérons, de simplifier quelque peu le raisonnement de la manière suivante : le mouvement des galaxies, proches ou lointaines, indique que ces dernières ont un même point d’origine, et connaissant l’éloignement des différentes galaxies ainsi que leur vélocité, on peut calculer le temps écoulé depuis l’instant premier du Big Bang : une quinzaine de milliards d’années, plus ou moins quelques bricoles.
D’autres indices en faveur du Big Bang ont été découverts au cours des décennies qui suivirent ; par exemple, le « bruit de fonds » cosmologique micro-ondes, qui est une forme de radiation thermique « fantôme », provenant uniformément de toutes les directions de l’espace, et résultant du processus de refroidissement progressif de l’Univers suite au Big Bang (11). Cette découverte est un indice particulièrement important de la justesse du modèle d’un Univers en expansion ; elle ne peut être justifiée par les tenants d’un jeune Univers.
De manière plus simple, on peut remarquer que les télescopes et autres instruments de mesures actuels permettent quotidiennement de détecter la lumière d’objets célestes, tels que des amas de galaxies, situés à plusieurs milliards d’années-lumière de nous. En d’autres termes, la lumière de ces objets que nous percevons actuellement a traversé l’espace sidéral pendant plusieurs milliards d’années ; ou encore, cette lumière a été émise il y a plusieurs milliards d’années, quand bien même nous ne la voyons qu’aujourd’hui, du fait du gouffre gigantesque qui nous sépare de son point d’émission.
En poursuivant notre examen des indices de l’ancienneté de l’Univers, plusieurs autres méthodes aboutissent à des estimations de plusieurs milliards d’années : la désintégration radioactive (qui peut se baser sur des mesures de carbone 14 ou de dizaines d’autres isotopes), laquelle permet notamment d’estimer l’âge de la Terre a environ 5 milliards d’années ; l’hélioséismologie ; et d’autres.
Par ailleurs, en restant cette fois sur Terre, plusieurs méthodes permettent de dater le début de certains phénomènes à plusieurs millions d’années en arrière, comme par exemple l’existence des varves sédimentaires – des couches de sédimentation qui se déposent au fond de certains lacs et rivières, à raison d’une couche par an, selon un mécanisme observé et parfaitement connu ; l’examen des sédiments de la Green River, dans l’Utah aux Etats-Unis, démontrent ainsi l’accumulation d’environ 20 millions de couches sédimentaires distinctes…
Sous les mers, la croissance des récifs de corail se fait sur un rythme lent et constant, permettant d’établir facilement l’origine de certaines structures de la Grande Barriere de Corail à plus de 600’000 ans. Ailleurs, en Antarctique et au Groenland, l’analyse de la glace de la banquise met en évidence des couches successives, au rythme d’une couche par année, lesquelles permettent de compter plusieurs dizaines de milliers d’années en arrière. Ailleurs, bien au chaud sur la terre ferme des continents, la dendrochronologie étudie les « anneaux » des arbres ; comme chacun sait, l’âge d’un arbre peut être déterminé en comptant les couches successives qui forment son tronc (chaque année correspondant à un anneau distinct) ; en recoupant des mesures opérées sur des arbres encore vivants avec d’autres, conduites sur des arbres fossiles, les scientifiques sont parvenus à remonter plus de 11’000 ans en arrière.
Et ce ne sont là que quelques illustrations choisies parmi beaucoup (12). C’est dans l’existence de ce faisceau d’indices convergents que l’argument méthodologique trouve sa réfutation la plus tranchée. Un instrument peut se tromper, certes ; mais trente ? Une méthodologie peut sans doute être erronée, mais ici les prémisses des diverses approches sont systématiquement différentes, et pourtant leurs résultats convergents nous permettent de reconstituer l’image cohérente d’un Univers ancien !
L’honnêteté intellectuelle nous force ici à conclure au bien-fondé du raisonnement scientifique et de ses méthodes de recherche.
(la suite dans quelques jours …)
Notes
(1) Les sources juives internes reflètent ici un certain nombre d’incertitudes et le chiffre exact n’est pas nécessairement celui que nous utilisons couramment, soit (à l’instant d’écriture de ce texte) 5774 ans. Ces divergences sont, de notre point de vue, relativement légères – même un siècle en plus ou en moins ne change strictement rien au problème. Nous choisissons donc d’éviter complètement cette problématique, et nous permettons simplement de référer les lecteurs intéressés à la nouvelle édition critique du Seder ‘Olam de Chaim Milikowsky, parue en 2013 aux éditions Yad Ben-Zvi (Jérusalem), laquelle fournit bien des informations utiles.
(2) L’estimation actuellement la plus précise est celle 13.798 milliards d’années, plus ou moins 37 millions d’années ; elle résulte de la rencontre entre les résultats de recherche de plusieurs programmes scientifiques d’envergure internationale, comme par exemple le Wilkinson Microwave Anisotropy Probe :
http://en.wikipedia.org/wiki/Wilkinson_Microwave_Anisotropy_Probe.
(3) Nous reprenons ici, en l’adaptant quelque peu ses catégories à notre problématique, un modèle proposé il y a environ 25 ans par Shalom Rosenberg (תורה ומדע בהגות היהודית החדשה, ירושלים, משרד החינוך תשמ »ח). David Hartmann aussi a suggéré une approche similaire : הרמב »ם – הלכה ופילוסופיה, תל אביב, עם עובד 1979, עמ’ 29-15.
(4) Il existe une différence conceptuelle entre cet argument et le précédent, quand bien même ils sont souvent invoqués de concert. En théorie du moins, dans un cas où la méthode scientifique semble fiable au-delà de tout soupçon, le deuxième argument tombe, alors que le premier demeure invocable en toutes circonstances.
(5) Voir ici : http://www.chabad.org/library/article_cdo/aid/435111/jewish/The-Age-of-the-Universe.htm.
(6) Pour plus de détails sur ce point, nous renvoyons le lecteur au texte de la lettre du Rabbi de Loubavitch, lequel est très clair.
De manière générale, l’approche du Rabbi à la Science se caractérise par son littéralisme ; voir par exemple ici (http://www.torahscience.org/torahsci/rebbeletter.html) pour une défense du géocentrisme précopernicien que l’on trouve souvent dans les sources juives antiques et médiévales. Gad Freudenthal a consacré un article au sujet, voir : Révélation et Raison, Torah et Madda dans quelques écrits récents, in : Torah et Science, Perspectives historiques et théoriques, mélanges offerts à Charles Touati, Peeters 2001, pp. 239-267, en particulier 241-245 (nous reprenons cette dernière référence du récent billet sur ce blog de mon amie Noémie Benchimol, et l’en remercions). Voir aussi la note 11 ci-dessous.
(7) C’est la position défendue notamment par le rav Raphael Sadin dans un cours très récent intitulé « Le Mensonge Scientifique », sur son site Internet Kol Torah. Voir ici: http://www.espacetorah.com/category/54/20937, minutes 5 :45 – 6 :25, et 10 :30 jusqu’à la fin, en particulier à partir de la minute 16 :45.
Cette vidéo fait suite, à quelques jours de distance, à une conférence donnée récemment par le même rav Sadin, et dans laquelle il intervenait au Centre Rachi aux côtés des frères Bogdanov sur le thème suivant : « le Monde est-il né du Chaos ? » ; voir ici : http://www.youtube.com/watch?v=rs2P5b20nO0&feature=share&t=1s.
Il est frappant de constater à quel point le ton du rav Sadin est plus critique, pour ne pas dire virulent, à l’encontre de la Science, dans la vidéo rendue publique sur son propre site.
(8) Cf. la vidéo du rav Sadin citée à la note précédente, minutes 0 :45 – 1 :00.
(9) Il faut encore mentionner ici le fait, difficilement contestable, que de nombreuses sources juives, tant talmudiques que rabbiniques, affirment avec force une vision favorable de la Science par la Torah ; certaines de ces sources seront citées plus loin dans cet essai. Mais nous souhaitons faire ici l’économie de cette très vaste discussion, qui a déjà été traitée dans plusieurs excellents ouvrages, dont l’incontournable « la Torah et les Sciences » de Henri Infeld (éditions Gallia) ; voir aussi « Torah u-Madda » du rav Norman Lamm (éditions Aronson) ; la liste est encore bien longue.
(10) Pour plus d’informations, voir ici : http://en.wikipedia.org/wiki/Hubble%27s_law.
(11) Pour plus d’informations, voir ici :
http://en.wikipedia.org/wiki/Microwave_background_radiation.
(12) Pour plus d’informations sur les méthodes décrites ici, et sur celles que nous n’avons pu, pour des raisons évidentes de place, évoquer dans ce billet, voir ici : http://rationalwiki.org/wiki/Evidence_against_a_recent_creation.
Pour une critique plus détaillée de la lettre du Rabbi de Loubavitch, voir ici : http://www.talkreason.org/articles/challenge.cfm#two.
Yeshayou Leibovitz a également sévèrement critiqué les positions du Rabbi de Loubavitch, cf. רציתי לשאול אותך פרופ’ ליבוביץ, הוצאות כתר 1999, עמ’ 55-54.
Je veux juste apporté, pour les non anglophones, une traduction de la lettre du Rabbi de Loubavitch que Emmanuel a cité
Lettre en français
Dans le lien d’Emmanuel, un bouton « Français » existe, et qui permet de traduire la page. Mais je trouve qu’il est assez caché.
A lire en parallèle de ces billets (dont on attend la suite avec impatience) les 7 chapitres que le Rav Slifkin consacre à ce sujet dans "The challenge of creation". 🙂
Absolument, Slifkin est incontournable sur le sujet, son livre est quasiment exhaustif. Un peu plus loin dans l'article je reconnais ma dette envers lui.
Merci, déjà riche et passionant…
Quelques premiers commentaires:
« la Science conclut quant à elle, depuis quelques décennies maintenant, à ce que notre Univers est né à l’instant du Big Bang, soit une gigantesque « explosion » primordiale intervenue à un instant situé quelque part entre 10 et 20 milliards d’années préalablement à notre époque (2). »
Pour être plus précis, la vision de la science moderne est que le temps et l’espace ont été créés en même temps; ou plutôt plus rigoureusement encore: la science est en mesure de décrire 15 milliards d’années d’histoire de l’univers, jusqu’à, au point le plus éloigné dans le temps, conjecturer l’existence d’une singularité, le big bang, au delà de laquelle ni l’espace ni le temps n’ont de signification physique.
Il me semble que du coup, en l’état de la science, le débat n’est plus exactement le même qu’à l’âge classique où il opposait les tenants d’un univers fini et créé avec ceux d’un univers infini et éternel. Tout simplement parce que les notions mêmes de temps et d’espace sont moins intuitives aujourd’hui qu’elles ne le paraissaient hier.
Il est certain que les tenants de l’exactitude littérale du récit de la Torah sont confrontés à des difficultés difficiles à surmonter dans la clarté, et que c’était déjà vrai avant les révolutions relativistes et quantiques.
Je crois me souvenir en revanche, de mémoire mais les spécialistes me corrigeront, que Maïmonide expliquait qu’il croyait en un univers créé, d’abord parce que l’état de la science ne lui interdisait pas de le croire, ensuite parce que c’est notre tradition, et ajoutait que si l’état de la science devait interdire de le croire il faudrait réinterpréter notre tradition de lecture de nos textes. C’est certainement la position la plus convenable, et elle témoigne d’une conception très moderne de l’épistémologie des sciences physiques chez Maïmonide.
D’ailleurs, l’angle le plus clair pour aborder ce sujet serait peut être celui de l’epistémologie. C’est bien le critère de vérité d’un discours qui nous intéresse.
Le critère de la vérité scientifique est assez simple: une hypothèse scientifique doit permettre des prédictions vérifiables, et être empiriquement réfutable.
L’hypothèse que le monde a été créé tel que dans le récit de la genèse (et d’ailleurs lequel au passage), en 7 jours, tout en ayant toutes les apparences d’un monde bien plus vieux et créé très différemment a le défaut de ne permettre aucune prédiction sur l’avenir, et surtout d’être irréfutable: il n’est pas possible de concevoir une expérience qui pourrait donner un résultat permettant d’infirmer cette hypothèse.
Inversement, l’hypothèse que la terre est carrée et flotte dans un gaz de couleur verte où nagent des anges blonds et dodus est une hypothèse scientifique. Elle est malheureusement infirmée par le programme Apollo.
Du coup, il est clair qu’on ne convaincra par aucun argument rationnel un tenant de la position A.
Le tenant de la position B partageant avec celui de la position A le présupposé que la Torah n’est pas allégorique, sa position est intenable pour les mêmes raisons: il n’est pas possible de dire depuis un point de vue scientifique que la Torah a tort, tout ce qu’on peut dire c’est que ses hypothèses littérales ne sont ni vérifiables ni réfutables.
Restent les positions C et D. La position C me semble là encore un peu stérile, surtout s’il s’agit d’accorder des versets avec l’état de la science à un instant t. Reste la position D, seule vraiment tenable évidemment…
David, merci de ces commentaires. Vous anticipez pas mal sur la suite 🙂
D’accord avec vous sur a peu pres tout. Juste un detail : l’hypothese d’un monde cree avec les apparences de la vieillesse, qui sera mon hypothese C1 dans le billet de lundi prochain, correspond a un discours religieux qui n’a aucune obligation de se plier au critere popperien de la falsifiabilite. Je ne pense donc pas qu’on puisse le rejeter du fait qu’il est impossible de prouver le contraire, mais je voudrais soutenir qu’il existe d’autres arguments convaincants a son encontre.
Merci de votre lecture!
Merci Emmanuel
En réponse à votre remarque: vous appelez C1, pour des raisons que je comprends, ce qui pourrait aussi être un A1, puisque cela ne revient pas uniquement à concilier le récit de la genèse et la science, mais bien à supposer que les hypothèses scientifiques sont fausses, contrairement au récit de la torah qui est vrai. La réfutation n’a que les apparences d’une conciliation, par le biais d’une hypothèse ajoutée au récit de la Genèse, qui serait que Dieu avait l’intention de camoufler son oeuvre de créateur…
L’hypothèse en elle-même pourrait ne pas avoir à se plier au critère de réfutabilité (en français falsifiabilité est ambigu), en tant que discours religieux sur les intentions de Dieu. Mais en tant qu’il s’agit d’un discours de réfutation des vérités scientifiques, il doit bien relever de ce critère. La science et cette hypothèse que vous appelez C1 ne peuvent pas être vraies en même temps, car il ne s’agit pas de dire la même chose, mais au contraire de réfuter!
Cher David,
Merci de cette reponse. Je ne vois pas les choses tout a fait de la meme maniere, mais au bout du compte nos positions sont tellement proches que je suis pas sur que le debat en vaille la peine… rendez-vous la semaine prochaine pour le 2eme billet !
Merci Emmanuel, tout à fait d’accord nos positions se rejoignent. Merci pour la richesse et la clarté de vos articles. J’attends de vous lire sur C1, peut-être aurez-vous quelque chose à ajouter sur les questions théosophiques des tenants de ce discours?
Un dernier point, qui est plutôt à l’attention de vos lecteurs, car vous savez ce qu’est un raisonnement scientifique, sur les questions méthodologiques.
Si on reprend l’exemple du rayonnement fossile que vous donnez, le plus important ou presque dans ce rayonnement est de savoir qu’il a d’abord été postulé, comme une conséquence des scenarios des théories du big bang, avant d’être observé.
C’est un point fondamental: invoquer le rayonnement fossile, ce n’est pas mettre l’observation en accord avec une théorie préconçue, ce n’est pas tordre ce qui est pour le rendre conforme à ce qui devrait être, c’est utiliser la théorie pour faire des prédictions, et concevoir une expérience pour savoir si la prédiction se réalise. Et si elle ne s’était pas réalisée, c’était être prêt à remettre en cause la théorie.
Si on a compris ça, on doit pouvoir éviter un certain nombre de pièges du discours « Torah et science ». Evidemment, en posant les choses de cette manière, j’avoue que je ne donne pas exactement la même dignité aux 4 positions, et que seule la D me semble rattachable à un critère général de vérité qui englobe les vérités de la foi et celles de la raison.
Finalement, la seule question de « conciliation » entre torah et science qui vaudrait la peine de s’y pencher, mais elle suppose d’être allé assez loin dans la compréhension des lois de la nature, c’est de savoir si les lois de la nature sont morales…
Pour rebondir sur ce que dit David, je ne crois pas que le problème soit de savoir si la nature est morale ou pas, seuls les hommes sont moraux! Peut-être faudrait-il questionner sur la Torah: que veut-elle dire en détaillant la création du monde? Que le monde soit créé est plus ou moins compréhensible dans le cadre biblique monothéiste (pour dire vite). Pourtant la Torah s’est compromise en donnant un ordre non seulement structuré, mais temporel. Pourquoi? Le Dieu tout puissant n’aurait-il pu créer le monde en un instant? n’en n’aurait-il pas été par là grandit aux yeux de ses adeptes? Si l’on admet qu’Il a voulu mettre des lois d’évolution au sein du monde et se plier à ces lois, pourquoi nous le signaler?
Bonjour,
Votre question part du présupposé que l’intention de la Torah est de nous « détailler la création du monde », par une série d’événements. Je crois, à vérifier d’ailleurs, que même Rachi (je dis même parce que c’est quand même plutôt un conservateur) dit explicitement que ce n’est pas le cas.
Qu’est-ce qui oblige à supposer que le récit de la création du monde est autre chose que le récit de l’intention éthique qui a gouverné la création? En fait, cela résulte aussi assez littéralement du fait qu’il y ait deux récits de la création pas tout à fait cohérents… Comme le premier récit raconte une création par YHVH, et le second par YHVH-Elohim, l’interprétation de l’ensemble composé par ces deux récits comme manifestant une « intention », ou disons manifestant certains attributs spécifiques de Dieu à l’oeuvre dans la création n’est pas absurde.
Du coup, il devient inutile de se demander pourquoi Dieu n’a pas créé le monde autrement qu’il ne l’a fait. La Torah nous renseigne sur son projet, et la science nous instruit des voies empruntées. Dans une optique religieuse, l’objectif moral est sans doute de comprendre autant que possible le projet à l’oeuvre dans la création, pour chacun de nous. Les textes sont une voie d’accès au projet divin, très certainement; et la science en est alors une autre. Il ne peut pas y avoir de contradiction entre les deux, mais pas au prix d’un jeu stérile de « réconciliation » des deux points de vue, simplement en donnant à chaque domaine du savoir toute sa légitimité et toute sa place, bien comprise.
Bonjour, mon intention n’était pas du tout de réconciliation entre science et Torah. (On est quand même un peu après Kant!). Mais d’essayer de comprendre tous ces détails. je suis d’accord avec vous pour donner une orientation éthique à l’ensemble des deux premiers chapitres de la genèse, cependant, l’intention globale ne me suffit pas: il aurait suffit de dire que Dieu a créé l’univers, un point c’est tout, et à la limite le détail de la création de l’homme. Pourquoi dire que les poissons sont créés avant les mammifères? Quelle est l’intention éthique qui s’y cache? ma question n’est pas rhétorique, ni une façon d’amener quiconque à une position quelconque. C’est tout simplement une question. il me semble que vous faites allusion à un des premiers Rachi de la Genèse; une lecture moins rapide vous montrera qu’il ne veut pas dire qu’il n’y a pas d’ordre dans la ‘création’ mais que cet ordre ne nous est pas fourni par les deux premiers versets du texte. Le texte en français de ce Rachi se trouve sur le site de la Bible du Rabbinat. mais ma question, plus précisément portait sur l’intérêt éthique (ou autre) de temporaliser le texte de la création?
Bonjour,
Vous avez raison sur Rachi, et plus généralement sur ma coupable superficialité.
Mais je ne comprends pas bien votre question. Je continue de penser que telle qu’elle est posée elle part du présupposé que, pour ceux qui ont reçu la Torah, la parole biblique a le sens d’une information qu’on nous donne sur le processus physique cosmogonique. Il n’est pas si évident que ça que cette manière de voir les choses ait jamais été celle des prophètes ou des sages.
Si je comprends bien votre question, le récit biblique comporterait trop de détails, et il y a donc un risque intrinsèque de contradiction avec la science, et il faudrait se demander pourquoi.
Or, à mon sens, la cohérence interne de tout texte prophétique, et donc de la Torah, veut que, pour qui en comprend le sens, et c’est difficile, la raison pour laquelle il est écrit sous cette forme plutôt que n’importe quelle autre apparaîtra comme évidente. Le résultat d’une étude est de faire apparaître le sens nécessaire d’un texte prophétique. L’hypothèse de base de l’étude en hébreu équivaut à dire que, pour ceux qui ont reçu la Torah, dans la langue où elle a été reçue et le contexte où elle a été reçue, ce qu’elle dit était absolument clair et n’avait pas besoin d’exégèse.
Autrement dit, d’un point de vue méthodologique, votre question telle qu’elle est posée (pourquoi le texte dit ceci et pas autre chose), ne peut pas être la base d’une étude, car elle en est nécessairement l’aboutissement.
David et Frank : merci de vos commentaires. Mon prochain billet est prevu pour demain, donc je pense que la discussion continuera a ce moment-la, mais juste par curioisite :etes-vous autant pret a lire le recit du Maboul de maniere allegorique, que vous le faites pour les recits de la Creation du Monde ?
Amities a tous deux,
Emmanuel
A titre personnel ça ne me pose pas de difficultés majeures.
Toutefois ce n’est pas exactement la même chose, au moins à un titre: on peut théoriquement imaginer une chaîne de transmission allant de Noah à Abraham, puis de Abraham à Moïse, puis de Moïse à nous, venant témoigner de la réalité du déluge. En revanche personne n’a assisté aux 6 premiers jours de la création.